Tokonoma vous présente un des cinéastes japonais les plus connus de son temps ! Kenji Mizoguchi (1898 -1956) a, de bien des manières, marqué le cinéma de son esthétique particulière. Pour comprendre son œuvre, Tokonoma vous souffle un conseil : plusieurs de ses films sont disponibles gratuitement sur Arte Cinéma jusque fin janvier et mi-février, de quoi vous en mettre plein les yeux !

Né à Tokyo en 1898 pendant l’ère Meiji (1868-1912), il grandit dans le quartier d’Asakusa, connu pour ses nombreux théâtres populaires et ses maisons de thé. Cette proximité avec les lieux du divertissement, ainsi que la vente de sa sœur comme geisha par son père, sont des événements fondateurs qui forment son regard sur la société japonaise.
Il entreprend sa carrière sous l’ère Taisho (1912-1925) en devenant assistant réalisateur en 1922, et sort son premier film Le jour où revit l’amour en 1924. Il réalise un peu plus de 80 films jusqu’à sa mort, dont près de la moitié a été perdue !
Une brève remise en contexte
La première moitié du XXe siècle est pour le cinéma japonais une période d’autonomisation et d’expérimentation, notamment grâce aux progrès techniques, comme la généralisation du cinéma parlant en 1933. Peu à peu, les cinéastes s’affranchissent de l’influence des arts traditionnels de la scène (kabuki, shimpa). Deux formes se côtoient : le « film d’époque » (jidai-geki), c’est-à-dire à l’époque féodale, donc avant l’ère Meiji et le film à sujets contemporains (gendai-geki).
Les évolutions politiques façonnent aussi le cinéma des années 1920 avec l’appropriation et la diffusion des idées marxistes et communistes, qui favorisent un bouillonnement intellectuel. Les thématiques sociales liées au prolétariat et à la lutte des classes seront progressivement censurées avec la montée du totalitarisme. Entre 1937 et 1945, l’Etat contrôle l’industrie du cinéma, notamment l’accès et la production du matériel. Les cinéastes, bon gré ou mal gré, tournent alors des films afin d’exalter les vertus militaires dans une veine patriotique. Kenji Mizoguchi n’y échappe pas, il réalise plusieurs films de propagande tels Le chant de la victoire (1945) et les 47 rônins (1941). Parallèlement, il contourne la censure par des sujets peu politisés, en réalisant des portraits d’artistes ou des mélodrames historiques avec Les contes de Chrysanthèmes tardifs (1939) et les Cinq femmes autour d’Utamaro (1946).
Œuvres et thématiques
Le monde du travail et la nécessité de gagner sa vie sont des thématiques centrales de son œuvre. Ses personnages issus d’une classe sociale modeste sont artisans, ouvriers ou salariés et surtout de condition précaire. Dans Les contes de la lune vague après la pluie (1953) il place l’action sur un fond de guerre civile à l’époque féodale, une manière pour Mizoguchi de critiquer les conséquences de cette dernière sur la société, en écho à la seconde Guerre mondiale. Deux hommes, l’un potier, l’autre paysan, pleins d’ambition, partent à la ville en quête de richesse et de reconnaissance, laissant femmes et enfants dans le dénuement. Ils apprendront à leurs dépens à ne pas se fier aux apparences d’une gloire factice pour l’un et d’un amour irréel pour l’autre.


Même s’il parle d’amour, il réserve à ses personnages un destin dramatique, comme dans Miss Oyu (1951) ou les Amants crucifiés (1954), où les mœurs qui régissent les structures sociales conditionnent les possibilités des histoires de cœur.
Aussi, Kenji Mizoguchi décrit la place de la femme dans la société japonaise en tant qu’épouses, actrices, servantes, amantes ou geishas. Il développe les dessous de leur oppression par les conventions sociales, les hommes ou encore l’argent. Il aborde notamment le milieu de la prostitution. Il filme comment les femmes sont amenées à se vendre et se conformer à une image du désir masculin. À travers Les sœurs de Gion (1936), dont il fait un remake en 1953, Les musiciens de Gion (1953), on suit la formation d’une jeune fille pour devenir geisha, alors sa seule alternative pour survivre et payer ses dettes. Une femme dont on parle (1954) met en scène une mère maquerelle et sa fille, qui n’assume pas le métier de sa mère. Son dernier film La rue de la honte (1956) place aussi l’intrigue dans la société contemporaine, à une période où la législation en vigueur sur les maisons de passe est débattue.


Les années 1950 sont considérées comme l’« âge d’or » du cinéaste, où il cristallise les éléments qui caractérisent son style, comme le plan-séquence. Durant sa carrière, il choisit de travailler avec le scénariste Yoda Yoshikita (1909–1991) pendant 20 ans et l’actrice Kinuyo Tanaka (1909-1977) qui joue dans bon nombre de ses films. Kenji Mizoguchi saisit dans tous ses aspects la nature humaine et les structures sociales qui la détermine : ses souffrances, ses désirs, ses émotions et ses peines sont mises en scène avec précision.
Pour en savoir plus :
- Lien vers le site d’Arte ici
- Simsolo Noël, Kenji Mizoguchi, Cahiers du cinéma/Le monde, 2007.
- Le plan-séquence, c’est quoi ?
- Un article sur le cinéma japonais des années 1920 : Les éclats du cinéma japonais (openedition.org)
Image de couverture : Les contes de la lune vague après la pluie © Les bookmakers / Capricci Films