L’Eloge d’un jardin japonais, écrit par l’architecte Philippe Bonnin en 2022 et paru aux éditions Arléa, a été pour moi une véritable invitation au voyage… Récompensé de nombreuses fois, il offre à nouveau une vision poétique de ce lieu exceptionnel. Mais d’abord, replaçons Katsura et ses jardins dans leur contexte !
Jardins et palais : essence de la richesse architecturale japonaise
« Dans l’architecture japonaise que tu croyais dans ta jeunesse si pure et si vraie, dépouillée d’affèterie, tu sais maintenant que cette apparence parfaite n’est obtenue qu’au prix de ruses multiples, d’une science consommée de l’artifice. »

Je ne résiste pas à l’envie de vous citer ces quelques lignes qui, au fil des pages, résument la confrontation entre le regard occidental et cette bulle hors du temps que représente la villa Katsura, à quelques kilomètres de Kyôto. Depuis la période Heian (794-1185), la rivière Katsura constitue un lieu privilégié de l’aristocratie pour admirer la lune : l’écrivaine du XIe siècle Murasaki Shikibu s’inspire même de la villégiature du régent Fujiwara no Michinaga, sur les berges, pour imaginer le « Palais de Katsura », dans le chapitre 18 de son Genji monogatari.
Le prince Toshihito fonde la famille Hachijô, branche secondaire de la lignée impériale, et lance les premières constructions de la résidence en 1615. Son visage évolue au fil des ajouts des chefs de famille qui se succèdent au cours du XVIIe siècle. Lorsque le visiteur passe la porte solennelle, le temps semble suspendu : déprédations, inondations, vols… rien ne semble avoir altéré ce lieu. Pourtant, seul le tracé des sentiers n’a jamais été modifié depuis sa création !

Les palais incarnent l’évolution des styles architecturaux de la fin de l’époque Momoyama (1573-1603) et du début de l’époque Edo (1603-1868) (vous trouverez plus d’indications dans notre glossaire aux entrées « shoin-zukuri« , « sukiya-zukuri » et « sôan« ). Une pluralité de jardins s’entremêlent, retraçant l’histoire du jardin japonais ; plus de 26 essences végétales et florales s’épanouissent pour changer le visage de ce monde miniature au rythme des saisons. La disposition des pierres, les lanternes installées à chaque étape, à chaque carrefour, les points de vues offerts, suggérés, pour s’appesantir sur la nature et son silence, les phénomènes météorologiques… tous ces éléments accompagnent le passager dans un voyage unique à chaque visite….
Une source d’inspiration moderne et contemporaine

La villa impériale a ainsi su marquer les esprits jusqu’à aujourd’hui, au point d’exercer un poids considérable sur les réflexions architecturales occidentales. Il se manifeste dès le début du XXe siècle dans le travail de Franck Lloyd Wright. Son passage à la villa Katsura est incontournable dans le développement de son « architecture organique« , intégrant l’homme dans la nature : l’architecture domestique dans le plus profond respect de son habitat naturel…
De même, sa découverte constitue un véritable choc esthétique pour Bruno Taut, lorsqu’il se réfugie au Japon en 1933. Marqué par les leçons du Bauhaus, les architectes croient trouver dans la villa Katsura un exemple de rationalité, de simplicité, d’absence d’ornement résolument moderne. Taut déclare le jour de cette découverte :
« C’est l’expression même des aspirations de notre époque… »
Cette « relationnalité« entre homme et nature, dont l’architecte se doit d’être le passeur, guide la réflexion de Taut. Ce dernier, à son tour, influence largement les artistes contemporains. On retrouve chez Tadao Ando ou chez Kengo Kuma cette réflexion sur l’architecture « naturelle« , où le bâtiment semble se fondre dans la nature, où la paroi n’est plus une limite mais une ligne poreuse, floutée, entre habitat et environnement.


Éloge d’un jardin japonais : promenade poétique
C’est installée confortablement dans mon fauteuil préféré, un chocolat chaud réconfortant à portée de main, que j’ai parcouru les premières pages de ce livre. Tout de suite, l’auteur installe un rapport de proximité avec son lecteur : l’emploi de la seconde personne du singulier, le ton confidentiel qui se dégage des lignes… on l’entend presque assis à côté de nous, prêt à nous faire découvrir un lieu unique.

Puis, il nous guide pas à pas, étape après étape, à travers le chemin emprunté par les visiteurs de Katsura… Et nous voilà pris dans un tourbillon d’émotions : l’étonnement, l’émerveillement, le silence, la frustration ressentie par les visiteurs, pressés par les guides. La poésie des mots laisse libre court à l’imagination : le bruit du vent dans les arbres, la chaleur pesante d’un mois d’août, les gazouillis des oiseaux qui troublent le silence de la nature, la quiétude de la nuit en observant la lune, ou, à l’instar de la pluie qui frappe contre ma fenêtre lors de ma lecture, son clapotis qui trouble la surface des points d’eaux.
Depuis le mur de feuillage à la porte qui marque la fin de la visite, l’auteur te pousse, t’arrête, te conseille, t’enseigne… et lorsque nous arrivons au terme du livre, nous fermons avec regret la quatrième de couverture, qui clôt ce sésame d’un jardin séculaire, si éloigné de notre quotidien. On est alors tiré « tout songeur et chamboulé comme un Orphée qui quitterait le jardin d’Eden et non les Enfers« .
Divisé en trois parties, l’Eloge d’un jardin japonais propose une découverte onirique de Katsura et de ses jardins. Il met également en perspective ce lieu de retrait de la famille impériale, pétri d’influences lettrées, carrefour de tradition et d’innovation, et révèle la richesse cachée derrière une apparente simplicité.
En savoir plus :
- Eloge d’une jardin japonais, Philippe Bonnin, 2022, édition Arléa.
- L’art japonais, Christine Shimizu, 2008, édition Flammarion.
- Katsura et ses jardins, un mythe de l’architecture japonaise, Philippe Bonnin, 2019, édition Arléa.
Image de couverture : Allée du jardin de la villa impériale Katsura, photographie libre de droit