Isamu Noguchi : regard vers le Japon

Exposition Isamu Noguchi au Lam Villeneuve d’Ascq le 15 mars 2023. Photographie : FREDERIC IOVINO. Vue de l’exposition Isamu Noguchi, sculpter le monde au LaM – Lille Métropole Musée d’art moderne, d’art contemporain et d’art brut, 15 mars – 2 juillet 2023. © The Isamu Noguchi Foundation and Garden Museum, New York / ADAGP, Paris, 2023. Photo : F. Iovino.

Jusqu’au 2 juillet 2023, le LaM, musée d’art moderne et contemporain de Villeneuve d’Ascq, propose pour la première fois en France une rétrospective du travail d’Isamu Noguchi (1904-1988), artiste américano-japonais majeur du XXe siècle. Rendu célèbre auprès du grand public par ses lampes Akari en papier washi, Noguchi est avant tout un artiste pluridisciplinaire, à la fois peintre, sculpteur, designer, pionnier d’un art abstrait mais toujours en prise avec le réel. La citation suivante résume à elle seule la démarche de l’artiste : celle d’un « art sans limite oscillant entre sculpture, objet, espace, corps et paysage ». Si l’exposition propose un aperçu général de sa carrière, le présent article se focalise sur les liens de Noguchi avec le Japon.

« L’abstraction pure ne m’intéresse pas vraiment. L’art doit avoir une qualité humaine. »

Retour au Japon et rencontre avec Saburo Hasegawa

Exposition Isamu Noguchi au Lam Villeneuve d’Ascq le 15 mars 2023. Photographie : FREDERIC IOVINO. Vue de l’exposition Isamu Noguchi, sculpter le monde au LaM – Lille Métropole Musée d’art moderne, d’art contemporain et d’art brut, 15 mars – 2 juillet 2023. © The Isamu Noguchi Foundation and Garden Museum, New York / ADAGP, Paris, 2023. Photo : F. Iovino.

Né d’une mère américaine, l’écrivaine Leonie Gilmour, et d’un père japonais, le poète Yonejiro Noguchi, qui ne l’a jamais reconnu, Isamu Noguchi grandit au Japon avant de retourner aux Etats-Unis commencer des études de sculpture. La question de l’identité est très tôt essentielle dans l’oeuvre de Noguchi.

‘With my double nationality and double upbringing, where was my home? Where were my affections? Where is my identity? Japan or America, either, both — or the world?

Du fait de ma double nationalité et de ma double éducation, où suis-je chez moi? Vers où penche mon affection? Où est mon identité? Le Japon, les Etats-Unis ou les deux? Ou même le monde? [Traduction de l’auteur] .

Si l’œuvre de Noguchi est abstraite et dans la lignée des réflexions de l’avant-garde de l’entre-deux-guerres, l’influence du Japon se fait sentir dans son travail. Noguchi renoue tardivement avec son pays d’origine lors d’un premier voyage en 1931. Mais c’est son deuxième voyage vingt ans plus tard qui a un impact décisif sur sa carrière.


Isamu Noguchi,
The Inner Stone, 1973. Basalte et bois ;
82,2 × 87, 3 × 42,9 cm. The Noguchi Museum Archives 00777. Photo : Kevin Noble. © The Isamu Noguchi Foundation and Garden Museum / adagp, Paris, 2023.

En 1950, il rencontre le peintre Saburo Hasegawa (1906-1957). Cette rencontre le marque durablement et les deux artistes entament une relation d’amitié et d’échanges artistiques. Ils partagent le même intérêt pour l’abstraction en sculpture et en peinture ainsi que pour les théories du bouddhisme zen.

Tous deux ont un parcours en miroir : Noguchi, d’origine japonaise, vit aux Etats-Unis et est attiré par ce pays d’origine qu’il connait peu. Hasegawa lui est Japonais mais est irrémédiablement attiré par l’Occident. Il est l’un des premiers peintres japonais à faire une synthèse entre les théories picturales japonaises et occidentales, liant la tradition de la peinture à l’encre (sumi) avec la pensée des avant-gardes européens tels Kandinsky.

La rencontre de Noguchi avec Hasegawa fait évoluer son travail de sculpteur. Ensemble, ils visitent des temples, des jardins et s’immergent dans la culture japonaise traditionnelle. Les oeuvres de Noguchi de cette période révèlent l’influence de Hasegawa et de leurs débats théoriques. Dans Calligraphics (1957), Noguchi établit clairement un lien entre caractères calligraphiés et sculpture.

La céramique comme expression du Mingei


Isamu Noguchi, Buson, 1952.
Grès de Karatsu ;
21 × 16,5 × 8,9 cm. The Noguchi Museum Archives 00238. Photo : Kevin Noble. © The Isamu Noguchi Foundation and Garden Museum / adagp, Paris, 2023.

L’exposition consacre une partie importante au travail de céramique de l’artiste moins connu du grand public. Lors de son premier voyage au Japon en 1931, Noguchi se forme à la céramique auprès du maître Jinmatsu Uno et découvre les haniwa, ces statues funéraires en terre cuite de l’époque des Kofun. En 1952, lors d’un deuxième voyage, il réside chez le céramiste Kiaoji Rosanjin à Kamakura et entame une pratique plus intense de ce médium.

Le travail de la céramique qu’il expérimente alors lie la pensée mingei avec les concepts bouddhistes et notamment zen. La notion du mu, qui exprime le vide, la négation, est l’un des plus appréciés par Noguchi selon Hasegawa. En adéquation avec le mingei, il prône une esthétique de la simplicité et développe un intérêt pour l’artisanat et des matériaux traditionnels japonais qu’il cherche à utiliser pour créer son propre langage moderne.

La consécration avec les lampes Akari

Vue de l’exposition Isamu Noguchi, sculpter le monde au LaM – Lille Métropole Musée d’art moderne, d’art contemporain et d’art brut, 15 mars – 2 juillet 2023. © The Isamu Noguchi Foundation and Garden Museum, New York / ADAGP, Paris, 2023. Photo : E. Lemattre.

Rudolph Burckhardt,
Isamu Noguchi
avec une étude pour
Luminous Plastic Sculpture, 1943.
The Noguchi Museum Archives 03766. © The Isamu Noguchi Foundation and Garden Museum / adagp, Paris, 2023.

Sa deuxième visite au Japon en 1951 est l’occasion pour Noguchi de se pencher sur un nouvel artisanat nippon : le travail du bambou et du papier washi. C’est à ce moment qu’il imagine ses lampes Akari, véritables sculptures de lumière qui le rendent célèbre en étant commercialisées dans le monde entier à partir de 1952.

Il s’inspire de lanternes vues à Gifu lors d’un festival la nuit et opère ainsi une réinterprétation contemporaine d’un artisanat traditionnel en introduisant une ampoule dans des lampes à bougie. Il réalise ainsi la synthèse de deux concepts qui lui tiennent à coeur : lier technologie ancienne et moderne et transformer un artisanat en une industrie internationale.

Ainsi Noguchi a cherché durant sa carrière foisonnante à établir des ponts entre ses deux cultures d’origine : le Japon et les Etats-Unis, expérimentant sans limite les médiums. Son intérêt l’a aussi porté vers le théâtre de Nô, l’amenant à concevoir le rideau du Toyoko hall, célèbre théâtre de Nô et Kabuki détruit en 1985. Cette première rétrospective en France retrace avec pertinence les grandes thématiques qui ont jalonnées l’œuvre de Noguchi, évoquant avec subtilité les nombreuses facettes de cet artiste sans frontière.

Pour aller plus loin

Isamu Noguchi, sculpter le monde, Exposition au LaM, Villeneuve d’Ascq, jusqu’au 2 juillet 2023, plus d’informations.

Changing and Unchanging Things: Noguchi and Hasegawa in Postwar Japan, Exposition, Asian Art Museum, San Francisco, 27 sept. 2019 au 8 déc. 2019, plus d’informations et Guide de visite de l’exposition.

Jenny Brewer, « From lamps to playgrounds, Isamu Noguchi believed sculpture should be omnipresent », It’s Nice that, 13 décembre 2021, en ligne.

« Isamu Noguchi », Getty Museum Collection, en ligne .

« Collecting guide: Isamu Noguchi », Christie’s, 22 novembre 2022, en ligne.

Image de couverture : Vue de l’exposition Isamu Noguchi, sculpter le monde au LaM – Lille Métropole Musée d’art moderne, d’art contemporain et d’art brut, 15 mars – 2 juillet 2023. © The Isamu Noguchi Foundation and Garden Museum, New York / ADAGP, Paris, 2023. Photo : F. Iovino.

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