L’histoire mouvementée des collections asiatiques du musée de l’Armée

Dans le cadre de notre partenariat avec l‘AFAO et la SAMC, Tokonoma vous propose un compte-rendu de la conférence donnée par Christine Duvauchelle, Angelo Dal Maso et Olivier Renaudeau le 24 novembre dernier et dédiée aux collections asiatiques du musée de l’Armée. Fondé en 1905 sur la base des collections royales, le musée a pour vocation de raconter l’histoire des armées françaises. Ses collections asiatiques sont le fruit de dons et achats mais aussi de cadeaux diplomatiques et de pillages de guerre et sont aujourd’hui exposées dans une galerie dédiée du musée.

Les collections japonaises : des achats et des dons exceptionnels

Résultat d’une longue histoire d’échanges diplomatiques et commerciaux avec l’Extrême-Orient, les premières attestations d’objets asiatiques dans les collections royales – futur musée de l’Armée – remontent au premier inventaire de 1673 avec la mention d’armures japonaises. Les collections du musée en comptent aujourd’hui quatre dont deux provenant avec certitude des collections de la couronne. Signées Iwai Yozaemon (actif 1585-1610), l’armurier favori du seigneur de guerre Toyotomi Hideyoshi, l’une d’entre elles (ci-dessous à droite) est peinte en 1684 dans la Galerie des Glaces de Versailles réalisée par Charles Le Brun puis mentionnée dans l’inventaire de 1693. Le seul problème est que… nous ne savons pas encore par quel biais elle est arrivée au XVIIe siècle dans les collections françaises !


Casque (kabuto) japonais
Fabriqué au début du XVIIe siècle
3356I ; H471
Localisation : Paris, musée de l’Armée
Photo (C) Paris – Musée de l’Armée, Dist. RMN-Grand Palais / Pascal Segrette

Aujourd’hui les collections japonaises se composent de 455 objets dont 150 achetés avant 1910. Le reste des œuvres arrivées après cette date est issu de dons. Parmi les vendeurs prestigieux, on compte le célèbre marchand Siegfried Bing (1838-1905) auprès de qui le musée a acquis un ensemble de onze casques exceptionnels à la fin du XIXe siècle. D’une grande qualité et de typologies variées, ils font partie des objets phares des collections asiatiques du musée. Le plus intéressant de ce corpus est très certainement ce casque (kabuto) en fer travaillé au repoussé et partiellement doré figurant Shennong, divinité mythique chinoise. Ce casque, est représenté dans le Meiko zukan no kenkyu, un livre rédigé au XVIIe siècle décrivant la lignée mythique des armuriers de l’école Myochin, l’une des plus célèbres du Japon.

Les collections chinoises : l’héritage des guerres de l’Opium

Les collections chinoises composent la majeure partie des collections asiatiques du musée de l’armée et viennent majoritairement de prises de guerre, notamment de la Seconde guerre de l’Opium (1856-1860) à laquelle la France a pris part aux côtés des Britanniques. Pour la première fois, la guerre est documentée par la photographie grâce à la présence de Felice Beato (1832-1909), photographe italien et anglais considéré comme le premier photographe de guerre. Ses clichés nous permettent d’identifier les prises de guerre, comme celle de 600 canons, dont trente sont aujourd’hui conservés dans les collections du musée. Outre les canons, les collections se composent de vêtements, armes et accessoires utilisés par les troupes chinoises qui nous permettent d’avoir une idée de l’état de l’armée Qing au moment de l’arrivée des Européens. Cette dernière était divisée en deux, entre les bannières d’une part, considérées comme l’élite de l’armée et composée uniquement des Mandchous et Mongols, et l’armée de l’étendard vert, composée de soldats issus de l’ethnie Han, mal équipés et mal entraînés.


Fusil de chasse de l’empereur Kangxi (1662-1722). Fusil fabriqué vers 1700. Baptisé « Esprit du Tigre », utilisé par les empereurs de Chine Kangxi (1662-1722), Qianlong (1722-1795) puis Jiaqing (1796-1820) ; cal. 16.8 mm ; pds 6.96 kg 2018.0.153 ; M2319
Localisation : Paris, musée de l’Armée
Photo (C) Paris – Musée de l’Armée, Dist. RMN-Grand Palais / Emilie Cambier

Les deux pièces maîtresses des collections chinoises du musée sont certainement l‘habit militaire d’apparat de l’empereur Qianlong (1735-1796) et le fusil de chasse de l’empereur Kangxi (1661-1722), son grand-père. Cet « habit de guerre », illustré sur la célèbre peinture du jésuite Giuseppe Castiglione (1688-1766) L’empereur Qianlong en armure cérémonielle et à cheval, était utilisé par l’empereur lors de grandes cérémonies militaires. Réalisé par les ateliers impériaux, il est composé de soie jaune et est brodé de fils d’or et de couleur figurant des dragons, motif impérial par excellence. D’après une gravure publiée dans Le Monde illustré, on sait que cet objet fait partie des prises de guerre de la Seconde Guerre de l’opium, fièrement exposées au Palais des Tuileries par Napoléon III en 1861. Le fusil de chasse de l’empereur Kangxi, quant à lui, porte l’inscription « l’esprit du tigre » sur la crosse, référence à une célèbre partie de chasse au cours de laquelle l’empereur Kangxi aurait abattu deux tigres. Il rappelle également l’importance de la chasse à la cour des Qing à laquelle les empereurs s’adonnaient régulièrement sur leurs terres en Mandchourie.

Le Monde illustré, « Exposition des curiosités chinoises offertes à l’Empereur par l’armée expéditionnaire », 2 mars 1861, p.140

Ainsi les collections asiatiques du musée de l’Armée sont révélatrices des liens qu’a entretenus par le passé la France avec les différents pays, qu’ils soient commerciaux, diplomatiques ou militaires. Si les collections japonaises et chinoises sont bien représentées, la Corée est l’un des grands absents de ce fonds asiatique.

En savoir plus

Site officiel du musée de l’armée

Certaines œuvres phares des collections sont actuellement présentées dans l’exposition Ultime Combat au musée du Quai Branly jusqu’au 16 janvier 2021

Image de couverture : Fusil de chasse de l’empereur Kangxi (1662-1722). Fusil fabriqué vers 1700. Baptisé « Esprit du Tigre », utilisé par les empereurs de Chine Kangxi (1662-1722), Qianlong (1722-1795) puis Jiaqing (1796-1820) ; cal. 16.8 mm ; pds 6.96 kg 2018.0.153 ; M2319
Localisation : Paris, musée de l’Armée
Photo (C) Paris – Musée de l’Armée, Dist. RMN-Grand Palais / Emilie Cambier

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