Une visite architecturale à Tōkyō

Début janvier, le livre Kengo Kuma, une vie d’architecte à Tōkyō est paru aux éditions Parenthèses. Ce petit ouvrage offre une visite de la capitale japonaise avec pour fil conducteur l’architecture. Ce recueil ouvre une porte pour un voyage vers la plus grande capitale du monde. Chers lecteurs, installez-vous confortablement après une longue journée et laissez-vous guider à travers les différents quartiers tokyoïtes.

Kengo Kuma : une vision monumentale à taille humaine

L’architecte Kengo Kuma est né en 1954 et est diplômé d’architecture de l’Université de Tōkyō. Kengo Kuma, une vie d’architecte à Tōkyō, le livre qu’il écrit, nous livre le regard tout à fait personnel que l’artiste porte sur cette ville. Il y présente, à la manière d’un journal dans lequel il consignerait ses pensées, ses réflexions et sa vision de l’architecture contemporaine.

Contrairement aux grands architectes qui ont marqué le visage de Tôkyô après la Seconde Guerre mondiale (nombreuses sont les références à Kenzō Tange, qu’il admire beaucoup), ses créations se veulent plus intimes. Kuma cherche à imprégner ses structures de l’esprit du quartier qui les abrite, à les fondre dans leur environnement. L’exemple le plus frappant est la bibliothèque qu’il a fait édifier dans le Parc Seseragi (quartier de Den-en-chôfu). Cette illustration intervient dès le début de l’ouvrage. Le parc tient une place majeure dans les souvenirs de l’artiste : c’est là qu’il jouait, enfant, avec ses camarades de classe. La bibliothèque, en bois, a été conçue pour se mêler aux arbres et à l’ombre des feuillages, offrant à ceux qui le souhaitent un espace pour lire « au milieu d’une forêt ». Cette bibliothèque concentre tout le propos architectural de Kengo Kuma : une architecture à taille humaine, intime, sensible, où l’homme s’épanouit et respire.

D’autres constructions abondent dans ce sens. Face au béton du Gymnase olympique de Yoyogi réalisé en 1964 par l’architecte phare du XXe siècle Kenzō Tange, Kuma lui oppose le bois pour réaliser son Stade Olympique situé dans le quartier de Harajuku. Il se pose en contrepied des hauteurs vertigineuses proposées dans le projet initial de Zaha Hadid (75m de haut) pour ne pas dépasser 50 mètres et intégrer ce bâtiment incontournable des Jeux de 2021 dans l’horizon de la forêt du Meiji Jingu, le plus important lieu de culte shintô du pays.

La nature prévaut dans les sources d’inspiration de l’architecte. Le bois bien entendu, mais également le règne animal, à qui il rend hommage avec le Centre de Recherches en informatique ubiquitaire Daiwa (quartier de Hongô). La façade présente des lames de bois claires, superposées aléatoirement à la manière d’écailles, pour donner à la surface un aspect texturé, organique. Il s’oppose ainsi aux réalisations « lisses » et iconiques d’autres architectes contemporains japonais, dont le fameux béton « brut de décoffrage » de Tadao Andō (Galerie Times, Tōkyō).

L’éloge de la modernité grâce à la tradition

Schéma de la technique « jigoku-gumi », Visuel : Forgemind ArchiMedia

Un autre axe de réflexion de Kengo Kuma est sa volonté de tirer profit des techniques traditionnelles japonaises, voire de les sortir de l’oubli. Il s’attaque à des défis architecturaux innovants. Ainsi, la pâtisserie Sunny Hills (quartier de Minato) est le premier bâtiment à avoir recourt à la technique du « jigoku-gumi » (litt. « verrouillage de l’enfer ») : de fines bandes de bois en coupe transversale sont assemblées selon des angles prédéfinis ; une fois montée, la structure se veut indissociable. Extrêmement complexe à maîtriser, cette technique n’avait été utilisée que pour des objets de taille réduite. Néanmoins, elle permet d’offrir un treillis aéré qui consacre une place centrale au vide et à l’ombre dans le bâtiment.

 Et l’ombre est justement au cœur de la culture japonaise ! L’architecture traditionnelle cultivait l’obscurité et maîtrisait la diffusion d’une lumière subtilement distillée. Avec la modernisation du Japon, l’ombre s’éclipse au profit de la lumière. Kuma joue sur les paradoxes et renoue avec l’ombre innée de l’architecture japonaise. Pour le Meiji Jingû Museum (quartier de Harajuku), Kengo Kuma adopte la forme de toit irimoya (en demi-croupe), spécifique des constructions anciennes au Japon. Cependant, il élargit davantage les avant-toits, à la fois pour mieux intégrer son bâtiment dans son environnement et surtout pour augmenter sensiblement la pénombre qui entoure le musée. Dès lors, il offre un refuge précieux face aux intempéries (chaleur, pluie) et « matérialise » une transition entre l’extérieur et l’intérieur…    

Fabrication du papier washi, préfecture de Hyogo (Japon), Photo : Hidekiyuki Kamon

Le « papier japonais », dit washi, est un troisième savoir-faire ancestral que Kengo Kuma fait revivre à travers ses structures. Apparue au VIIe siècle, cette technique de fabrication a recours à l’écorce du kozo (variété de mûrier) qui confère au produit final légèreté, flexibilité et solidité. Kuma a employé ce papier aux caractéristiques si particulières pour l’intérieur du Musée d’art Suntory (quartier de Roppongi). Plus qu’une revalorisation d’une technique traditionnelle, ce choix architectural soutient la production locale du washi et tente d’enrayer sa disparition. Le kozo employé ne provient pas de l’importation (comme c’est généralement le cas de nos jours) mais est cultivé sur le sol japonais et réalisé par l’artisan Yasuo Kobayashi dans les règles d’un art inchangé depuis un millénaire !

Kengo Kuma, une vie d’architecte à Tôkyô constitue un véritable manifeste de cet architecte. Toutes ses œuvres sont marquées par sa volonté de les immerger dans le tissu environnemental. Qu’importe l’échelle, les techniques traditionnelles japonaises ont encore beaucoup à enseigner à l’architecture contemporaine… pourvu qu’un architecte ose s’y confronter ! Kengo Kuma démontre une vision de « l’art de bâtir » en symbiose entre l’homme et la nature, entre passé, présent et futur...

En savoir plus :

  • Kengo Kuma, une vie d’architecte à Tōkyō, Kengo Kuma (traduit par Florence Michel), 2021, éditions Parenthèses.
  • L’Eloge de l’ombre, Jun’ichirô Tanizaki (traduit par René Sieffert), 1977, éditions Verdier.
  • L’art Japonais, Christine Shimizu, réédition « Tout l’Art » 2008, éditions Flammarion.

Image de couverture : Pâtisserie Sunny Hills, Kengo Kuma, 2013, Tōkyō Photo : superidoljp

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