L’ère Meiji ou le début de la « modernité »

L’arrivée du Commodore américain Perry (1794-1858) sur les côtes japonaises en 1853 marque le début de démarches d’ouverture imposées au pays grâce à la puissance militaire affichée des pays occidentaux. Une situation économique difficile émerge, due aux inégalités instaurées par des traités commerciaux. Le pouvoir des Tokugawa s’effondre et l’on se tourne de nouveau vers l’empereur qui reprend le pouvoir en 1868. Ainsi débute l’ère Meiji, du nom de son empereur.

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Utagawara Kuniteru (1830-1874), Chemin de fer à Takanawa, Tokyo, 1879, encre et couleurs imprimés sur papier, Metropolitan Museum, New York. Images : Metropolitan Museum.

Face à la puissance des nations étrangères, le Japon se lance dans une politique de modernisation, mais également de nationalisation forte, d’enrichissement et de militarisation. Le but est de construire une nouvelle nation forte, à l’égal de l’Occident, afin de gagner en autonomie. Cette politique touche rapidement de nombreux aspects de la société dont les arts. Ceux-ci deviennent également un instrument démontrant les avancées de la péninsule. Rapidement deux attitudes vont s’affronter : celle de la modernité, par le prisme des conceptions artistiques de l’Occident, et la défense de l’art traditionnel.

Maiko
Kuroda Seiki (1866-1924), Maiko, daté 1893, huile sur toile, 81,0×65,2 cm, National Museum of Tokyo (Bien culturel important). Image : National Museum of Tokyo.

Une première académie, sur le modèle éducatif des académies des Beaux-Arts européennes, d’art occidental (yôga) ouvre à Tôkyô, suivie par d’autres. Des enseignants étrangers tels l’italien Fontanesi ou l’Anglais Charles Wirgman sont invités afin de transmettre leurs connaissances. À la fin du siècle, des élèves parmi les plus prometteurs sont envoyés en Europe pour y étudier directement les techniques, puis les transmettre à leur retour, comme Yamamoto Hosui (1850-1906) ou plus tard Kuroda Seiki (1866-1924), tous deux partis pour la France.

Une association de peintres de style occidental se forme en 1889 à Tôkyô : la Meiji bijutsu-kai, soutenue par des personnalités politiques, elle organise chaque année une exposition. Kuroda Seiki y présente son tableau Toilette du matin qui y fait scandale en raison du sujet, un nu féminin, le premier à être présenté au public japonais, alors qu’il fut acclamé à Paris en 1873 ! Toutefois des dissensions éclatent dans le groupe entre la première génération formée dans le pays et la seconde, revenue de l’étranger, aboutissant à la fondation de la « Société du cheval blanc » Hakuba-kai par Kuroda Seiki en 1896. La « Société des Beaux-Arts de Meiji » devient en 1901 la « Société de peinture occidentale du Pacifique » Taiheiyôga-kai, qui, avec la « Société du cheval blanc », fut actrice du développement de la peinture de style occidental au Japon.

Kawabata Gyokushō (1842-1913), Paysage d’automne, XXe siècle, encre et couleur sur soie, 128,1×50 cm, Metropolitan Museum of Art. Image : Metropolitan Museum of Art.

Bien que le mouvement d’occidentalisation des arts soit soutenu par les politiques ainsi que les intellectuels admirant l’Occident, un mouvement à ferveur nationaliste émerge en parallèle et visant à défendre la peinture traditionnelle (nihonga) et dont Okakura Kakuzô (1862-1913) est un des défenseurs avec l’américain Ernest Fenollosa. Tous deux déplorent la prédominance que prennent les arts occidentaux au détriment d’une tradition dénigrée. Ils prônent une renaissance de l’art japonais dès les années 1880. Ainsi, malgré le développement du modèle des Beaux-Arts occidentaux, l’apprentissage traditionnel se poursuit avec l’école Kanô à Tokyô ou encore celle de Maruyama-shijô et la peinture de lettré dite Nanga à Kyôtô.

Hotei en bateau, XXe siècle, netsuke en ivoire, 4×5,6 cm, Musée Cernuschi, Paris. Image : musée Cernuschi.

Politiquement, la Constitution de Meiji est promulguée en 1889, asseyant la souveraineté impériale ainsi qu’un parlement. L’importance de la guerre Russo-japonaise en 1904-1905, qui suit la guerre sino-japonaise de 1894-1895, permet de  montrer au monde la puissance acquise du Japon, notamment grâce à la révolution industrielle engagée dans l’archipel. Le Japon poursuit son ambition expansionniste en annexant la Corée en 1910.

Un autre moyen pour le Japon de promouvoir sa puissance sont les expositions universelles, véritables vitrines des savoirs-faire japonais en termes de technique et artisanat. En plus des objets – netsuke, inrô, tsuba, okimono – largement acquis par les étrangers, se développe une production destinée à l’exportation.

Enfin, la ville elle-même est soumise à l’avancée de la modernité à travers ses infrastructures mais également son architecture. Les académies ont fait appel à des enseignants étrangers tel l’anglais Josiah Conder (1854-1920) et architecte du bâtiment de la Mitsubishi Office. Son élève Katayama Tokuma (1854-1917) est l’auteur en 1909 de l’extension du Palais Akasaka, construit en s’inspirant du château de Versailles !

Ainsi le Japon, de par les circonstances d’une ouverture extérieure forcée, a vu dans la « modernité » proposée par l’occident un impératif afin de s’affirmer lui-même en tant que puissance. Il en a résulté un important bouleversement dans les arts, devenus en partie un outil politique renforçant l’image d’une société avancée. Cette période fut également le terreau de nombreuses structures encore actuelles, telle la Commission des Biens Culturels (Bunkazai Hogo In-kai), créée lors des conflits opposant les loyalistes et les fervents défenseurs de l’occident, elle continue encore de restaurer et préserver l’art ancien japonais.

Pour en savoir plus :

  • Seiroku Noma, The Arts of Japan: Late Medieval to Modern, Tokyo, Kodansha International Ltd, 1966.
  • Rimer, Thomas (éd.), Since Meiji: Perspectives on the Japanese Visual Arts, 1868-2000, Honolulu, University of Hawaii Press, 2012.

Expositions en liens à voir :

Si vous voulez vous plonger dans l’univers de l’époque, Tokonoma vous conseille le roman suivant :

  • Natsume Sôtseki (1867-1916), Je suis un chat, Gallimard, 1986.

Image de couverture : Kuroda Seiki (1866-1924), Sentiment, Impression, Sagesse, daté vers 1897, huile sur toile, Tokyo National Museum, Tokyo (Bien culturel important). Image : Kuroda Memorial Hall, Tokyo. (Ce triptyque a été présenté pour la première fois en 1897 lors de la seconde exposition de la Société du cheval blanc, puis en 1900 lors de l’exposition universelle à Paris sous le titre « Etudes de femmes nues » où il reçoit le prix d’argent.)

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