L’étonnant raffinement des oeuvres bouddhiques à l’époque de Heian

Après vous avoir parlé du sutra du Lotus et de ses principales caractéristiques au Japon, Tokonoma vous raconte aujourd’hui comment ce texte essentiel du bouddhisme a été illustré à l’époque de Heian. Délicates estampes et papiers dorés sont au programme !

L’époque de Heian au Japon (794-1185) est caractérisée comme son grand raffinement artistique, lié au développement d’une aristocratie aisée au rôle de commanditaire important. C’est par ce biais que se développe également un langage artistique plus proprement japonais, qui prend son autonomie par rapport aux modèles continentaux. À cette émulation artistique s’ajoutent des élaborations religieuses nouvelles, puisque naissent au début du IXe siècle de nouvelles sectes bouddhiques, notamment le Tendai, fondé par le moine Saicho. Ce dernier prône la suprématie du sutra du Lotus, texte bouddhique issu du monde indien, dont on date la rédaction vers le Ier siècle de notre ère.

Le sutra du Lotus connait un grand succès auprès de l’aristocratie ; il met en effet en avant la possibilité d’un chemin de salut universel ! Parmi les nombreuses écoles bouddhiques dont il est à l’origine, on trouve aussi l’amidisme : dans ce courant, accéder au salut n’a jamais été aussi simple. Un simple acte de foi suffit, par exemple réciter de nombreuses fois le nom du Buddha Amida. Dans ce contexte particulier sont créées des œuvres qui se détachent peu à peu des modèles chinois des premières productions liées au sutra du Lotus. Les aristocrates qui commandent ces œuvres religieuses en sont d’autant plus friands qu’elles leurs permettent d’améliorer leur karma – autrement dit, de se rapprocher du salut grâce à de bonnes actions. En l’occurrence, ces bonnes actions consistent à copier un sutra, à construire un stupa – même de manière symbolique seulement – ou encore à diffuser la doctrine bouddhique.

Durant cette époque, où se développent des langages artistiques propres à l’archipel, s’opère un étonnant syncrétisme entre l’esthétique des œuvres profanes et des œuvres religieuses qui en reprennent les techniques. On conserve plusieurs copies de sutras d’époque Heian sur le même type de papiers luxueux que ceux utilisés pour écrire les waka, poèmes rédigés par les femmes aristocrates sur des papiers parsemés de poudre métallique ou de morceaux d’or et d’argent.

Sutradulotus-Shitennoji
Sutra du Lotus en forme d’éventail, Tokyo National Museum, XIIe siècle

Les œuvres religieuses et profanes de l’époque de Heian font donc l’objet de techniques communes, mais aussi parfois – et plus paradoxalement – d’iconographies similaires. On sait qu’à l’occasion des funérailles, les nobles rivalisaient dans la calligraphie de sutras sur des feuilles en forme d’éventails. Un seul exemplaire est parvenu jusqu’à nous. Daté du XIIe siècle, c’est un trésor national conservé au temple Shitennôji d’Osaka et au Musée National de Tokyo. On y voit l’aboutissement du raffinement lié aux pratiques de copie, au point que l’on parle même de « sutra décoratif »… Le corpus est constitué de dix albums de feuilles d’éventails, s’ouvrant sur dix représentations de divinités féminines démoniaques (les rakshasi dont on vous parlait dans notre précédent article). Elles ont pourtant l’aspect des dames de la cour de l’époque de Heian !

Genji Monogatari Emaki, détail, XIIe siècle, Tokugawa Art Museum
Genji Monogatari Emaki, détail, XIIe siècle, Tokugawa Art Museum

Sur les feuillets, le texte se superpose à des images estampées et peintes, qui n’ont aucun lien direct avec lui. Des scènes de la vie quotidienne des aristocrates intègrent l’œuvre religieuse. La superposition du sutra et des images a permis d’avancer l’idée que l’on souhaitait mettre en lumière non pas des scènes de genre , mais la pénétration des doctrines du sutra du Lotus au cœur même des modes de pensées de l’aristocratie. Par ailleurs, le style de la figuration est extrêmement proche des rouleaux narratifs illustrés contemporains, comme celui du Dit du Genji (Genji monogatari emaki). Ces similitudes peuvent témoigner de la possibilité d’un même commanditaire, voire d’un atelier commun !

Le Japon a ainsi su se détacher des premières œuvres issues des modèles continentaux, pour enrichir le sutra du Lotus de significations particulières et plus proprement nationales, jusqu’à créer une certaine porosité entre œuvres religieuses et œuvres profanes… Une particularité du bouddhisme japonais qui a abouti à des œuvres particulièrement décoratives !

Pour en savoir plus

Pour contempler le sutra du Lotus du Shitennôji

Notre premier article sur le sutra du Lotus au Japon

Notre article sur l’époque Heian

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