Cantatrice, orientaliste, féministe, exploratrice… Alexandra David-Néel a eu mille vies, et son travail a largement contribué à mieux faire connaître l’Extrême-Orient en Europe. Petit aperçu de son existence mouvementée.

Née en 1868, Louise Eugénie Alexandrine Marie David, mieux connue sous le nom d’Alexandra David-Néel, vit plus de cent ans, jusqu’en 1969. Elle emploie cette longue existence à suivre sa vocation d’orientaliste, née très tôt. Assez délaissée par ses parents, la jeune Alexandra se plonge dans des ouvrages philosophiques et dans des atlas sur l’Asie. Très précoce, elle étonne les mondains aux réceptions de ses parents, en leur répondant avec une maturité déconcertante (et un peu angoissante) !
Voyageuse dans l’âme, Alexandra David-Néel enchaîne les fugues, notamment à vélo. Mais c’est sa rencontre avec l’anarchiste Élisée Reclus qui va véritablement affirmer sa soif de voyages ; elle découvre alors les idées féministes, qui correspondent à son idéal de liberté. Son mariage avec Philippe Néel, ingénieur rencontré en 1900 alors qu’elle est cantatrice à Tunis, ne freinera pas cette volonté !

En effet, Alexandra David-Néel fait preuve d’une détermination sans faille. Fascinée par ce qu’elle voit au musée Guimet (transféré de Lyon à Paris en 1889), elle devient bouddhiste à 25 ans, à une époque où cette philosophie était très peu répandue en Occident, et apprend le sanskrit pour pouvoir continuer à étudier les textes sacrés dans leur langue d’origine… Bien plus tard, de 77 ans à son décès, elle consacre son temps à rédiger des ouvrages sur le bouddhisme, reconnus par les plus grands spécialistes et explorateurs de l’époque, qui sont aussi ses amis.
Cependant, son exploit ne va pas s’accomplir dans les livres, mais dans un voyage. En 1924, Alexandra David-Néel entre à Lhassa, cité interdite tibétaine. Aucun explorateur* n’avait pu y pénétrer, encore moins une femme occidentale ! Accompagnée de son fils adoptif Aphur Yongden, Alexandra David-Néel entreprend un voyage clandestin dangereux dans ces terres hostiles et désertiques des montagnes tibétaines, et risque plusieurs fois sa vie pour parvenir à cet objectif qu’elle s’est fixé depuis des années.

Cet exploit va lui valoir une renommée internationale, et parachève sa « carrière » bouddhiste ! Avant cela, Alexandra David-Néel a en effet passé avec succès de nombreuses degrés d’initiation, en étant formée par les plus grands maîtres du bouddhisme tantrique et en pratiquant les expériences les plus difficiles. Présentée par ses compagnons de voyage tibétains comme une « dame-lama », Alexandra David-Néel rencontre le XIIème dalaï-lama en 1912, vit deux ans dans un ermitage donnant sur l’Himalaya, et apprend à maîtriser la pratique du toumo (« violent embrasement du feu intérieur »). Afin de tester cette puissante technique de yoga, elle se prête à un exercice impressionnant, en séchant uniquement par sa concentration des draps trempés dans la rivière glacée, assise au milieu des neiges tibétaines…
Personnage fascinant, Alexandra David-Néel vaut la peine d’être connue ! Sa détermination et sa soif de connaissances sur l’Extrême-Orient ont fait d’elle rien de moins que la plus grande exploratrice du XXème siècle.
Pour en savoir plus :
L’association Alexandra David-Néel permet notamment de visiter « Samten Dzong », la maison de Digne-les-Bains où l’exploratrice a passé les dix dernières années de sa vie en compagnie de son amie et aide Marie-Madeleine Peyronnet.
Depuis le décès d’Alexandra David-Néel, Marie-Madeleine Peyronnet s’est attachée à faire connaître ce personnage et à rassembler et publier ses textes. Elle a ainsi publié sous le titre Correspondance avec son mari l’intégralité des lettres échangées de 1904 à 1941 entre Alexandra David-Néel et son époux Philippe Néel.
Marie-Madeleine Peyronnet a également raconté les dix années passées auprès de l’exploratrice retraitée dans Une vie avec Alexandra David-Néel. Cet ouvrage a été mis en images dans l’excellente bande dessinée de Fred Campoy et Mathieu Blanchot (tomes 1 et 2), enrichie de pages scientifiques par le Musée National des Arts Asiatiques Guimet qui a consacré à l’aventurière une exposition en 2017.
* NB : si Alexandra David-Néel est bien la première exploratrice à entrer à Lhassa, elle n’est pas la première personne occidentale à s’y rendre, puisque des missionnaires avaient déjà tenté l’expédition. Marco Zanni, lecteur attentif de Tokonoma, nous fait ainsi remarquer :
« On revient de plus en plus sur cette vision d’un Tibet fermé aux occidentaux, notamment Lhassa qui en tant que grande capitale culturelle du sous-continent à attiré quelques missionnaires occidentaux. Dès le XVIIe, des expéditions furent lancées au Tibet, et au XVIIIe des Capucins installent leur mission à Lhassa. De 1844 à 46, deux pères français voyagent au Tibet et atteignent Lhassa, même s’ils se font gentiment virer. En fait, le Tibet ne s’est fermé aux Occidentaux qu’avec l’influence Mandchoue, et de façon vraiment efficace que pendant un demi-siècle, de la moitié du XIXe au début du XXe. »
Sources :
Clichés tibétains, Idées reçues sur le Toit du monde, livre sous la direction de Françoise Robin
Article Le christianisme au Tibet, par Laurent Deshayes