Kengo Kuma et l’architecture naturelle

« Quand une chose entretient une relation heureuse avec le lieu où elle se trouve, nous ressentons cette chose comme naturelle. C’est le mariage heureux de l’architecture et du lieu qui engendre l’architecture naturelle. »

(in L’ architecture naturelle, Kengo Kuma)

En février dernier, nous introduisions l’artiste Kengo Kuma, dont le stade national sera inauguré à l’occasion des Jeux Olympiques de Tokyô. Architecte du sensible, il défend le concept d’ « architecture naturelle » dont nous développerons ici les deux grands principes.

Effacer la frontière entre architecture et nature

Water/Glass House, Kengo Kuma & Associates, préfecture d’Atami (Japon), 1995 © Mitsumasa Fujitsuka 

L‘architecture fait souvent écho à la nécessité (ou à la volonté) de l’Homme de marquer le territoire de son empreinte. Ephémère ou permanente, elle s’impose à son environnement pour abriter, divertir, commémorer ou recevoir des cultes. Elle marque bien souvent la fracture entre Nature et Culture. Dans une volonté de renouer des liens avec l’espace qui l’entoure, Kengo Kuma propose de briser l’épaisseur et l’opacité des murs pour offrir une architecture qui s’inscrit dans sa continuité. L’un des plus saisissant exemple est la Water/Glass House construite dans la continuité de la villa Hyuga (préfecture d’Atami).

Vue d’ensemble de la salle à manger, Water/Glass House, Kengo Kuma & Associates, préfecture d’Atami (Japon), 1995 © Mitsumasa Fujitsuka 

Inspiré par Bruno Taut (architecte du Pavillon de verre de l’exposition de 1914 et de la villa Hyuga), Kuma conçoit un pavillon en verre surmonté d’un toit en acier inoxydable ponctué de claire-voies. L’ édifice est posé sur un plateau d’eau qui crée un double jeu de surfaces aquatiques avec l’océan. Le verre des piliers, du sol, des parois, offre une continuité infinie avec l’eau qui l’entoure et gomme la frontière entre nature et bâti.

Tour Nord, FRAC Provence-Alpes-Côtes d’Azur, Kengo Kuma & Associates, Marseille, 2013 © Fred Romero

L’intégration de la lumière naturelle dans les structures de l’artiste constitue un point névralgique dans sa recherche de fusion entre l’intérieur et l’extérieur. À l’opposée d’un mur plein, épais qui agit comme une nette démarcation entre les deux espaces, Kuma prend le parti de fragmenter les surfaces. Cette conception particulaire confère une grande légèreté à l’ensemble et floute la limite entre architecture et nature. Nous avons un très bel exemple en France, avec le Fond régional d’art contemporain (FRAC) de Marseille, érigé en 2013. Une multitude de panneaux en verre coloré en blanc se déploie sur toute la surface. À la manière d’écailles, elles sont agencées selon différents axes pour transmettre une lumière diffuse dans les espaces intérieurs. Un véritable clin d’œil au « Musée sans murs » rêvé par André Malraux.

Topographie et matériau : réinvention perpétuelle

Arrêtons-nous maintenant sur un projet qui illustre au mieux la façon dont Kuma tire parti de la nature et des topographies auxquelles il se confronte.

La « Grande Muraille de bambou » s’étale à proximité de la Grande Muraille à une heure de Beijing. Cette partie de la plus célèbre fortification du monde émerge dès la dynastie Qin (221 – 206 av. J.-C.) sur un terrain montagneux, escarpé. Cette topographie particulière confronte l’architecte à deux choix possibles : soit il recourt au terrassement pour uniformiser le sol, soit il s’adapte entièrement à la géographie qui s’impose à lui.

S’incliner face à la topographie, la prendre en compte en la modifiant le moins possible, force à mener de nouveaux défis et nouvelles réflexions. Ainsi, le Mur de Bambou réalisé en 2002 est le fruit d’un travail sur le sol de la maison, dont les piliers adaptent leur hauteur pour épouser la forme du relief environnant. N’oublions pas aussi le bambou qui joue un rôle déterminant dans cette construction. Malgré tous les avantages de ce matériau (robustesse, flexibilité, esthétisme, écologie), il présente l’inconvénient de se fendre au séchage, limitant son utilisation à la sphère décorative et ornementale. Alliant les matériaux modernes et traditionnelles et s’appuyant sur la forme verticale rectiligne naturelle du bambou, Kengo Kuma propose ici des poutres et piliers de bambou dans lesquels les ouvriers ont coulé du béton. La fonction de support est ainsi garantie par la résistance du béton tandis que la cohérence naturelle est maintenue par ces « moules » de bambou.

L’ heureux mariage entre nature et architecture défendue par Kengo Kuma se manifeste par une attention toute particulière portée aux topographies originales qui accueillent ses structures et à l’emploi de matériaux qui s’insèrent harmonieusement avec l’environnement. Il expose cette conception de l’architecture dans son traité L’ Architecture naturelle. Pour les plus curieux d’entre vous, nous vous suggérons de faire un tour au château de Fontainebleau. Dans la chapelle haute Saint-Saturnin de ce joyau de l’architecture française se niche le pavillon de thé Fu.an, la « maison de thé flottante ».

Pavillon de thé Fu.an, Kengo Kuma, actuellement dans la chapelle haute Saint-Saturnin, château de Fontainebleau (Festival d’Histoire de l’art 2021) © Mathide Rétif

En savoir plus :

Kengo Kuma, L’architecture naturelle, Paris, éditions Arléa (traduit du japonais par Catherine Cadou et Chizuko Kawarada), 2020

Kengo Kuma, Kengo Kuma, une vie d’architecte à Tôkyô,éditions Parenthèses (traduit par Florence Michel), 2021

Image de couverture : Salle à manger, « maison Grande Muraille », Kengo Kuma & Associates, Badaling, Chine, 2002, © Satoshi Asakawa

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