En novembre dernier, Tokonoma vous avait présenté un article sur les fameux céladons coréens, appelés cheongja. Et si l’on vous disait que de cette tradition des céladons est né un nouveau type de céramiques propre à la Corée, appelé buncheong ? Celui-ci est produit pendant seulement 200 ans, à l’époque Joseon (1392-1910) entre le XVe et le XVIe siècle avec néanmoins une augmentation rapide du nombre de fours dans les provinces, reflétant une forte demande pour ces objets à l’esthétique exubérante !
Les premiers buncheong, tributaires des modèles du passé

Avant d’entrer dans le vif du sujet, clarifions-le : qu’est-ce qu’un buncheong ? Le terme bungjang hoecheong sagi nous vient de l’historien de l’art coréen Ko Yu-seop (1905-1944) ; il se traduit par « des céramiques gris-vert décorées de poudre ». Ce sont donc des grès de couleur gris charbon, recouverts d’un engobe blanc épais, avec un décor incisé, estampé, incrusté ou peint. Puis après application d’une couverte, ils sont cuits à l’aide d’une température de grand feu (1200°C environ).
Aujourd’hui cette céramique est largement connue sous son nom abrégé, buncheong sagi ou parfois comme buncheong. Ko Yu-seop a formulé ce terme afin de classer ces grès qui partagent des similitudes avec le céladon (Cheongja) et la porcelaine (Baekja) en terme de forme, de décoration et de couverte, mais tout en possédant des caractéristiques distinctives. L’argile et la couverte du buncheong sont moins raffinées. Leur aspect est plus terreux, expérimental, rustique… mais également plus dynamique.

Son principal mode décoratif est l’utilisation d’un engobe blanc, appliqué au pinceau, ou par immersion de la pièce directement dans la couverte. Lors de la première période de production, au XVe siècle, le décor est incrusté ou estampé, très proche de celui des céladons de la période Goryeo. En effet, certaines des premières productions buncheong, comme les vases maebyeong, sont directement inspirées de ces céramiques anciennes. Ce qui fait leur différence, c’est leur plus petite taille et la générosité de leurs courbes en S, rendant leurs formes si voluptueuses !

Pour bien comprendre le contexte dans lequel naissent les buncheong, faisons un petit point historique ! Au début du XVe siècle, le lourd tribut payé par les Coréens aux Ming (1368-1644) provoque la raréfaction de l’or et de l’argent. L’élite se trouve dans le besoin de substituer la vaisselle métallique rituelle. Elle est donc progressivement remplacée par de la céramique : les buncheong ! Le nom des administrations auxquelles on destine les pièces est parfois inscrit, indiquant que la production buncheong est sous contrôle de l’État, qui s’assure ainsi de la qualité de la production. Dans le même temps, la production croissante de porcelaine offre une nouvelle alternative à la vaisselle en métal. C’est ainsi que dès la fin du XVe siècle, la cour se désintéresse des buncheong.
Une réappropriation par le peuple : incarnation de la fantaisie
Mais la technique ne disparaît pas pour autant ! Désormais libéré des codes contraignants de la cour royale, le buncheong est adopté par les fours non officiels et par un plus large public, qui apprécie les motifs vivants et imaginatifs de ce style. En effet, les buncheong plus tardifs (fin XVe-début XVIe siècle) contrastent fortement avec l’esthétique sobre et conventionnelle de la production royale. Ce sont des dessins simples, relâchés, vivants et libres, incisés, incrustés ou peint au brun de fer sur fond blanc, avec des effets naturels dans le mouvement du pinceau et dans la vitesse du tracé.
Bouteille en forme de flasque avec motif de poisson incisé, buncheong, H. : 20cm. Bol à couvercle buncheong avec motif de lotus et volutes au brun fer sous couverte, H. : 15cm. Bouteille buncheong avec motif de pivoines sgraffite en brun de fer sous glaçure, H. : 30cm.
Ce sont aussi des formes plus rudimentaires, plus utilitaires avec des décors aux thèmes légers tels que des poissons, des plantes, ou encore des fleurs qui sont les motifs les plus populaires. Le mouvement et la vie ont ici une présence indéniable ! Leur succès est tel que ces pièces sont produites en abondance dans les fours du mont Gyeryong au sud de la province de Chungcheong.

Petit à petit remplacée par la porcelaine à la fin du XVIe siècle, la tradition du buncheong prend fin avec l’invasion japonaise de la Corée entre 1592 et 1598. Lorsque les centres de production dévastés sont reconstruits au XVIIe siècle, seule la production de porcelaine reprend. Les potiers coréens déportés au Japon transmettent toutefois la technique à leurs descendants et aux artisans locaux. Ainsi naît au Japon une céramique similaire nommée mishima, utilisée lors de la cérémonie du thé. On peut donc parler de renouveau du buncheong au Japon !
La céramique buncheong, qu’elle soit la continuité du passé ou l’incarnation de la fantaisie et de l’originalité, marque un tournant dans l’histoire de la céramique coréenne ! Elle permet de saisir les goûts sophistiqués de la cour de l’époque Joseon mais aussi l’inventivité des centres de productions périphériques. Les modifications du concept et l’importance historique du buncheong ont aujourd’hui incité les chercheurs coréens à récupérer leur patrimoine culturel, devenant de ce fait un enjeu culturel national.
En savoir plus :
- « Poetry in Clay: Exploring Korean Buncheong Ceramics, Japanese Revivals, and Their Significance Today » conférence de Soyoung Lee conservatrice associée du MET, Metropolitan Museum of Art, New York.
- La Terre, le Feu, l’Esprit, chefs-d’œuvre de la céramique coréenne, commissariat général : Dr. Kim Youngna (directrice du Musée national de Corée, Séoul), Grand Palais, 27 avril -20 juin 2016.
- Vous pouvez également consulter le catalogue « Korean Buncheong Ceramics from Leeum, Samsung Museum of Art » sur le site officiel du MET.
Image de couverture : Bouteille en forme de flacon décorée de motifs de pivoine, buncheong, fin du XVI siècle, Dynastie Joseon (1392–1910), H. : 21cm, MET.
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