Même si vous n’avez jamais entendu parler de cette période de l’histoire de la Corée, ce nom vous est quelque part familier : le mot Corée, utilisé pour désigner aujourd’hui la péninsule, est son dérivé. Goryeo (918-1392) est la contraction de Goguryeo, un des trois royaumes dont sont issus les ancêtres marchands de Wang Geon (877-943), général du roi de l’éphémère Goguryeo postérieur (901-918). Il réussit un coup d’état en 918 et réunifie la péninsule sur laquelle il règne sous le nom de Taejo.

Par ailleurs, Wang Geon instaure un gouvernement confucéen sur le modèle chinois, basé sur une sélection au mérite de ses fonctionnaires, abolissant ainsi le système des os, qui primait sous le Silla unifié, et qui favorisait l’installation de ces mêmes familles au pouvoir. Le concours de recrutement est formalisé par son quatrième fils, Gwangjong, en 958. Cependant la période est marquée par de nombreuses invasions de ses voisins, de la part des Liao (907-1125), des Jin (1115-1234), puis des Mongols, six fois entre 1231 et 1257, qui régneront sur la Chine sous le nom des Yuan (1279 – 1368), mais aussi par des troubles internes avec notamment un coup d’Etat entre 1170 et 1258 durant la période. On observe ainsi une recrudescence des pratiques bouddhiques, religion déjà installée durant les périodes précédentes, afin d’acquérir protection et compassion.
Le bouddhisme, clef de voûte de la période
Instauré comme religion d’état, il va connaître une grande faveur à cette époque. De nombreux moines voyagent vers la Chine en quête de textes bouddhiques. Au XIIe siècle, le moine Seon (Zen en japonais ou Chan en chinois) Jinul (1158-1210) procède à d’importantes réformes visant à unifier les différentes écoles qui forment le clergé. Son ordre, Jogye, devient leur clef de voûte, ce qui amène à un considérable développement du bouddhisme Seon, bien qu’il soit déjà présent dès le Silla Unifié. On observe un fort développement de monastères au sein des montagnes. Ils reçoivent un fort mécénat prestigieux, en matériel liturgique et peintures notamment, tant de la part du gouvernement que des élites.
Un patronage des arts
Le Goryeo assure un patronage et un contrôle direct des arts, via des ateliers impériaux mais aussi des peintres moines, ce qui préside à leur qualité. Les registres gardent des preuves de la création de ces ateliers impériaux, que ce soit un atelier de papier, ou de peinture. Ils sont par ailleurs concomitants de la création de la première académie impériale, Sungkyungkwan, en 992. La création de ces ateliers montre la place que le bouddhisme a pour les élites, qui commandent la production d’oeuvres raffinées, pour exprimer leur ferveur religieuse et obtenir une protection. La valeur matérielle de l’offrande conditionne son importance. Ce Sûtra du lotus, l’un des textes les plus copiés, est, avec son papier de mûrier teinté à l’indigo et rehaussé d’or, un bon exemple de la manière dont le support est amené à magnifier le texte. Le Sûtra du Lotus exprime la nature fondamentale du Bouddha et instruit les adeptes sur les moyens de parvenir à l’illumination et au salut universel.

De nombreuses peintures bouddhiques conservées

L’iconographie privilégie des figures proposant une protection. La plus populaire étant Avalokiteshvara, boddhisattva de la compassion : il connaît une forte dévotion liée à la protection qu’il apporte lors de voyages et contre tout désastre. L’iconographie dite d’ « Avalokiteshvara à l’eau et à la lune », tirée du Sûtra de la guirlande de fleurs, le deuxième plus copié sous Goryeo, est très fréquente dans les peintures qui nous sont parvenues. Auréolé par la lune, il est assis dans la pose du délassement des rois (une jambe repliée à l’équerre) sur un rocher représentant l’île de Potalaka dans la mer du Sud, où il prêche pour aider les êtres conscients à se libérer de leurs peurs et atteindre l’éveil.

La peinture appliquée au revers et à l’endroit permet de donner aux couleurs éclat et densité et d’appuyer les délicats effets de transparence des tissus. Le tracé rehaussé d’or magnifie les parures des divinités, et accentue l’élégance déjà visible dans le canon allongé des doigts, caractéristique de la production luxuriante et minutieuse de l’époque.
D’autres productions luxueuses : l’orfèvrerie et les laques
Si l’orfèvrerie est particulièrement réputée sous Goryeo, la technique du laque, en provenance de Chine, connait un grand développement, avec en particulier une technique d’incrustation, additionnées de carapaces de tortue et de nacres, inspirée de celle en vogue sous les Song (960-1279), comme on peut le voir sur cette boîte à sûtra. Le décor couvrant de chrysanthèmes se retrouve sur de nombreuses pièces, ainsi que sur des cabinets de toilettes à usage profane. La maîtrise se perpétue sous la période Joseon (1392-1910) suivante.
Boîte à Sutras, Laque noire incrustée de nacre, dyn. Goryeo, XIIe ou XIIIe siècle, Tokyo National Museum, Tokyo. Photo : Tokyo NM.
Boîte à encens ou à cosmétiques, laque incrustée de nacre, de carapace de tortue et de fils de laiton. H.4,1 cm, L.10,2 cm.Dyn. Goryeo (XIIe siècle). Metropolitam Museum, New York. Photo : MET.
Les céladons coréens, admirés en Chine
Les céladons de Goryeo sont réputés : un fonctionnaire chinois en visite à la cour de Goryeo les aurait même qualifiés de « premiers sous le ciel ». Pourtant, les artisans se sont inspirés de ceux chinois produit dans les fours de Yue en Chine du sud-est, poussant la technique et développant leur propre production. Ils sont réalisés dans un grès porcelaineux sur lequel on pose une couverte riche en oxydes de fer. Elle est ensuite cuite entre 1100 et 1200°C en réduction, ce qui lui donne sa couleur verte caractéristique, comparée au jade, grâce aux fours dragons construits à flanc de colline. Ils permettent à la fois d’atteindre ces températures élevées et d’avoir un grand rendement. Plus de deux cents de ces fours ont été localisés et étudiés au sud-est de la Corée, perçu comme le centre de production majeur.
Produits dès le IXe siècle, ces céladons connaissent leur apogée au XIe et XIIe siècles . La variété de leurs formes (naturalistes, zoomorphes, bouteilles à haute panse…) et de leurs décors leur confèrent un grand raffinement. Les artisans innovent avec des incrustations, dites sanggam en coréen, inspirées des arts du métal, et réalisées à l’aide d’engobe noire ou blanche, avant la pose de la couverte. Malheureusement, les invasions mongoles mettent un coup d’arrêt à leur essor : les fours sont détruits et les artisans éparpillés !
Verseuse, Céladon, 22,3 cm, dyn. Goryeo (XIème siècle). Freer Gallery of Art, Washington. Photo : Wikipedia commons. Verseuse à vin en forme de melon. Céladon, 21,6cm, dyn. Goryeo, 1ère moitié du XIIe siècle, Metropolitan Museum, New York. Photo : Domaine Public (MET) Verseuse en forme de dragon. Céladon, 24,4 cm. dyn. Goryeo, XIIe siècle.Trésor national n°61. Musée National de Corée, Séoul. Photo : MN Corée Bol décoré de pivoines, céladon, 6,7 cm de diamètre, dynastie Goryeo (XIIIe siècle), Metropolitan Museum, New York. Photo : MET Museum
Arts du livre et imprimerie
Enfin, l’imprimerie par blocs gravés apparaît dès le VIIIe siècle dans la péninsule et connaît avec la montée du bouddhisme un essor sous le Goryeo. Le Tripitaka Koreana, ou canon bouddhique coréen — qui avec ses 81 258 plaques de bois, est aujourd’hui l’édition la plus complète et ancienne conservée — est un appel à la grâce du Bouddha. Il est la seconde version d’une première détruite lors de l’invasion mongole, et refaite en prière à Bouddha pour protéger la nation. Elle est conservée depuis le XVe siècle au temple de Haein-sa, au Sud, et a survécu à pas moins de sept incendies !

Rayonnages du Tripitaka Koreana, temple de Haein-sa, Corée du Sud. Creative Commons (Photo : Lauren Heckler)
On voit par ailleurs apparaître les premiers caractères métalliques durant le XIIIe siècle, afin de répondre à la demande croissante d’ouvrages, notamment religieux. On doit ainsi au bouddhisme Seon le plus vieux livre imprimé à l’aide de caractères mobiles du monde : l’Anthologie des enseignements Zen des grands prêtres bouddhistes, connu plus simplement sous le petit nom coréen de Jikji, publié en 1377. Des deux volumes, seul le second est conservé aujourd’hui à la BNF.
Caractères amovibles utilisés pour le Jikji, Métal,
dyn. Goryeo (1377). Photo : Wikipedia Commons
Livre imprimé en caractères mobiles, dyn. Goryeo (1377). BNF, Paris. Photo : Domaine public
La dynastie, affaiblie par les invasions mongoles, qui procède à des raids, pillages et déportations, résiste jusqu’en 1270, puis cède à des relations tributaires lourdes avec la dynastie Yuan (1234-1368). S’ajoute à partir de 1350 une montée des incursions de pirates japonais sur les côtes. Avec l’avènement de la dynastie Ming (1368-1644) en Chine deux camps émergent au Goryeo, dont celui de Yi Seong-Gye (1335-1910), pro-Ming, qui en sort vainqueur et fonde la dynastie suivante en 1392…
Pour en savoir plus
- Si le coeur vous en dit, vous pouvez aller feuilleter le Jikji sur le site de la BNF.
- Le MET quant à lui met à disposition ce merveilleux catalogue si vous souhaitez en savoir plus sur cette période.
Image de couverture : Kshitigarbha, Encre, couleurs et or sur soie. 84,5 × 36,8 cm. Dyn. Goryeo (XIVe siècle). Metropolitan Museum, NY. Photo : domaine public (MET)
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