Trésors de Kyôto accompagnés de Manuela Moscatiello

Cette semaine Tokonoma vous propose un retour sur l’exposition Trésors de Kyôto, qui se tient au musée Cernuschi jusqu’au 27 janvier, accompagné de Manuela Moscatiello, commissaire d’exposition. Elle a répondu pour nous à toutes les questions que vous vous posez, nous a révélé tous les secrets de l’exposition (bon, peut-être pas tous…), et bien plus encore !

Dans le couloir précédent l’entrée de l’exposition, nous sommes immergés dans un monde doré que l’on retrouve à travers les œuvres, tout au long de l’exposition ; l’école Rinpa se définit-elle par cet usage de l’or ?

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Nakamura Hôchu, Oiseau sur une branche de prunier, XVIII siècle, paravent à six panneaux, encre et couleurs sur feuille d’or, musée Hosomi, Kyôto. Image : Musée Cernuschi.

Non, ce n’est pas obligé, mais il est vrai que c’est l’un des aspects qui caractérise le courant Rinpa. L’usage de pigments dorés remonte à des époques plus anciennes, les artistes Rinpa se sont inspirés de la beauté, de l’élégance de l’époque classique de Heian, et notamment au genre de peinture qu’est le yamato-e (images du Japon) – image montrant le goût à la japonaise, se distinguant des kara-e (images de Chine). Les artistes Rinpa s’inspirent des yamato-e au niveau des sujets représentés, notamment la nature au fil des mois et des saisons, les monts et les vues célèbres du Japon comme l’archipel Matsushima, et des thèmes inspirés de la littérature et du théâtre classique. Et de l’autre côté il y a les techniques, avec l’utilisation de pigments et de matériaux précieux – comme l’or et l’argent, sous forme de poudre mais aussi de feuilles. Il y a aussi un autre matériel, très souvent utilisé par les artistes Rinpa, qui est la poudre de mica. On peut en voir sur les premiers livres exposés [dans la première salle] et dont les couvertures ont été décorée à l’aide de mica, donnant un effet brillant, raffiné.

Comment définir un artiste comme appartenant à l’école Rinpa ?

Les artistes de l’école Rinpa ne se fondent pas sur des liens directs entre maîtres et élèves. Les artistes Rinpa, ne sont des artistes que si ils sont inspirés de l’esthétique de l’époque de leurs prédécesseurs et c’est cela qui a permis de la faire durer.

Parfois on remarque de façon très évidente l’aspiration des artistes Rinpa, chez un artiste. C’est surtout une sorte d’hommage qu’ils rendent à leurs prédécesseurs. Par exemple Kôrin a imité, « copié » le paravent du dieu du tonnerre et du vent de Sôtatsu. Il existe trois versions différentes du même sujet mais en même temps elles sont très différentes les unes des autres. C’est la manière, pour ces artistes de rendre hommage à leurs prédécesseurs. C’est aussi une forme de respect en égard à leur esthétique, une forme d’admiration. On apprend également beaucoup de choses en « copiant ».

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Ogata Kōrin, inscription par Keishū Dōrin, Deux feuilles d’éventails non pliants (uchiwa) avec motifs de pins enneigés et de feuilles de lierre, XVIIIe siècle, encre, couleurs et or sur papier, montées en rouleau vertical, collection particulière. Image : Musée Cernuschi.

Les artistes appartenant au mouvement Rinpa doivent-ils posséder obligatoirement une éducation soignée comprenant la calligraphie, les connaissances littéraires, etc. ?

C’est une caractéristique d’un peu tous les artistes, ils ont tous reçu une éducation très soignée, et pour la plupart proviennent de milieux privilégiés. A l’exemple de Kôetsu, fils d’une famille spécialisée dans le polissage des sabres – élevé à un véritable art au Japon. Ils sont également formés à la cérémonie du thé, et connaissent les classiques de la littérature.

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En milieu d’exposition, un espace de médiation est proposé, présentant des techniques employées par les artistes. Pourquoi avoir choisi cet espace ?

Il s’agit d’une demande de Paris Musées pour qui l’aspect pédagogique est très important. J’ai souhaité dédier ces deux espaces de médiation aux techniques, car suite à l’exposition Jakûchu, j’ai remarqué que le public est friand de voir et de comprendre les techniques des arts du Japon. On a donc, avec le service des publics du musée, fait les propositions, que vous pouvez voir dans l’espace, consacrées aux aspects techniques que sont les pigments de couleurs, les effets picturaux et la feuille d’or. J’ai choisis de focaliser la vidéo sur la feuille d’or ; elle est le fruit d’une collaboration avec le musée Yasue de la feuille d’or de Kanasawa. Elle montre comment, encore aujourd’hui, on peut la fabriquer. Dans la vitrine [sur le côté droit de la vidéo] il y a un choix de quatre petits échantillons de feuilles d’or, chacune est composée par un pourcentage différent de plusieurs minéraux – or, cuivre et argent. Et selon le pourcentage, la couleur, la tonalité et la texture changent.

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Kamisaka Sekka et Kamisaka Yūkichi, Boîte à tabac à décor de feuille de lotus, années 1920, bois laqué, décor en maki-e, or, incrustations de nacre, Musée national d’Art moderne, Kyōto. Image : Musée Cernuschi.

L’exposition englobe une période assez vaste, du XVIIe siècle jusqu’au début du XXe siècle. Les bouleversements politiques que le Japon a traversé ont-ils influencé l’école Rinpa? Est-ce qu’il y a eu des répercussions ?

La majorité des artistes exposés ici datent de l’époque d’Edo, alors que le pays est refermé sur lui-même, apportant une grande stabilité et un développement au niveau de l’art incroyable. C’est surtout Sekka [auquel les dernières salles sont consacrées] qui a connu cette ouverture du Japon et la restauration Meiji. Il a vécu à un moment très important : on dit qu’il a contribué d’une certaine manière au « Renouveau », ce que l’on appelle aujourd’hui le Design au Japon, avec la rencontre des arts d’occidents – notamment l’Art nouveau et l’Arts and Crafts. Mais en même temps il a voulu garder ce lien très fort avec la tradition.

Est-ce que cela a changé sa manière d’aborder l’esthétique Rinpa ? En  particulier au niveau des techniques, davantage liées à son époque plutôt qu’à la tradition ?

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Kamisaka Sekka, Fleurs et plantes des douze mois (détail), entre 1920 et 1925, deux feuilles d’album d’un ensemble de douze feuilles, encre et couleurs sur soie, Musée Hosomi, Kyōto. Image : Musée Cernuschi.

Sekka, comme les autres artistes avant lui (Kôrin, etc), a renouvelé cette utilisation, cet esprit Rinpa d’une manière très personnelle mais tout en restant très attaché à la tradition japonaise. Mais il y a des artistes « Rinpa » de nos jours encore. C’est-à-dire des artistes qui s’inspirent de ce type d’esthétique, encore plus contemporains que Sekka, et auxquels une conférence sera consacrée lors du cycle « l’Université au musée » à l’auditorium du musée.

Est-ce que l’école Rinpa a eu une influence vis-à-vis du japonisme en Europe ?

Dans les milieux des collectionneurs, des amateurs on connaissait Kôrin. On retrouve des œuvres d’artistes Rinpa d’Edo dans les collections du XIXe siècle. Si ce sont des faux ou des peintures authentiques, on ne le sait pas trop. Mais peu importe, l’essentiel est que cette esthétique Rinpa, ce style décoratif était très connu en France à l’époque et très apprécié par les amateurs. Louis Gonse, directeur de la Gazette des Beaux-Arts et auteur de L’Art japonais, désigne Kôrin comme le plus japonais des Japonais et le peintre nippon le plus connu. Il identifie vraiment ce style décoratif de l’école Rinpa à la tradition japonaise. C’est un des courants qui a beaucoup influencé les artistes occidentaux. Dans la collection Monet par exemple, on retrouve des livres de Nakamura Hôchû.

Il est vrai que l’on met souvent en avant le rôle des estampes japonaises sur les artistes de la fin du XIXe siècle, davantage que d’autres œuvres japonaises.

J’ai beaucoup travaillé sur la présence de la peinture japonaise en France au XIXe siècle, je me suis occupée notamment de l’influence des techniques de la peinture chez un peintre italien, De Nittis, très amis de Manet et Degas, qui faisait partie des milieux impressionnistes. Il s’est beaucoup inspiré des techniques de la peinture japonaise. Il est vrai que les estampes ont joué un rôle important, mais les artistes ont également beaucoup regardé du côté de la peinture japonaise à cette époque.

Et pour finir, quelle est l’œuvre que vous préférez dans l’exposition ?

Il y en une, oui, qui arrivera lors de la deuxième rotation de l’exposition, il s’agit des fleurs de cerisier au mont Yoshino de Watanabe Shikô. C’est une paire de paravents qui montre le lieu de Yoshino, endroit emblématique au Japon, réputé pour ses cerisiers.

J’adore également la Sente au lierre de Tawaraya Sôtatsu dont un des paravents sera exposé à la place de celui des Dieux du tonnerre et du vent, du même artiste. C’est une œuvre magnifique où il y a une continuation de la ligne, créant un jeu entre les deux paravents. Mon seul regret est que l’on ne pourra pas les exposer ensembles.

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Attribué à Tawaraya Sôtatsu, inscription par Karasumaru Mitsuhiro, La sente au lierre, XVIIe siècle, paire de paravents à six feuilles, encre et couleurs sur feuille d’or, Kyôto, Shokoku-ji, Œuvre classée au Japon « Bien culturel important ». Image: Musée Cernuschi.

Pour en savoir plus :

Catalogue de l’exposition:

  • Moscatiello, Manuela (dir.), Trésors de Kyôto : Trois siècle de création Rinpa, Paris, Paris Musées, 2018.

Sur le musée Yasue de la feuille d’or à Kanasawa

Image de couverture: Watanabe Shikô, Cerisiers en fleurs au mont Yoshino (détail), XVIIIe siècle, paire de paravents à six feuilles, encre et couleurs sur feuilles d’or, collection particulière. Image: Musée Cernuschi.

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