Parures tibétaines : les bienfaits des rus rgyan

Les os sculptés, on en a parlé, cela peut être très intéressant, à l’instar des os oraculaires chinois du IIe millénaire avant notre ère. Les ossements dans les tombes, on en a l’habitude. « C’est la vie ! » dira-t-on. Mais les os sculptés de figures bouddhiques macabres, ça peut filer la frousse, nous pouvons le concevoir. Et bien chez Tokonoma, nous nous engageons aussi à démystifier l’art tibétain qui fait si peur. Les rus rgyan veulent votre bien et nous allons vous le montrer !

Un rus rgyan : mais qu’est-ce donc ?!

En tibétain, rus signifie « os » et rgyan signifie « parure, ornement » et en particulier des parures évoquant une résille ou un entrelacs. Un rus rgyan est donc un tablier constitué d’une résille en perles et plaquettes d’os sculptées. La question que certains se posent immédiatement est la suivante : os d’animaux ou os humains ? Il est vrai que l’os humain fait partie des matériaux employés dans la création des outils liturgiques du bouddhisme Vajrayana. Le kapala, ou coupe crânienne, est un instrument rituel commun et un attribut fréquent des déités courroucées. Pour ce qui est des rus rgyan, l’os humain est une possibilité mais reste néanmoins peu probable. Il semble que la plupart des rus rgyan connus aient été réalisés en os de bovidés.

Ces tabliers sont portés lors de danses rituelles tantriques dans les communautés bouddhiques d’Himalaya (Népal et Tibet principalement). Ces danses sont réalisées par des tantriques, des performeurs spécialisés dans cette problématique rituelle. Leurs danses ont un rôle protecteur et purificateur. Il existe plusieurs types de tabliers portés par ces spécialistes ; ils se classent en fonction de leurs formes. Ils sont fréquemment de forme rectangulaire mais peuvent aussi se présenter sous une forme triangulaire ou dite « en guirlande ».

Profusion iconographique

Les plaquettes et médaillons qui ornent la résille présentent des iconographies variées. Les motifs sont à la fois figuratifs et décoratifs. Le rang supérieur, clé de l’interprétation de la parure, est aussi généralement le plus riche. La majorité des ensembles connus présentent les divinités du cycle tantrique de Cakrasamvara. Il s’agit d’un yidam, une divinité d’élection censée guider le croyant dans sa pratique quotidienne après qu’il l’ait choisie. Le mandala de Cakrasamvara contient 62 déités, mais toutes ne peuvent y être figurées bien entendu. Sur la plaquette centrale figurent donc le plus souvent Cakrasamvara en union avec sa parèdre. Une dakini, être féminin très puissant, parfois divinité d’élection, peut parfois figurer à cette place. Vajravarahi et Vajradakini sont en effet étroitement liées à la pratique de ce cycle tantrique. Les autres plaquettes figurent alors quatre ou six dakini dansantes. Enfin, les figures de squelettes dansants appelés citipati ornent souvent des plaquettes latérales ou des médaillons mineurs. Eux aussi sont liés aux pratiques tantriques de Cakrasamvara.

Enfin, la résille se détache parfois sur un grand carré de tissu foncé figurant en son centre une tête de Mahakala, figure bestiale courroucée, barbue, les cheveux hirsutes, munie de crocs et de trois yeux exorbités, coiffée de crânes. Mahakala est un dharmapala, un « protecteur du dharma » ou « protecteur de la doctrine ». Il protège les enseignements et les pratiquants. D’aspect effrayant, c’est pourtant bien un être puissant veillant à dissiper les obstacles sur la voie spirituelle des dévots. Il est souvent entouré de crânes de citipati et de vajra (« foudre »).

Un tablier exceptionnel

Début avril, la maison de ventes Aguttes a présenté un rus rgyan du XIXe siècle assez remarquable. Sa résille, presque intacte, nous laissait admirer un ensemble de six plaquettes complètes et lisibles. Mais ce n’est pas tout ! En réalité, un rus rgyan ce n’est pas qu’un tablier ! Celui-ci était accompagné de sa ceinture, de ses deux brassards, de son pectoral et même de sa coiffe en forme de bonnet. C’est un objet exceptionnel dans la mesure ou peu de tabliers connus dans les collections publiques et privées du monde présentent des ensemble aussi complets. Notons toutefois que ces ensembles peuvent l’être encore davantage lorsqu’ils comprennent des bracelets de chevilles, divers colliers ou encore des boucles d’oreilles.

Le collier pectoral présente en son centre une plaque sculptée d’une face de kirtimukha ou « face de gloire ». Il s’agit d’un motif apotropaïque, qui conjure le mauvais sort, représentant une tête animalière féroce. Quant aux plaquettes qui ornent les brassards et le bonnets, elles représentent des crânes de citipati portant le motif des triratna ou « trois joyaux » symbolisant le Bouddha, la doctrine et la communauté monastique. Trois entités dans lesquelles les pratiquants peuvent trouver force et refuge. Le sommet du bonnet est par ailleurs cousu d’une roue du dharma. Enfin, si le tissu sur lequel est cousu la résille n’est sans doute pas d’origine, le tissu brocardé de la coiffe quant à lui l’est fort possiblement.

Les rus rgyan ne vous veulent pas de mal ! Ils ne sont que les instruments d’une danse rituelle très codifiée qui permet, si l’on peut dire, d’invoquer des divinités puissantes et des motifs de bon augure. Entouré de Cakrasamvara, Mahakala, des dakini, des citipati et des divers motifs bouddhiques bénéfiques, le danseur œuvre pour le bien de tous ceux qui l’entourent.

Pour aller plus loin

Retrouvez un ensemble d’articles et de photographies au sujet des rus rgyan ici.

Quant aux informations relatives au rus rgyan vendu chez Aguttes, ça sera par .

ESTOURNEL Jean-Luc, « Rus-pa’i-rgyan : parures rituelles tibétaines en os humain », in : Histoire de l’art, n°20, 1992, pp. 39-49.

Illustration de couverture : Tablier rituel rus rgyan, Tibet, XVIe siècle, plaques et perles sculptées en os, 71.1 x 88.9 x 1.9 cm, New York, Brooklyn Museum (n°23.289.27201). Photographie sous licence Creative Commons.

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