Inrō : échantillon du raffinement japonais

Tokonoma vous propose un nouvel article tiré de sa série sur les arts décoratifs en abordant un objet emblématique de la culture matérielle japonaise, le inrō (印籠) !

Qu’est-ce qu’un inrô ?

Littéralement « panier de cachets », le inrō est une petite boîte à compartiments qui fait partie des sagemono, les « objets pendants ». Il fait office de poche, les vêtements traditionnels japonais, comme le kimono, en étant dépourvus. Originaire de Chine, il est apparu au Japon à la fin du XVIe siècle sous la période de Muromachi (1336-1573), et était porté par les hommes, suspendu à leur ceinture par un cordon de soie afin d’emporter ses sceaux et sa pierre à encre. Plus tardivement, il sera utilisé aussi comme boîte à médicaments.

Ces magnifiques petits écrins sont généralement fabriqués à partir de cuir très fin ou bien de bois de cyprès du Japon recouverts de laque et de motifs en reliefs avec incrustations (nacre, écailles de tortue ou métaux). Mais il faut bien comprendre que le inrō fait partie d’un ensemble ! Le tout est maintenu grâce à une petite corde fixée par une perle appelée ojime (緒締め). Puis, pour éviter que l’inrō ne glisse à travers l’obi (la ceinture), un petit objet sculpté appelé netsuke (根付) est attaché à l’extrémité du cordon et sert de contrepoids.

Concernant les décors, il n’y a pas de règles fixes ! Comme pour d’autres objets du quotidien, les surfaces sont décorées de sujets riches et variés : les personnages sont populaires, parfois engagés dans les arts du spectacle. On peut également voir des singes, des lions et des bœufs. Le thème des saisons est certainement le plus fréquent et le plus apprécié.

Un objet de prestige

À partir de la période d’Edo (1615-1868), le inrō devient un accessoire de mode coûteux, perdant petit à petit son rôle utilitaire. Il est alors fréquemment incrusté de matières nobles, comme l’ivoire ou la nacre et certains sont même entièrement réalisés à l’aide de métaux précieux. Ces accessoires décoratifs sont commandés par la classe marchande, les dirigeants provinciaux et leurs samouraïs, ainsi que par ceux qui peuvent se les offrir. En bref, il devient le moyen d’afficher sa richesse, son appartenance sociale et son bon goût !

Quatre inrō, dont un représentant le douzième mois avec Ebisu et Daikoku vus à travers une fenêtre, hiramaki-e et takamaki-e en or, argent, noir et rouge sur un fond de laque d’or, par Shibata Zeshin, daté de 1865, © Victoria and Albert Museum, Londres.

Qui dit objet de prestige, dit grand artiste ! Shibata Zeshin (1807-1891), par le raffinement et le génie de sa technique, est certainement l’un des plus importants laqueurs japonais de son temps. Dans ses inrō, Zeshin fait généralement référence à un mois particulier en dépeignant avec virtuosité un aspect d’une fête populaire ou religieuse qui avait lieu à cette époque. On peut par exemple observer sur cet inrō (en bas à droite), représentant le douzième mois de l’année, Ebisu et Daikoku, deux des sept dieux de la bonne fortune à travers une fenêtre. En tant que patrons des marchands et du commerce, ils sont censés assurer la prospérité et l’abondance de nourriture pour l’année à venir. Zeshin imagine ici un dispositif d’étui tout à fait astucieux !

Face à la modernité

Bouteille de parfum Opium, Yves Saint Laurent, 1977. Wikimedia commons, image libre de droits.

À partir de l’ère Meiji (1868-1912), les Japonais adoptent le costume occidental avec des poches, ce qui a pour conséquence de voir l’utilisation du inrō fortement diminuer et quitter leurs habitudes vestimentaires. En 1977, après un voyage au Japon, le couturier Yves Saint Laurent organise le lancement de son tout nouveau parfum, Opium. Le flacon reprend alors la forme d’un inrō et arbore la couleur rouge rappelant celle de la laque. Sous un vent de scandale, du fait du titre du parfum faisant référence à une drogue ô combien dévastatrice en Asie, ce inrō revisité ne reste pas moins un succès mondial ! Aujourd’hui, les inrō sont surtout devenus de précieux et coûteux objets de collection, qui ne cessent de fasciner.

D’un objet utilitaire, l’inrō est devenu une véritable œuvre d’art très largement collectionnée pour la richesse de ses décors en laque et pour les accessoires la complétant. De grands noms comme Shibata Zeshin (1807-1891) ou bien Mochizuki Hanzan (1743-1790), ont eu le privilège de pouvoir signer leurs œuvres, attestant de leur statut d’artiste et par la même contribuant à la renommée de ces petits trésors de l’art japonais.

En savoir plus :

Image de couverture : Inrō avec la pièce de Nō Ebira (Carquois), première moitié du XIXème siècle, Trois coffrets ; bois laqué avec or, argent, couleur takamaki-e, hiramaki-e sur fond rouge, © Metropolitan Museum of Art, New York.

Un commentaire Ajouter un commentaire

  1. Marion dit :

    Article vraiment très intéressant ! J’ignorais totalement l’existence des inro et surtout le fait que ces objets avaient inspiré le parfum Opium.. Je trouve d’ailleurs absolument magnifique le fait que les artistes se soient appropriés cet objet du quotidien pour en faire de vraies œuvres d’art portable !

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