Le langage des fleurs : introduction à la symbolique d’un monde coloré

Vous êtes-vous déjà émerveillé devant de magnifiques peintures de fleurs et d’oiseaux ? Avez-vous déjà contemplé pendant des heures les détails de chaque fleur ? Vous êtes vous déjà demandé pourquoi certaines fleurs sont plus souvent représentées que d’autres ? Tokonoma vous donne des clés de compréhension de ce monde coloré des peintures de fleurs.

Un retour à la source : Les guides illustrés de botanique

Il y a environ 2000 ans, à la fin de la Dynastie des Han (206 av. J.-C. – 220 ap. J.-C) en Chine, le premier ouvrage de botanique intitulé « Shennong Ben Cao Jing » (le Classique des plantes médicinales) est rédigé. Le titre tire son origine de l’un des rois légendaires et du dieu de l’agriculture et de la médecine, Shennong.

Shennong l’agriculteur divin, Guo Xu (1456–1529), vers 1503, Feuille d’album ; encre et couleurs sur papier, 29.8 × 49.3 cm, Shanghai museum, Wikimedia Commons, image libre de droits.

La légende raconte que Shennong est né au 28e siècle avant notre ère avec un corps d’homme et une tête de taureau ! En inventant le chariot et la charrue, en apprivoisant le bœuf, en attelant le cheval, et en apprenant à son peuple à défricher la terre par le feu, Shennong aurait établi une société agricole stable en Chine. Son catalogue de 365 espèces de plantes médicinales sert de base aux études en botanique. Au fil des âges, les manuscrits sur les plantes médicinales s’améliorent, notamment sous la dynastie des Ming (1368-1644) en 1596, quand le physicien Li Shizhen (1518-1593) rédige une compilation de botanique intitulé « Ben Cao Gang Mu«  (Recueil de matière médicale). Passé au Japon, ce recueil devient le fondement de la botanique sur l’archipel ! Tout au long de l’époque d’Edo (1603-1867) plusieurs ouvrages de botanique japonais sont rédigés, comme le Yamato honzo (Herbes médicinales du Japon) rédigé en 1708 par l’érudit néo-confucéen et botaniste Kaibara Ekiken (1630-1714) ou encore le Honzo komoku keimo (recueil de matière médicale), d’Ono Ranzan (1729-1810) en 1803. Ce cortège de livres de botanique à base de textes laisse bientôt la place à un nouveau type de manuscrits : cette fois-ci enrichis de magnifiques images !

Le Honzo zufu (Livre illustré des plantes médicinales), Iwasaki Tsunemasa (1786-1842), Papier, xylographie, vers 1830, Image libre de droits, Wikimedia Commons.

C’est Iwasaki Tsunemasa (1786–1842) un botaniste et zoologue japonais, qui vers 1830 utilise pour la première fois des images pour exprimer visuellement la véritable apparence des plantes ! Le Honzo Zufu (Livre illustré des plantes médicinales) devient le premier ouvrage de référence illustré du Japon sur les plantes, complété par 2 000 illustrations en couleurs dessinées à la main ; un travail qui dure pas moins de 20 ans ! Cet ouvrage devient une référence pour la peinture de fleurs et d’oiseaux (Kacho-e), et sert de modèle aux peintres, notamment de l‘école Rinpa.

Vers un monde coloré et poétique

Maintenant que l’on sait d’où vient cette représentation détaillée et minutieuse des fleurs, quel message y-a-t-il derrière ? Nous vous présentons ici une petite sélection qui devrait pouvoir vous éclairer.

Prunier en fleurs et camélia, Suzuki Kiitsu (1796–1858), Japon, période Edo (1615-1868), vers 1850
Écran unique à six panneaux ; encre, couleurs et or sur papier
Collection Wilhelmina Tenney Memorial, 1966, Honolulu Museum of Art. Image libres de droits, Wikimedia Commons.

Tsubaki 椿 – le camélia du Japon : les fleurs de camélias ont différentes significations en fonction de leurs couleurs. Le rouge symbolise la vertu tandis que le blanc représente le summum de la beauté. En Chine, l’huile de camélia était considérée comme un elixir de jeunesse et de longévité éternelle.

Kiri 桐 – la fleur de paulownia : le paulownia doit son nom à la reine Anna Paulowna, fille du tsar Paul Ier de Russie. En Chine, le paulownia a longtemps été considéré comme un arbre joyeux, abritant le phénix (fenghuang). Au début de l’époque de Heian (794 – 1185), au Japon, la fleur de paulownia est utilisée comme symbole héraldique (kamon 家紋) de la famille impériale !

Botan 牡丹 – la pivoine : Originaire du nord-ouest de la Chine, cette fleur serait arrivée au Japon par l’intermède du moine bouddhiste Kukai qui l’aurait apportée de Chine pendant la période de Nara (710 – 794). En Chine, en raison de sa flamboyance et de son élégance, on l’appelle « hua wang« , roi des fleurs ou bien « hua shen« , dieu des fleurs. Elle symbolise l’élégance d’un roi et de la noblesse.

Kaido 海棠 – Malus halliana : la fleur du malus halliana (pommier sauvage) apparaît au printemps avec cinq pétales de couleur blanche ou rose foncé. Selon une légende, à l’époque Tang (618 – 907), l’empereur Xuanzong convoqua sa favorite, Yang Guifei. Celle-ci apparut le visage endormi, ce qui lui fit murmurer « le sommeil de ma belle fleur de Kaido n’est pas encore suffisant« . On dit que Yang Guifei elle-même aimait la fleur de Kaido. Ainsi, cette fleur symbolise le sommeil d’une belle femme ainsi que la douceur. En Chine, elle est traditionnellement aimée au même titre que les fleurs de prunier et de pivoine, et elle est souvent représentée comme sujet dans la poésie et la peinture chinoise.

Fuji 藤 – Glycine japonaise : Originaire du Japon, la glycine japonaise est un sujet fréquent dans la littérature japonaise classique, notamment de 27 poèmes du Man’yōshū ( le premier recueil de poèmes de l’histoire du Japon, daté de 760 environ) et apparaît dans les noms des personnages du Dit du Genji. Dans l’Antiquité, lorsque l’on comparait les hommes aux pins et les femmes à la glycine du Japon, on disait que planter les deux à proximité symbolisait l’harmonie entre les sexes.

Cette petite sélection permet de comprendre que les noms de plantes et de fleurs sont aussi infiniment variés que les dialectes et véhiculent bien plus que ce qu’on imagine ! Dans les oeuvres d’art, les fleurs permettent de transmettre des messages ou des symboliques de manière poétique et ce, de différentes régions à travers les âges.

Pour en savoir plus :

  • Le magnifique catalogue « Designing Nature: The Rinpa Aesthetic » in Japanese Art de Carpenter de John T. (2012), disponible gratuitement sur le site du MET.
  • S’amuser à reconnaître chaque fleur de l’un des chefs d’oeuvre du Musée national des arts asiatiques – Guimet : le vase Mille fleurs.

Image de couverture : Pin et glycine japonaise, Sakai Hōitsu (1761-1828), Daté de 1810-1819, Japon, Epoque d’Edo (1615 – 1868) Paravent à deux panneaux ; encre et couleur sur feuille d’or sur papier. Asia Society, New York. Image libre de droits.

Laisser un commentaire