Après les affres de la Révolution culturelle (1966-76), un vent de liberté souffle sur la Chine. Le pays bouillonne de nouvelles idées et la liberté d’expression atteint une ouverture inédite. Dans ce contexte, des artistes se constituent en collectif et découvrent l’art contemporain occidental. Parmi ceux-là : les Etoiles (Xing Xing 星星), pionniers de l’art contemporain chinois. L’existence des Etoiles, bien que brève (1979-81), marque un temps fort et unique de l’art chinois où les artistes osent revendiquer leur liberté et critiquer le régime. Nous vous proposons de découvrir ce groupe au travers des œuvres de Ma Desheng et de Wang Keping.
La critique du régime et de son idéologie
Le 27 septembre 1979, les Etoiles marquent les esprits : ils accrochent leurs œuvres sur les grilles du Musée national des arts à Pékin, qui avait refusé de les exposer. Cet acte radical révèle les caractéristiques et principes du groupe. Jeunes, rebelles et plein d’espoir, ils défendent la liberté individuelle et la démocratie et attaquent donc le régime politique chinois et à la censure.



Yan Li, Li Shuang et Qi Leilei devant des sculptures de Wang Keping, parlant avec des visiteurs, Li Xiaobin, 1979, photographie argentique, coll. part
Visiteurs, Li Xiaobin, 1979, photographie argentique, coll. part

Visiteurs devant des oeuvres de He Baosen, Chi Xiaoning, 1979, photographie argentique, coll. part
Dans Royal Door, Ma Desheng, en représentant la porte entrouverte du palais impérial, dénonce de manière efficace l’opacité du gouvernement, auquel on doit obéir sans comprendre. Cette image forte et hautement symbolique accentue ainsi l’hypocrisie d’un régime qui dit avoir un projet commun mais en réserve la compréhension à une petite élite.
Les critiques proférées par Wang Keping sont plus explicites. La sculpture Silence fait clairement référence au manque de liberté d’expression et à la censure subies par les artistes. L’absence d’oreille, la bouche bâillonnée et l’œil masqué montrent que les sens et l’accès à l’information sont largement limités.
Avec Idole, Wang Keping va encore plus loin dans la contestation du régime. En effet, il caricature Mao Zedong, le fondateur de la République populaire de Chine et son dirigeant jusqu’en 1959. En déformant ses traits, il propose une autre vision du régime et s’oppose aux représentations officielles omniprésentes diffusées par la propagande. Le titre invite le spectateur à s’interroger sur le patriotisme à outrance basé sur le culte du chef. Par cette oeuvre, Wang Keping se rapproche aussi des artistes de l’avant-garde occidentale, fascinée par le visage et la personnalité de Mao, tels qu’Andy Warhol.


Par leur petit format, ces trois œuvres révèlent la difficulté pour les artistes de créer librement. En effet, Ma Desheng et Wang Keping n’avaient pas d’atelier et sculptaient chez eux, avec des outils rudimentaires, dans le secret :
« Nous gardions nos œuvres à la maison, cachées. […] Nous vivions dans la peur constante, une pression morale, la peur d’être accusés puis arrêtés. » (Ma Desheng)
L’iconographie des œuvres est également intéressante : simple, efficace, elle se veut marquante et compréhensible par tous.


Les préoccupations sociales et l’intérêt pour le peuple
« Nos œuvres étaient très différentes car elles étaient plus proches de la société. » (Ma Desheng)
Cette citation de Ma Desheng révèle l’intérêt des Etoiles pour les préoccupations quotidiennes du peuple qui vit sous une pression sociale et politique constantes. Les artistes cherchent à montrer l’impact de l’idéologie communiste sur le peuple et notamment les conséquences de la Révolution culturelle (1966-76) qui a plongé le pays dans le chaos. Durant ces dix années, toutes les institutions scolaires et culturelles étaient fermées, les intellectuels emprisonnés ou assassinés et la peur était constante.
Dans Les cris du peuple, Ma Desheng s’inspire de l’iconographie du réalisme social utilisé par les affiches de propagande : des mains y sont souvent représentées, dirigées dans le même sens, faisant des gestes d’obéissance. A l’inverse, Ma Desheng dessine des mains qui protestent, qui dénoncent, qui frappent… Son objectif est de rappeler que le peuple n’est pas une masse uniforme mais un ensemble d’individus différents, qui expriment ici leur individualité.

Dans Repos, Ma Desheng s’intéresse à la condition des paysans qui souffrent de fortes inégalités malgré l’idéologie communiste dont il dénonce l’hypocrisie : « Chaque année quand je retournais dans la campagne, je regardais les paysans faire leur travail, un travail physique, primitif et abrutissant. J’ai réalisé combien ils étaient pauvres, en terme matériel et culturel, comparés aux gens de la ville. Pourtant, ils ne se plaignaient jamais et continuaient leur travail en silence. […]Quelques cadres du Parti s’indignaient toujours de la pauvreté de la Chine et indiquaient que tout le monde devait se serrer la ceinture mais eux ne faisaient rien de tel. »
Très pessimiste, cette image au symbolisme fort nie la capacité émancipatrice du travail. L’artiste a expliqué ainsi son oeuvre : « Il est venu au monde en silence et le quitte aussi en silence, après avoir laissé derrière lui des millions de gouttes de sueur sur la terre. »
La découverte de l’art moderne occidental

En plus de nous montrer les conditions de création dans la Chine des années 1979, l’œuvre Square meters de Ma Desheng est un témoignage de la présence de l’influence de l’art moderne occidental sur les artistes chinois. Ces œuvres amènent les artistes à rompre avec le réalisme social incarné par l’art de propagande. L’exposition French Rural Landscape Painting Exhibition (1978-79) a eu un rôle déterminant : après 10 ans de censure, les oeuvres des artistes français du XIXe et XXe sont montrées au grand public. Alors que Hang Rui, un des fondateurs des Etoiles, est fasciné par le cubisme et les oeuvres de Cézanne, Qu Leilei s’inspire quant à elle de Sonia Delaunay.
Dès 1981, débutent une forte répression et censure : arrestations d’artistes, fermetures des lieux d’exposition et fin des débats. Le groupe se sépare et la plupart des artistes des Etoiles s’exilent à l’étranger, notamment en France comme Wang Keping et Ma Desheng. Cet exil a permis paradoxalement une internationalisation de l’art chinois notamment l’art des Etoiles.

Au premier rang : Qu Leilei, Li Shuang, Zhong Asheng, Ma Desheng. Au deuxième rang : Wang Keping, Yan Li, Hang Rui, Cheng Yansheng
En savoir plus
Si ce sujet vous intéresse, nous vous invitons à consulter les ressources ci-dessous mais aussi à regarder les oeuvres d’autres membres des Etoiles : Qu Leilei, Yanli, Ai Weiwei, Bo Yun, Li Shuang, Mao Lizi, Shao Fei, Wang Luyan, Yang Yiping, Zhong Acheng (Ah Cheng), Zhang Hongtu, Zhang Wei, Zhao Gang et Zhu Jinshi.
Si vous voulez voir les oeuvres de Wang Keping, elles sont exposées du 15 janvier au 12 mars à la galerie Nathalie Obadia à Paris.
Livres sur le sujet :
- Stars 79-80, Li Xianting, Huaug Rui (dir.), The Chinese University of Hong Kong Press, Hong Kong, 2019 (en anglais)
- Wang Keping, Julie Rouart (dir.), Flammarion, Paris, 2022 (catalogue de l’exposition « Wang Keping » de la galerie Nathalie Obadia à Paris) (bilingue anglais-français)
Toutes les photos de l’article sont des photographies du livre, Li Xianting, Huaug Rui (dir.), The Chinese University of Hong Kong Press, Hong Kong, 2019.
Image de couverture : Visiteurs devant des oeuvres de Qu Leilei, Li Xiaobin, 1979, photographie argentique, coll. part