Le sutra du Lotus, un canon bouddhique au Japon

Le sutra du Lotus a tôt fait l’objet d’un grand succès dans le bouddhisme extrême-oriental. A travers l’exemple du Japon, Tokonoma vous explique quelles doctrines révèlent les iconographies traditionnelles de ce texte essentiel du bouddhisme !

C’est au VIIe siècle que le bouddhisme japonais intègre le sutra du Lotus de la Bonne Loi, dont on place traditionnellement la rédaction en Inde au début de l’ère chrétienne. Ce texte doctrinal est divisé en vingt-huit chapitres et met en avant trois thèmes doctrinaux essentiels, dont le principal est l’idée d’un chemin de libération élargi à tous les fidèles. C’est en effet l’un des premiers textes mentionnant la notion de Mahayana, « Grand Véhicule », terme qui s’opposera au bouddhisme primitif dit du « Petit Véhicule » (Hinayana). Le bouddhisme du Grand Véhicule propose aux fidèles, laïcs compris, des formes plus diverses d’accès au salut. Plus besoin désormais de se faire moine pour atteindre l’éveil. On comprend alors ce qui vaut au sutra du Lotus sa popularité en Extrême-Orient !

Facilement reconnaissables grâce à une iconographie fixe venue du monde indien, les premières productions picturales japonaises, des images de dévotion, mettent en avant les grandes caractéristiques doctrinales qui font l’importance du texte. Le sutra du Lotus s’ouvre sur le sermon du Buddha Shakyamuni au pic des vautours. Alors que ce dernier entre dans une méditation profonde, divers prodiges ont lieu, signes que le sutra du Lotus est sur le point d’être enseigné. Une assemblée de divinités souhaitant entendre cette parole se forme alors autour du Buddha.

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Plaque de bronze représentant une scène d’assemblée, époque de Nara (710-794), Hase Dera, Sakurai (Nara)

Le chapitre 11 du texte fait l’objet d’une grande popularité auprès des artistes. Il décrit l’apparition dans un monument reliquaire stupa du Buddha Prabhutaratna qui vient mettre en relief la vérité de l’enseignement du Buddha historique (Shakyamuni) en train de prêcher. Ce dernier invoque alors les Buddhas des dix directions avant de prendre place lui aussi dans le stupa céleste. Ces trois événements successifs mettent en valeur la vérité, l’universalité et l’éternité de l’enseignement du Buddha Shakyamuni et valent au chapitre d’être souvent représenté. La force du passage est également due à sa facilité de mise en œuvre au travers de scènes d’assemblées, qui évoquent par analogie l’assemblée des fidèles… Qui se sentent ainsi concernés ! Ces images, comme la plaque de bronze du temple Hase-Dera (VIIIe siècle, Sakurai, Nara) mettent systématiquement en place une hiérarchisation ordonnée des divinités autour du stupa qui affecte la forme d’une pagode en Extrême-Orient.

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Mandala du Lotus, Japon, peinture sur soie, 137x124cm, XVIIIe siècle

Une particularité japonaise réside dans la volonté de mettre en avant certaines divinités populaires dont la place n’est pas primordiale dans le texte. Nous pourrons citer l’exemple des rakshasi, ces dix démons féminins mentionnés au chapitre 26, dans lequel ils font vœu auprès du Buddha de protéger le sutra du Lotus et ses fidèles. Ce rôle protecteur leur vaut auprès de l’aristocratie de l’époque de Heian (794-1185) puis de l’époque de Kamakura (1185-1333) une certaine popularité au Japon. Leur valeur féminine et le fait qu’il s’agisse de démons ne jouent sans doute pas un rôle anodin dans leur succès ! Encore une fois le sutra du Lotus est l’exemple d’un « Grand Véhicule », d’une possibilité universelle d’accès à l’Eveil. Les dix rakshasi du chapitre 26 intègrent régulièrement les compositions picturales, à commencer par les mandalas. Ceux-ci sont issus des modèles importés de la Chine des Tang par le moine Ennin, membre éminent de la secte Tendai qui prône au IXe siècle la suprématie du sutra du Lotus. De ces modèles continentaux les Japonais reprennent la composition caractéristique : les buddhas Shakyamuni et Prabhutaratna trônent au centre d’un lotus dont les huit pétales supportent des bodhisattvas, encadrés par quatre arhats dans un premier carré. Le deuxième carré contient seize bodhisattvas, et le troisième des divinités mineures auxquelles on ajoute les dix démons féminins.

Le Japon est l’exemple d’une adaptation progressive de l’iconographie traditionnelle du sutra du Lotus, liée à la popularité du texte qui lui vaut d’être souvent mis en images. Cet éloignement des modèles continentaux atteindra son paroxysme à l’époque de Heian, avec des œuvres de plus en plus liées à la peinture profane dans leur technique… et même parfois une iconographie mêlant scènes bouddhiques et épisodes du quotidien aristocratique !

Par David Pujos et Marianne Berthon

Rendez-vous ici pour la suite de cet article… On vous explique comment le sutra du Lotus a été illustré à l’époque Heian !

Image de couverture : Rouleau de l’Heike Nokyo, v. 1164, or, argent et couleurs sur papier, Itsukushima

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