Mathurin Méheut : le périple d’un artiste breton au pays du soleil levant

« La côte japonaise nous apparaît par un beau soleil matinal : des voiles blanches à l’infini… On dirait une baie bretonne, des sardiniers gagnant le large : la baie de Douarnenez. » Les premiers mots de Mathurin Méheut à son arrivée au Japon, le 22 avril 1914 ! Parti du Havre, le 10 janvier 1914, l’artiste qui s’apprête à mettre pieds à terre, ne peut s’empêcher de penser à sa Bretagne natale. Pourtant, l’illustrateur se laisse bien vite emporter par ce flot de couleurs, de senteurs, de sonorités nouvelles qui l’inspirent.

Quelques mots sur Mathurin Méheut

Mathurin Méheut naît à Lamballe en 1882. Diplômé de l’Académie des Beaux-Arts de Rennes, puis de l’École Nationale des Arts décoratifs de Paris en 1902, le jeune Méheut débute sa carrière en tant qu’illustrateur. Avec une grande économie de moyen, quelques traits précis et aplats de couleurs, il saisit de manière quasi scientifique le monde qui l’entoure. Son style, si particulier, apparaît sur divers médium : gravure, sculpture, céramique… L’entre deux guerres marque l’apogée de sa carrière. Sa renommée internationale lui permet d’accéder à de prestigieuses fonctions. Il collabore avec la Manufacture de Sèvres en 1931 puis la Manufacture des Gobelins en 1946. Mathurin Méheut décède en 1958, à Paris. Il laisse à la postérité de nombreuses œuvres, notamment des illustrations, qui permettent aujourd’hui d’apprécier sa simplicité et son naturalisme.

Le voyage au Japon

En 1898, le grand mécène Albert Kahn (1860-1940) décide de la création d’une bourse, nommée Autour du monde, qui doit permettre aux gagnants d’un concours de parcourir les continents. Ainsi, en 1914, Mathurin Méheut le remporte et son séjour au Japon débute en avril de la même année. Au cours de son périple, il dessine tout ce qui l’émerveille ; témoignages de son intérêt naturaliste mais aussi ethnographique. Le début de la Première Guerre mondiale écourte le périple de Méheut, initialement prévu pour 18 mois.

Photographie de Mathurin Méheut réalisant une aquarelle à Miyajima.

Le regard de l’ethnographe : spiritualité et croyance, coutumes et vie quotidienne au Japon


Lors de son voyage au Japon, Mathurin Méheut tient un carnet de route. Il y décrit toutes les étapes de son aventure nippone, sillonnant tout l’archipel durant deux mois. Il découvre de nombreux temples, témoignages des pratiques spirituelles locales. Le shintoïsme (vénération des kami, dieux de la nature) et le bouddhisme, arrivé depuis la Chine au cours du VIème siècle, y sont très présents. L’illustrateur se plaît alors à dessiner dans les moindres détails les temples bouddhiques et shintô. À Nara, Méheut réalise une aquarelle de Ungyō, gardien de porte (niō) en bois peint daté de 1203, qui protège des mauvais esprits la porte sud du temple Tôdai-Ji. Comment ne pas être impressionné par l’expressivité de ce géant de plus de 8m de haut ? L’artiste s’arrête également au temple Fushimi Inari Taisha à Kyôto, dédié à Inari, symbolisé par un kitsune (renard). Dans une lettre, il explique à sa fille le curieux rite qui entoure cette divinité shintô : lui offrir du riz et du saké pour assurer sa clémence !

Méheut s’intéresse aussi à la façon dont vivent les Japonais. Les vêtements, des somptueux kimonos en passant par l’attirail du simple paysan sont représentés. L’illustrateur assiste à des représentations de théâtre nô, dont les acteurs et les musiciens aux accoutrements chatoyants font l’objet de nombreuses aquarelles. Méheut dessine même les lattes du plancher en cyprès et les spectateurs ! Il s’invite également chez Inabata Katsutarô (1862-1959), concessionnaire de la Société Lumière au Japon. En bons amis, ils prennent le temps de déguster un thé ensemble ; occasion pour Méheut de dépeindre la fameuse cérémonie du thé. Trace de cette affection entre les deux hommes, les descendants d’Inabata inaugure en 1992 une villa à Kyoto pour accueillir des artistes français en résidence !

Un naturalisme scientifique qui fascine


Mathurin Méheut est célèbre pour ses représentations naturalistes de la faune et de la flore. Loué pour son sens aigu de l’observation, ses contemporains affirment que ses dessins permettent de collecter des renseignements méconnus des scientifiques. Ainsi, on ne s’étonne pas de l’abondance d’animaux et végétaux dessinés par Méheut lors de son voyage. Il donne vie aux grues, daims mais aussi pivoines et nénuphars qu’il rencontre. « Les animaux les plus humbles tentent l’artiste ; il tire un motif décoratif du premier animal qui frappe ses yeux. Il ne connaît guère de symbolisme et pas du tout de hiérarchie dans le règne animal », affirme Ary Renan à propos des artistes japonais. Tel un illustrateur nippon, Méheut se plie à la longue tradition japonaise et « reste confondu devant cette richesse de beauté inépuisable qui est dans la nature, et qu’on n’avait pas su voir » (revue L’art et les artistes à propos de l’art japonais).

« Quelle étude intéressante serait à faire, au Japon même, sur ces procédés artistiques que nous ignorons encore ! Il y a bien là de quoi tenter un artiste épris de Japonisme !» s’exclame Maurice Pillard Verneuil. Méheut semble avoir appliqué à la lettre ses conseils. Décoratives, dynamiques, vivantes et colorées, les illustrations de Méheut nous font voyager. Artiste méconnu, il est toutefois mis à l’honneur, chaque année, dans des expositions.

En savoir plus :

Image de couverture : Mathurin Méheut, Le printemps à Kyôto, gouache sur lettre, H 31cm- L 40cm, 1914, Dinan, Maison d’artiste de la Grande Vigne, LM 132B
Crédit pour toutes les photographies : Alice Mercier.

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