Victor Hugo et le Palais d’été

À la fin du XVIIe siècle, l’empereur Kangxi (r.1661-1722) lance un chantier pharaonique dans un immense parc de Beijing. Il souhaite construire un palais qui lui offrira une alternative confortable à la rudesse de la Cité Interdite. Agrandi sous le règne de ses successeurs, qui en font leur résidence principale, le Palais d’été ne mesure pas moins de huit fois la taille du Vatican au milieu du XIXe siècle !

Une « merveille du monde »

Léon Bonnat, Portrait de Victor Hugo, 1879, huile sur toile, Château de Versailles. Domaine public

 « Imaginez on ne sait quelle construction inexprimable, quelque chose comme un édifice lunaire, et vous aurez le Palais d’été. Bâtissez un songe avec du marbre, du jade, du bronze et de la porcelaine, charpentez-le en bois de cèdre, couvrez-le de pierreries, drapez-le de soie, […] ajoutez des jardins, des bassins, des jaillissements d’eau et d’écume, des cygnes, des ibis, des paons, supposez en un mot une sorte d’éblouissante caverne de la fantaisie humaine ayant une figure de temple et de palais, c’était là ce monument. » (V. Hugo, Lettre au Capitaine Butler, 1861)

Sans l’avoir jamais vu de ses yeux, Victor Hugo connaît le faste du gigantesque Palais d’été des empereurs Qing (1644-1912). Nommé Yuanmingyuan en chinois (« jardin de la clarté parfaite »), cet incroyable monument possède en effet une renommée qui s’étend jusqu’à l’Europe. Des missionnaires jésuites, les pères Giuseppe Castiglione et Michel Benoist, ont d’ailleurs participé à son édification. Il faut dire que le Yuanmingyuan est plus qu’un palais traditionnel. Pour satisfaire le goût pour l’exotisme de l’empereur Qianlong (1735-1796), il compte, en plus ses très nombreux pavillons de bois, plusieurs bâtiments en pierre de style européen. Mieux : c’est un microcosme, une représentation de l’Empire en miniature au sein de laquelle trône l’empereur.

40 vues du Yuanmingyuan, album de peintures sur soie accompagnées de poèmes de l’empereur Qianlong, 1744, Bibliothèque nationale de France. Domaine public

Sac et ruine du Palais d’été

La description émerveillée que donne Victor Hugo dans sa Lettre au capitaine Butler (1861) s’inscrit dans un contexte bien particulier. Car lorsque ce texte est écrit, du Yuanmingyuan ne restent plus que des ruines fumantes… Cette lettre de l’écrivain est un réquisitoire contre les gouvernements responsables de ce désastre :

« Un jour, deux bandits sont entrés dans le Palais d’été. L’un a pillé, l’autre a incendié. […] L’un des deux vainqueurs a empli ses poches, ce que voyant, l’autre a empli ses coffres ; et l’on est revenu en Europe, bras dessus, bras dessous, en riant. Telle est l’histoire des deux bandits. »

Voilà le drame qui se déroule au Palais d’été en 1860. Alors que la deuxième guerre de l’Opium (1856-1860) oppose la Chine au Royaume-Uni, aux États-Unis et à la France, les Français et les Britanniques décident de mener au Yuanmingyuan une expédition punitive à la suite de la capture des membres d’un corps expéditionnaire par les Chinois. Profitant de la fuite de l’empereur Xianfeng (r.1850-1861), les armées pénètrent sur le site dans la nuit du 6 octobre. Les trésors du palais sont pillés, les œuvres qui ne peuvent être emportées sont brisées. Sur ordre du comte d’Elgin, 3500 soldats sont ensuite chargés de réduire en cendres le palais. Celui-ci brûle trois jours durant…

Pillage du Palais d’été par les forces anglo-françaises en 1860, estampe, L’Illustration, 22 décembre 1860. Domaine public

150 ans plus tard…

Aujourd’hui encore, le sac du Palais d’été est vécu comme une humiliation par de nombreux Chinois. Marquant l’achèvement des deux guerres de l’opium, il constitue en effet le point culminant de l’impérialisme occidental dans la Chine du XIXe siècle et entérine le déclin de l’Empire du milieu. C’est également un désastre patrimonial irremplaçable, tant pour le palais en lui-même que pour son immense bibliothèque ou ses collections d’œuvres d’art.

Dans son indignation, Victor Hugo déjà espère « qu’un jour viendra où la France, délivrée et nettoyée [de ses gouvernants], renverra ce butin à la Chine spoliée. » Mais les trésors du Yuanmingyuan continuent encore aujourd’hui d’irriguer le marché de l’art asiatique, quand ils ne sont pas conservés dans des musées occidentaux. En effet, la question de la restitution ne s’envisage pas simplement. Outre des difficultés juridiques propres à chaque pays, les objets provenant du pillage sont difficilement identifiables et la manière dont ils ont quitté la Chine n’est pas toujours proprement illicite (nombre d’entre eux ont en effet été récupérés dès l’époque du sac par des antiquaires chinois pour être revendus). Certaines œuvres ont cependant pu être rapatriées à Beijing. En 2009, deux bronzes sont mis aux enchères dans le cadre de la dispersion de la collection Yves Saint Laurent. Ce sont une tête de rat et une tête de lapin, deux des douze animaux du zodiaque qui ornaient une fontaine devant un pavillon de style occidental. Après quelques péripéties, c’est finalement le milliardaire François Pinault qui en devient le propriétaire et qui décide de les rendre à la Chine.

Victor Hugo est, à l’époque du sac, l’une des seules voix à s’élever contre les gouvernements responsables de ces crimes. Sa Lettre au capitaine Butler est indissociable de l’histoire du Palais d’été et contribue encore aujourd’hui à la notoriété de l’écrivain en Chine. A l’occasion des 150 ans du sac, un buste de Hugo a même été dévoilé dans les ruines afin de commémorer son engagement.

En savoir plus :

Lire la Lettre au capitaine Butler de Victor Hugo

Découvrir les 40 vues du Yuanmingyuan, album de peintures sur soie conservé à la Bibliothèque nationale de France

Image de couverture : Ruines de l’ancien Palais d’été de Beijing. Wikimedia Commons

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