Le musée d’Ennery ou la collection de chinoiseries d’une élégante

Au cœur du seizième arrondissement de Paris, sur la très chic avenue Hoche, l’hôtel particulier au numéro 59 abrite un musée, souvent méconnu du grand public : le musée d’Ennery. Si les lieux semblent aujourd’hui bien vides – le musée n’étant ouvert que le samedi matin sur réservation – il en était tout autrement dans la seconde moitié du XIXe siècle, à l’époque de ses illustres propriétaires, Adolphe et Clémence d’Ennery.

Adolphe d’Ennery (1811-1899), dramaturge à succès dans les théâtres des Grands Boulevards, et son épouse Clémence (1823-1898), surnommée Gisette, forment un couple haut en couleurs dont les réceptions sont fréquentées par le Tout-Paris. Le somptueux escalier du hall d’entrée nous permet d’imaginer le défilé permanent de l’intelligentsia du théâtre parisien, invité aux traditionnels dîner du vendredi soir chez le couple d’Ennery. Ancienne actrice de théâtre, Clémence d’Ennery est une femme élégante et fantasque. Elle fait tourner de nombreuses têtes dont celle d’Edmond de Goncourt, qui la décrit dans son Journal comme « radieuse et charmante […] ses yeux un peu vagues et tendrement clignotants, la forme charmante de son nez… ». De la beauté de cette femme ne semblent pourtant subsister aucune photo.

Chimère, Japon : d'Ennery
Chimère en grès émaillé       Crédits: MNAAG, Paris, Dist. RMN-Grand Palais / Benjamin Soligny / Raphaël Chipault

Clémence la mondaine a une passion dévorante, à laquelle elle s’adonne toute sa vie, pour l’art et plus particulièrement pour les objets japonais et chinois. Parmi ses objets de prédilection, Clémence collectionne sans limite les chimères, ces objets de porcelaines en forme d’animaux fantastiques qu’elle appelle « ses monstres ». Dès les années 1850, la collectionneuse en possède déjà cent-cinquante qu’elle agence dans un des salons de sa demeure, dans une sorte de « ménagerie de la fantaisie » selon les frères Goncourt. Sa collection participe à sa mise en scène mondaine. Clémence apprécie faire découvrir à ses invités étonnés ces étranges monstres de toutes formes et de toutes couleurs. Le goût prononcé et exclusif de Clémence pour les chimères est très étonnant pour l’époque, qui se passionne davantage pour les estampes japonaises, et révèle qu’elle n’est pas « une femme comme les autres » pour reprendre le mot de Jules de Goncourt.

Clémence d’Ennery n’est, toutefois, pas complètement en dehors de la mode de son temps. La France des années 1870 est marquée par la réouverture du Japon et la reprise des échanges commerciaux avec ce pays fermé depuis plus de deux siècles. L’art japonais est d’abord redécouvert par un petit groupe d’amateurs et d’intellectuels tel que le poète Charles Baudelaire ou le peintre Vincent Van Gogh, qui crée le mouvement du japonisme. La fièvre japonisante atteint ensuite le grand public par le biais des Expositions Universelles de 1867 et 1878.

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Vue du musée d’Ennery Crédits: RMN-Grand Palais (MNAAG, Paris) / Thierry Ollivier

À la fin de sa vie, Clémence d’Ennery décide de transformer son hôtel particulier en musée, avec l’aide d’Emile Deshayes, premier conservateur du musée Guimet. Elle enrichit et diversifie sa collection en faisant l’acquisition d’une importante collection de netsuke sur les conseils de Georges Clemenceau. Sans enfants, elle lègue sa collection, l’œuvre de sa vie, et l’hôtel particulier à l’Etat. Elle impose la gratuité de l’accès au musée, encore respectée aujourd’hui. L’hôtel particulier est le dernier témoignage de la personnalité hors-norme de cette figure du Tout-Paris et du formidable engouement des amateurs pour l’art japonais dans la seconde moitié du XIXe siècle. L’âme de Clémence d’Ennery à travers le musée qu’elle a conçu reste intacte aujourd’hui.

 

 

Pour aller plus loin :

  • Le musée d’Ennery est aujourd’hui géré par le musée Guimet. Il est accessible gratuitement en visite guidée uniquement sur réservation le samedi matin.
  • Un court métrage a été réalisé sur le musée d’Ennery par Jérôme Prieur en 2014, Le petit musée de Clémence d’Ennery.

 

Photo de couverture : Vue d’une salle du musée d’Ennery. Crédits RMN-Grand Palais (MNAAG, Paris) / Thierry Ollivier