Charlotte Perriand au Japon : le bambou (2/3)

Dans notre premier article, nous avons montré l’importance du voyage au Japon dans l’affirmation du style de Charlotte Perriand. Ce voyage fut en effet un bouleversement profond de son art. Formée par Le Corbusier et proche de Fernand Léger, Charlotte Perriand côtoie très tôt les avant-gardes, intéressées par les avancées industrielles et les possibilités des nouveaux matériaux tels que l’acier et le béton. Ainsi, Charlotte Perriand ne jurait que par le métal qu’elle qualifie de « révolution » dans son article « Wood or metal?  » de 1929. Son voyage au Japon marque une rupture : elle abandonne le métal au profit du bambou.

Abandonner le métal au profit du bambou

Catalogue de l’exposition « Sélection. Tradition. Création », Charlotte Perriand, 1941, tissu, os,  papier, coll. part. Crédit photo : Betty Parois.

« Aucun autre matériau ne possède de caractéristiques aussi infinies que le bambou. Il ne faut pas en conclure que le bambou étant le plus employé, l’avenir sera à ce matériau. » déclare Charlotte Perriand en 1941.

            La principale découverte de Charlotte Perriand au Japon est le bambou. Après avoir vanté les mérites du métal au détriment du bois, elle change de perspective et adopte les matériaux traditionnels japonais : le bois, la laque et surtout le bambou. Ce changement s’explique d’abord par une augmentation du coût du métal dès 1930 en France en raison de la crise économique mais surtout par la politique japonaise du daiyôhin mise en place en 1938. A partir de cette date, il est interdit d’utiliser des matériaux onéreux ou des métaux d’importation. Les artisans se tournent vers les matériaux naturels, notamment le bambou dont les possibilités font l’objet de nombreuses études.  

Dans l’exposition « Sélection, tradition, création » qu’elle organise en 1941 dans les grands magasins Takashimaya, elle ne présente que du mobilier en bois et bambou. Le bambou, son nouveau matériau favori, est utilisé de manière inédite et sous toutes ses formes : massif, en lamelles, tressé… Elle emploie des techniques traditionnelles comme le tressage qui reprend celui des capes de pluie de paysans, les mino, et utilise des tissus locaux. Elle s’inspire également des formes du mobilier japonais. Même le catalogue de l’exposition est réalisé à la manière japonaise, écrit en français et traduit en japonais.

Avec le bambou, elle crée du mobilier nouveau, fonctionnel et pliable, mais cherche aussi à transposer le mobilier d’acier créé à Paris. Ses recherches aboutissent à une fusion entre l’art moderne industriel et l’artisanat traditionnel japonais et correspondent parfaitement aux volontés politiques du gouvernement japonais : mettre en avant le Japon, montrer qu’on peut lier modernité et tradition en créant un design japonais sans renier l’identité nippone.

La scénographie de l’exposition « Sélection. Tradition. Création » témoigne également de l’aboutissement de ses réflexions sur l’espace. La salle d’exposition ne comprend aucun mur mais les espaces sont cloisonnés par des portes coulissantes, par des volets en paille ou encore par une moustiquaire.

Scénographie de l’exposition « Sélection. Tradition. Création », reconstitution à la Fondation Louis Vuitton lors de l’exposition « Le monde nouveau de Charlotte Perriand » (oct 2019 – février 2020) [licence CC].

Scénographie de l’exposition « Sélection. Tradition. Création », Charlotte Perriand, 1941 , photographie argentique, coll. part, crédit photo : Betty Parois .

Cette exposition, réalisée en totale collaboration avec des artistes japonais, est un véritable succès et influence de manière durable le design japonais. « De tous les Occidentaux qui ont travaillé au Japon, c’est probablement elle qui a eu la plus grande influence sur le monde du design japonais » écrit le designer Sôri Yanagi, dans un texte datant du début des années 1960.

Renouer avec le bambou : la Maison de thé (1993)

       A l’occasion du Festival culturel du Japon à l’Unesco, Hiroshi Teshigahara propose à quatre artistes (le japonais Tadao Ando, l’italien Ettore Sottsass, la coréenne Yae Lun Choï et la française Charlotte Perriand) de réaliser sur les toits de l’UNESCO leur vision d’une maison de thé traditionnelle japonaise. Alors âgée de 90 ans, Charlotte Perriand souhaite rendre hommage à la culture japonaise qui l’a tant marquée et fascinée. Elle décide de créer un espace propice au recueillement et à la méditation.

Croquis de la Maison de thé – Élévation, Charlotte Perriand, 1993, encre de Chine et feutre sur calque, coll. part., crédit photo : Betty Parois.

Ainsi, l’espace est isolé par une forêt de bambou, plante qui doit incarner la culture japonaise et le rapport des Japonais à la nature. Le bambou constitue également la structure légère qui surplombe la Maison de thé : cette construction est l’occasion pour l’artiste de renouer avec le bambou, un matériau qu’elle avait abandonné après 1941. Sur cette structure, la toile en mylar vert évoque la couleur du thé matcha employé dans la cérémonie du thé. Enfin, la maison sur pilotis semble flotter au-dessus d’une mer de galets, évoquant le jardin zen et plus généralement le jardin entourant les pavillons de thé.

Reconstitution de la Maison de thé de Charlotte Perriand au BHV en 2011, photos libres de droit.

Maison de thé – Élévation, Charlotte Perriand, 1993, photographie, Centre Pompidou, Paris, crédit photo : Betty Parois.

En décembre 1941, le Japon entre en guerre : Charlotte Perriand est contrainte de quitter le pays et se rend en Indochine qui est alors une colonie française. Elle y réalise un pavillon, détruit lors de la guerre d’Indépendance. Les liens entre Charlotte Perriand et le Japon ne sont pas pour autant rompus. Elle y retourne à plusieurs reprises et, comme le montre la Maison de thé, l’art japonais l’inspire jusqu’à la fin de sa carrière.

Pour en savoir plus :

  • sur Charlotte Perriand :
    Jacques Barsac, Sébastien Cherruet, Pernette Perriand, (dir.), Le monde nouveau de Charlotte Perriand, catalogue d’exposition, ed. Fondation Louis Vuitton et Gallimard, 2019, Paris.
  • sur Charlotte Perriand et le Japon :
    Jacques Barsac, Charlotte Perriand et le Japon, ed. Norma, 2008, Paris.
  • BD sur Charlotte Perriand et le Japon : Charles Berberian, Charlotte Perriand, une architecte française au Japon (1940-42), éditions du Chêne, 2019.

Photo de couverture : Ombres de bambou sur la toile de la Maison de thé (1993) par Charlotte Perriand, photogaphie lors de la reconstitution de la Maison de thé en 2011 au BHV, photo libre de droit.

Toutes les photos notées « crédit photo : Betty Parois » sont des photographies du catalogue d’exposition Jacques Barsac, Sébastien Cherruet, Pernette Perriand, (dir.), Le monde nouveau de Charlotte Perriand, catalogue d’exposition, ed. Fondation Louis Vuitton et Gallimard, 2019, Paris.

2 commentaires Ajouter un commentaire

  1. histoiredhumain dit :

    Je savais que le bambou est très utilisé au Japon mais j’ignorais qu’on en faisais du mobilier aussi design ( je plaisante, j’aime beaucoup).
    Bonne journée.

    Aimé par 2 personnes

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