Dans le cadre de son partenariat avec l’AFAO, Tokonoma vous parle de l’ouvrage Autour du Traité des Rites écrit par Anne Cheng (professeure au Collège de France, titulaire de la Chaire d’Histoire intellectuelle de la Chine) et Stéphane Feuillas (professeur de langue et civilisation de la Chine classique à l’Université de Paris), publié au début de l’année 2022. Il fait suite au colloque « Autour du Traité des Rites : de la canonisation du rituel à la ritualisation de la société », organisé en juin 2018 par le Centre de recherche sur les civilisations d’Asie orientale (CRCAO) au Collège de France. Les auteurs s’attachent à repenser les études présentées il y a quatre ans pour tenter de cerner à nouveau le Traité des rites, un Classique de la littérature chinoise, la valeur du rite et son poids dans la sacralisation des rapports sociaux et politiques. À cette occasion, Tokonoma revient sur ce Classique de la culture chinoise !
Le Traité des Rites, une reconstruction de circonstance

Trois textes ritualistes voient le jour sous la dynastie des Han antérieurs (206 av. J.-C. – 8 ap. J.-C.), à la fin du Ier siècle avant notre ère : le Zhouli (Rites des Zhou), le Yili (Rites cérémoniels) et le Liji (Traité des Rites). Ces compendia rassemblent les rites qui entourent la vie administrative, sociale et politique. Ils reconstituent des groupes de textes plus anciens rédigés et commentés par Confucius (551 – 479 av. J.-C.) et ses disciples.
Durant la période Qin (221 – 206 av. J.-C.), le Premier Empereur oppose au pouvoir des rites en vigueur le pouvoir de la loi. Le volume écrit par Anne Cheng et Stéphane Feuillas met en avant le fait que là où la loi s’applique de manière systématique et autonome, sans distinction, les rites s’appuient sur la singularité des différences, des circonstances et des relations de chaque individu à un instant donné. Deux visions du pouvoir s’entrechoquent et une grande partie des textes antérieurs au Premier Empire sont détruits.
La dynastie des Han se réclame au contraire d’une idéologie confucéenne : elle cherche à légitimer son pouvoir, notamment en renouant avec la dynastie en place du vivant de Confucius, les Zhou (XIe siècle av. J.-C. – 256 av. J.-C.). Ce Traité des Rites s’inscrit donc véritablement dans un renouvellement politique.
Que trouve-t-on dans le Traité des Rites ?
Le Liji est souvent considéré comme le commentaire du Yili. Si le deuxième établit des descriptions minutieuses des rites liés aux diverses étapes de la vie ainsi que des activités en relation avec la vertu morale, le premier aborde des thématiques très variées réparties en quarante chapitres.

Le Traité des Rites axe son propos sur la casuistique rituelle : un code rituel est une limite en perpétuel ajustement. Ce cadre de vie consacre une double différence permanente entre les individus : une hiérarchie très forte de « supérieur/inférieur » et une multiplicité de « relations » qui se concentrent sur un individu… par exemple, un homme n’est pas seulement un « père », il est aussi un « fils », un « frère », un « époux », etc. À ce titre, chaque circonstance est adaptée dans l’ensemble rituel.
Redéfinir les théories du rite : le poids du sacrifice
Autour du Traité des Rites s’articule en plusieurs parties, dont l’une tente de redessiner la valeur du rite dans la Chine ancienne. L’ouvrage aborde la question du sacrifice, une notion fondamentale aux rites à travers le monde. Si la théorie générale des rites avance une identification du sacrifiant au sacrifié, Anne Cheng et Stéphane Feuillas reviennent sur cette pratique telle qu’elle est perçue dans le Traité des Rites.
Ainsi, la modalité de rite en Chine n’est pas traitée sous la forme de la substitution pour attirer les faveurs de la divinité. Le sacrifiant n’est pas mu par une foi indéfectible en le divin lorsqu’il exécute le sacrifice, mais par la conviction qu’il doit être fait ! Les rites apportent un monde qui double la réalité pour restaurer un ordre, un équilibre.
L’ouvrage Autour du Traité des Rites propose de remanier les réflexions autour du Liji développées lors du colloque au Collège de France en 2018. Il revient sur les contours de la notion de rite et ouvre le champ d’investigation à une perspective comparatiste : les propos confrontent la lecture du Liji aux pratiques rituelles d’autres territoires (Inde védique, Japon, Corée, etc.). Le volume se penche sur la place du rite dans la société ancienne, mais également dans la société moderne. Il montre ainsi la vivacité du domaine de la recherche sinologique.
Pour aller plus loin :
- Cheng, Anne ; Feuillas, Stéphane, Autour du Traité des Rites, éditions Hémisphères, janvier 2022.
- « Autour du Traité des Rites », colloque du Centre de recherche sur les civilisations d’Asie orientale (CRCAO) au Collège de France, 2018.
Image de couverture : Détail de la première page de couverture du livre Autour du Traité des Rites, Anne Cheng, Stephane Feuillas, éditions Hemisphères, 2022. Photo : Mathilde Rétif.