La peinture bouddhique zen

Le bouddhisme Zen au Japon, ou Chan en Chine, est issu du bouddhisme Mahâyâna. Comme ce dernier, il vient d’Inde où il est désigné en sanscrit par dhyana qui signifie « méditation » ou « immersion ». À l’origine, ce terme désigne la pratique bouddhique consistant, par la méditation, à s’ouvrir à l’essence des choses, percevoir l’espace qui nous entoure et se laisser aller à l’immanence du monde. Le Zen se démarque par une approche libérée du poids des rituels et des règles à respecter dans le bouddhisme ésotérique, pour se concentrer sur l’aspect méditatif jugé seul suffisant à nous faire atteindre l’éveil. Mais alors, comment s’exprime-t-il dans la peinture ?

Daruma
Hakuin Ekaku (1685-1768), Daruma en méditation, XVIIIe siècle, encre sur papier, 59×17 cm, MA 6250, Musée Guimet.

Le Zen gagne en popularité en Chine au VIe siècle, bien que l’on retrace sa présence dès le IIe siècle. L’histoire retient la venue de Bodhidarma (ou Daruma en japonais) – le 28ème patriarche après Sâkyamuni – au VIe siècle, il aurait traversé le fleuve Yangzi sur un roseau et aurait médité durant neuf années sur le mont Song dans le pays de Wei. Cette branche du bouddhisme se focalise sur l’aspect méditatif, seule condition pouvant permettre à l’être humain d’atteindre l’éveil. Le maître est là pour guider ses disciples sur la voie du Zen, notamment au moyen de questions qui se révèlent plutôt déroutantes. Pour exemple : « De quelle nature est le bruit provoqué par une seule main qui applaudit ? » Un siècle plus tard, la doctrine est introduite au Japon par la venue de moines japonais en Chine et de moines chinois au Japon, toutefois ce n’est qu’au XIIe siècle qu’il s’implante véritablement dans l’archipel.

Sesshû TNM
Sesshû Tôyô (1420-1506) Paysages d’automne et hiver, XVe-XVIe siècle, encre sur papier, 47,7×30,2 cm, A1398, Tokyo National Museum.

Ainsi le Zen est une discipline mentale et d’ascèse physique menant à une vie proche de la nature. Les thèmes du paysage, des animaux et des végétaux sont fréquemment réemployés par les pratiquants du Zen dans la peinture. Il est intéressant de noter que ces thèmes sont les mêmes que ceux abordés par les lettrés. La différence tient dans la façon de traiter le sujet, en particulier avec l’emploi de l’encre monochrome, jugée plus apte à retranscrire directement la spontanéité du geste du peintre, où son expression personnelle est mise au centre de la création picturale. Différentes gradations sont toutefois obtenues grâce à une encre plus ou moins diluée avec de l’eau, apportant profondeurs et nuances dans le tracé.

 

Kaô Priest Prawn 86,6x31,5cm, TM
Kao, Le moine aux crevettes, époque de Muromachi (1336-1573), encre sur papier, 86,6×31,5cm, Tokyo National Museum.

La peinture est un moyen d’expression adoptée par des moines Zen pour leur communauté et leurs monastères, mais pas uniquement. Des poètes, hommes d’État ou encore lettrés proches du Zen adoptent également les codes de celui-ci dans leurs œuvres. Le philosophe et écrivain Shin’ichi Hisamatsu (1889-1980) propose sept qualités et valeurs également présentes dans la peinture Zen. Il s’agit de l’asymétrie, la simplicité, la spontanéité, la profondeur spirituelle, la sérénité intérieure, le détachement du monde et l’absence d’ornement. Cependant,  l’idée de l’omniprésence de la nature de Bouddha dans tout ce qui nous entoure domine les thèmes picturaux et justifie la variété de choix dans la peinture Zen, parfois dotée d’un certain humour. Et bien que les personnages propres au Bouddhisme – qu’il s’agisse de Bouddha, de bodhisattvas, d’arhats ou encore de moines – soient fréquemment peint, ils le sont sous la forme d’êtres mortels. Le but n’étant pas de se raccrocher à des images religieuses ni de présenter aux croyants une manifestation sacrée, bien au contraire.

Un des thèmes les plus populaires dans la peinture mais aussi la poésie Zen depuis le XIe siècle est celui du bouvier et du buffle. La métaphore permet d’illustrer en dix étapes les épreuves parsemant le parcours d’un disciple du Zen à la recherche de l’éveil. Le bouvier représente le disciple et le buffle son soi intérieur. Ainsi le bouvier part à la recherche du buffle, le découvre et l’apprivoise avant de réaliser qu’ils ne font qu’un, à ce stade du parcours, la peinture représente un cercle (ensô) signifiant l’essence des choses sans fin ni début, le vrai vide. Puis un paysage marque l’harmonie du disciple, qui a alors atteint l’éveil, avec le monde qui l’entoure, avant qu’il ne retourne auprès de ses pairs afin de les guider à leur tour sur la voie.

 

Cet état de méditation s’est transposé à différents aspects de la vie courante, pas seulement la peinture ; c’est ainsi que le bouddhisme Zen s’instille également dans les arts floraux (ikebana), la calligraphie (bokuseki), le théâtre (nô), le thé (chado), et même jusque dans les jardins. On peut noter l’usage d’accrocher dans l’alcôve tokonoma (si le mot vous dit quelque chose…) une peinture ou une calligraphie lors de la cérémonie du thé – le thé fut, avant de devenir plus populaire, une boisson consommée par les moines durant leur méditation pour se tenir éveillé. Elle peut être accompagnée d’un arrangement floral (ikebana) et/ou d’un objet esthétique. Simplicité et sérénité sont les maîtres mots des œuvres disposées dans le tokonoma.

Bien que le bouddhisme Zen ait connu un déclin durant la période Edo (1615-1868), il fut mis au service de l’empereur et associé au mouvement nationaliste grandissant du début du XXe siècle, lors des guerres Sino-japonaises de 1894 à 1895 et de 1937 à 1945. Il s’est aujourd’hui affranchit de ses liens politiques et nourrit un nouvel intérêt philosophique, tout en conservant ses origines religieuses. Son influence au sein de différents arts perdure également.

 

Pour en savoir plus :

Brinker, H., Kanazawa H., Zen Masters of Meditation in Images and Writings, Zürich, Artibus Asiae Publishers, 1996.

Hisamatsu, Shin’ichi, Zen and the Fine Arts, Tokyo, Kodansha International, 1971.

Image de couverture : Dans le style de Shi Ke (attr.), Fenggan en contemplation, encre sur papier, 35,3×64,4 cm, Song du Sud, TA162, Tokyo National Museum.

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