
Après le FRAC Centre-Val de Loire, c’est au tour de la Maison de la Culture du Japon de Paris d’accueillir jusqu’au 19 février prochain cette exposition qui offre un riche panorama de l’architecture japonaise d’aujourd’hui.
Des formes qui durent
Conçue en partenariat avec l’Architectural Design Association of Nippon (ADAN), l’exposition présente trente-cinq projets d’architectes. Toutes les propositions tentent de répondre aux enjeux sociétaux et environnementaux du Japon contemporain, tout en explorant la question de la forme.
Car si les usages évoluent, les formes demeurent : comment alors en assurer la pérennité et faire en sorte qu’elles restent parlantes et pertinentes au fil du temps, dans un monde où les usages peuvent être bouleversés par les différentes crises – et notamment la crise climatique ?

Le bâtiment est construit à partir du bois flotté qui s’échoue en grande quantité depuis quelques années sur les côtes, en raison du changement climatique. Image : Justine Veillard
Une architecture de crise
L’exposition choisit de présenter un ensemble d’architectes nés entre 1960 et 1980. Il s’agit donc de professionnels dont l’activité a débuté ou s’est développée après l’éclatement de la bulle spéculative au Japon. La dépréciation brutale du dollar à partir de 1985 a provoqué le rapatriement rapide de capitaux japonais investis aux Etats-Unis : l’économie japonaise ne pouvant absorber cette masse de dollars dévalués, les marchés boursiers et immobiliers s’effondrent.
La crise qui en a résulté, ainsi que deux catastrophes naturelles majeures – le séisme de Hanshin-Awaji en 1995 et le tsunami de 2011 sur la côte Pacifique du Tohoku – ont modifié durablement le rapport à l’architecture. Les projets aux formes sculpturales spectaculaires ont laissé place à des propositions attentives au lien avec l’environnement naturel ou prenant davantage en compte la dimension communautaire et intergénérationnelle, dans un pays où la prise en charge de la population âgée devient centrale.

Le projet est conçu comme un espace de promenade mais aussi de rencontre, les habitants du quartier étant invités à participer à l’entretien et l’embellissement des espaces verts. Image : Justine Veillard
L’ouverture de l’espace privé
L’exposition souligne également le rôle joué par l’architecture dans l’évolution du rapport entre espace public et espace privé.
Dans l’architecture traditionnelle japonaise, les grandes demeures sont ceintes de murs et de cours. Contrairement aux espaces de réception et de vie commune, le moya, la partie centrale d’un bâtiment, qui en est aussi la partie la plus privée, n’est pas ouverte sur l’extérieur.
Après la Seconde guerre mondiale, la maison individuelle apparaît au Japon mais elle reste là encore fermée à l’espace urbain. Depuis quelques années toutefois, les logements s’ouvrent sur la ville, intégrant parfois des complexes comprenant des boutiques, des restaurants… ou même un dôjô !
Une revitalisation de l’architecture traditionnelle
L’exposition revient sur l’influence majeure de l’architecte moderniste Le Corbusier (1887-1965) et de ses théories sur les architectes japonais. Si cette influence perdure, plusieurs propositions la mélangent à des éléments issus de la longue tradition architecturale nippone.
Il peut s’agir aussi bien de procédés techniques, comme l’ossature de bois, ou de concepts esthétiques, comme le shakkei, « l’emprunt de paysage », qui consiste à intégrer dans la conception d’un jardin ou d’un édifice des points de vue sur les sites naturels environnants.

L’étagement des bâtiments sur une pente permet de créer des points de vue sur le paysage extérieur – ici, la mer et les montagnes qui entourent la ville. Image : Justine Veillard
Plusieurs projets montrés au sein de l’exposition concernent en outre des bâtiments traditionnels, comme des bains publics, ou historiques, comme le Josen-ji et le Chushin-ji, deux temples bouddhistes situés à Nagano.

Une profession qui s’ouvre aux femmes
Sur les trente-cinq architectes représentés dans l’exposition, treize sont des femmes. Ce changement n’est pas anodin dans un domaine où ces dernières sont souvent peu ou pas représentées.
L’exposition rappelle ainsi qu’au Japon, l’architecte Kazuyo Sejima (née en 1956) a longtemps fait figure d’exception et que les étudiantes en architecture étaient peu nombreuses. Elles en représentent aujourd’hui près de la moitié, signe d’une évolution du rôle des femmes aussi bien que de la vision du métier d’architecte.
Plusieurs d’entre elles ont réalisé des projets d’envergure, parmi lesquels le pavillon japonais de l’Exposition Universelle de Dubaï, conçu par Yuko Nagayama.

Bien que de grands noms de l’architecture japonaise actuelle comme Tadao Ando ou Shigeru Ban soient désormais connus en France, le travail des architectes nippons demeure encore largement à découvrir dans notre pays. L’exposition Quand la forme parle offre un aperçu de la diversité et de l’inventivité de l’architecture japonaise contemporaine.
Pour en savoir plus
Maison de la Culture du Japon, 101 bis quai Branly, Paris. L’exposition est visible du mardi au samedi de 11h à 19h dans la salle d’exposition du niveau 2. L’entrée est libre et gratuite. Dans le cadre des normes sanitaires en vigueur, la présentation d’un passe sanitaire est exigée à l’entrée du bâtiment.
Ressources vidéo mises en ligne par le FRAC Centre-Val de Loire : https://www.frac-centre.fr/ressources-6.html
Brochure de l’exposition mise en ligne : https://fr.calameo.com/books/00641113372026483511a
Image de couverture : Manabu Chiba, Maison du week-end à Tôkyô, 2019. Image : Justine Veillard