Mère, courtisane, moniale, médium ou déesse… La femme dans la pensée chinoise

Le 13 avril 2022, Catherine Despeux, sinologue et professeure honoraire à l’INALCO, donnait à la Société des amis du musée Cernuschi une conférence intitulée « Mère, courtisane, moniale, médium ou déesse : le féminin dans le confucianisme, le bouddhisme et le taoïsme ». Dans le cadre de son partenariat avec la SAMC, Tokonoma vous en fait la synthèse !

Epouse, mère ou courtisane : la femme dans la société civile

La Chine ancienne attribue au féminin une place inférieure au masculin, qui commence dès le binôme cosmologique du yin et du yang. Bien que ces deux concepts fonctionnent de manière complémentaire, ils sont inégaux : le yang est associé au ciel, à la lumière, au monde des dieux et au masculin. Le yin, en revanche, c’est la terre, l’obscurité, les démons et le féminin. Dans tous ses aspects, la société chinoise est ainsi marquée par un fort patriarcat qui se traduit de différentes manières selon les courants de pensée. La femme se voit ainsi attribuer trois rôles principaux : ceux de mère, d’épouse et de partenaire sexuelle.

Intérieur avec une femme, un enfant et une nourrice (détail), artiste anonyme, fin XVIIIe – début XIXe siècle, encre et couleurs sur soie, New York : Metropolitan Museum of Art. Image libre de droits.

Les rôles de mère et d’épouse sont essentiels au bon fonctionnement de la société chinoise : le confucianisme valorise la femme dans ce sens. Elle a la capacité d’engendrer des enfants et se charge de leur bonne éducation. Le mariage s’accompagne de règles précises et de la quasi obligation de mettre au monde un fils. Sans ça, l’épouse pourrait se voir répudier ! La femme au sein du foyer est mise en avant, elle joue un rôle majeur dans la famille dont elle doit défendre l’honneur. Toutefois, son autonomie est limitée : elle doit obéissance au père, puis au mari et au fils aîné. On peut par ailleurs la tenir responsable des comportements mauvais des hommes qui l’entourent… En dehors du foyer, l’espace social connaît une division stricte : la femme tisse tandis que l’homme laboure. Mais malgré cette séparation de principe, certaines femmes ont été à l’origine d’inventions technologiques ou se sont consacrées aux lettres.

Les rôles de mère et d’épouse sont indissociables de celui de partenaire sexuelle dans le confucianisme, puisqu’elle est tenue d’enfanter un bel enfant mâle. Des manuels de sexologie guident ainsi les amants dans un but de procréation. Dans la pensée taoïste, la sexualité est importante également, mais pour des raisons différentes. L’échange entre le yin et le yang favorise l’harmonie du corps et même de l’univers. Dans certains courants la sexualité est même codifiée au sein de rituels. C’est une particularité que l’on retrouve aussi parfois dans le bouddhisme. La sexualité et le désir sont pourtant d’abord perçus comme les causes de la souffrance. On considère de plus que la femme y est plus sujette et même attise le désir. Pourtant, le bouddhisme du grand véhicule, arrivé en Chine autour du Ier siècle, développe l’idée selon laquelle il faut dépasser la dualité du bien et du mal. On minore ainsi les effets néfastes des relations charnelles, que ce soit pour les moines ou les laïques. Dans le bouddhisme tantrique , la sexualité devient même un moyen de progresser vers l’éveil.

La religion comme échappatoire

Dans une société peu favorable à l’autonomie des femmes, certaines d’entre elles ont trouvé des échappatoires, notamment au sein des monastères. Renonçant à leurs rôles traditionnels, elles y obtiennent des pouvoirs semblables à ceux des hommes, et ainsi une voie d’émancipation. C’est en tout cas ce que l’on observe dans les monastères taoïstes. Le bouddhisme, lui, place les moniales sous l’autorité de leurs confrères masculins. La condition féminine est en effet considérée comme le résultat d’un mauvais karma, c’est-à-dire d’une insuffisance d’actes méritoires dans le passé. La femme serait donc par nature inférieure à l’homme.

Hors des monastères, une seconde voie a été offerte aux femmes pour échapper au joug masculin : celle de la médiumnité. On considère en effet que la femme accède plus facilement au divin. En entretenant avec l’invisible une relation privilégiée, notamment par le chant et la danse, la médium pouvait révéler de nouveaux textes et des méthodes religieuses.

Enfin, il faut rappeler que le féminin s’est vu accorder une place importante dans les spiritualités chinoises en s’incarnant dans des déesses. Celles-ci sont nombreuses et représentent des principes variés. Ainsi la très populaire Guanyin, en tant que version sinisée du bodhisattva Avalokiteshvara, est-elle une incarnation de la pure compassion. Le taoïsme accorde quant à lui une place importante à Xiwangmu, la reine mère de l’ouest. Des femmes divinisées ont également fait l’objet de cultes populaires, à l’exemple de Mazu, patronne des pêcheurs. Ces puissances féminines ont été des objets de vénération et des modèles, tant pour les femmes que pour les hommes !

Il existe donc une distinction forte entre la place réelle accordée par les Chinois anciens aux femmes et la symbolique portée par l’univers féminin. La condition féminine dans une société marquée par un fort patriarcat est peu enviable, que ce soit dans le confucianisme, le taoïsme et encore plus dans le bouddhisme. Paradoxalement, ces courants de pensée ont également pu servir de refuge à certaines femmes qui ont souhaité renoncer aux rôles traditionnels que leur offrait la vie séculière.

En savoir plus :

Découvrir le portrait d’une femme de pouvoir, l’impératrice Wu Zetian.

En apprendre plus sur l’œuvre d’une artiste chinoise, Pan Yuliang.

« Mère, courtisane, moniale, médium ou déesse : le féminin dans le confucianisme, le bouddhisme et le taoïsme », conférence de Madame Catherine Despeux, Société des amis du musée Cernuschi, 13 avril 2022.

Image de couverture : Hua Xuan, Huit beautés sur le balcon d’un bordel, 1736. Encre et couleurs sur soie, collection particulière. Photo : Sotheby’s

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