« Si j’ai envie de raconter des petits riens de la vie quotidienne, c’est parce que j’attache de l’importance à l’expression des balancements, des incertitudes que les gens vivent au quotidien, de leurs sentiments profonds dans les relations avec les autres. », entretien avec Jirō Taniguchi pour le 23e numéro de Castermag, « Rêveries d’un promeneur solitaire », Jean-Philippe Toussaint et Corinne Quentin.
Le livre, l’auteur

En 1998, Jirō Taniguchi publie son 31e titre : Un quartier lointain. Le second tome sort l’année suivante et est publiée en France aux éditions Casterman en 2002. Les premières pages s’ouvrent sur la figure de Hiroshi, un homme proche de la cinquantaine, qui se remet bien mal d’une soirée arrosée. Il emprunte par mégarde un train qui le conduit dans sa ville natale, Kurayoshi (préfecture de Tottori). Attendant celui qui le ramènera chez lui, il visite la tombe de sa mère. Pris de migraines, il s’évanouit avant de se réveiller… dans le passé, à l’âge de 14ans ! Ses souvenirs d’adulte demeurent intacts. S’agit-il d’un rêve ? D’une chance d’empêcher le départ inexpliqué de son père, évènement qui a bouleversé la vie familiale ?

Jirō Taniguchi se situe au croisement de la bande dessinée occidentale et du manga japonais. Il s’inspire de la bande dessinée franco-belge à partir des années 1970, alors qu’il travaille avec le scénariste Natsuo Sakikawa. Cette influence se manifeste par le recours au style graphique de la « ligne claire » (précis et régulier), propre à Hergé. Dans les années 1990, il adopte la signature artistique qui fera sa renommée : un ton calme, contemplatif, abordant la vie de tous les jours. Décédé en 2017, Taniguchi a reçu le Prix des libraires de bandes dessinées au Festival d’Angoulême de 2003 pour Un quartier lointain et a été consacré Chevalier des Arts et des lettres en 2015.
Expression du temps qui passe

L’un des thèmes principaux de l’œuvre de Taniguchi, et en particulier de son œuvre Un quartier lointain, est celui du temps qui passe. Hiroshi, un cadre marié et père de famille porte un regard mélancolique sur les années qui se sont écoulées. À travers les pages, le lecteur ressent rapidement la question du temps qui s’écoule à toute vitesse, sans que le protagoniste ne puisse le retenir… tout comme le lecteur ! Cette temporalité longue se matérialise par une majorité de cases horizontales qui ralentissent le rythme de la narration et nous invitent à la contemplation du dessin, à respirer dans sa lecture : le temps passe lentement, inexorablement.
Hiroshi trompe le « Temps » en retournant dans son enfance. Après quelques pages d’adaptation, il voit dans cette opportunité inespérée la possibilité de fuir ses obligations et le quotidien qui lui pèse : recommencer une nouvelle vie, aider ses amis grâce à son expérience d’adulte, aborder son premier amour de jeunesse… mais surtout comprendre et tenter d’empêcher le départ de son père. Plus l’histoire se déroule, plus le lecteur se sent pris par cette quête et la volonté de retenir cette figure paternelle.
Le rapport au père
La relation entre Hiroshi et son père est au cœur du manga. Les premières pages informent le lecteur que le père du protagoniste a abandonné sa femme et ses deux enfants sans laisser d’explications. Malgré tout, le personnage apparait comme un homme dévoué à sa famille et bienveillant, ce qui renforce l’incompréhension du lecteur et réhausse le sentiment d’abandon ressenti à travers les yeux de Hiroshi. Pour le protagoniste, retrouver ses quatorze ans, c’est renouer avec la figure paternelle perdue, tenter de se rapprocher de lui, de le comprendre. L’expérience vécue par le héros illustre les éternels regrets que nous portons, adultes sur notre vie d’enfant : et si nous avions su, qu’aurions-nous fait ? Aurions-nous pu changer les choses ? Cela aurait-il vraiment impacté notre vie ?

Parallèlement à ce questionnement, le rapport à son père rythme les trois grandes parties de ce manga : dans un premier temps, Hiroshi retourne dans le passé et réalise qu’il a l’opportunité de découvrir la vérité ; vient ensuite la période où il cherche à comprendre son père et se laisse aller dans cette réalité alternative ; enfin, la troisième phase s’enclenche dans un dialogue final entre le père et le fils, seul à seul : le protagoniste retourne petit à petit à la réalité et porte, grâce à cette expérience extraordinaire, un regard nouveau sur sa vie et son propre parcours.
Le calme, la contemplation, la maîtrise du temps sont utilisés par Jirō Taniguchi pour dépeindre la vie quotidienne. Au croisement entre la bande dessinée occidentale et le manga, Un quartier lointain dépeint des questionnements et des émotions universels dans un rythme qui appelle le lecteur à « prendre le temps ». C’est une œuvre idéale pour initier les néophytes à l’art du manga ou contenter les lecteurs les plus avertis !
En savoir plus
Pour une analyse plus approfondie de Un quartier lointain.
Vous pouvez également retrouver la liste des oeuvres de Taniguchi
Image de couverture : Case issue du premier tome, Un quartier lointain, Jirō Taniguchi, détail, photographie de MnGyver