Tokonoma continue sa série sur les arts décoratifs en Asie en vous présentant la technique des émaux cloisonnés. Très tôt utilisée en Europe, ce procédé va voyager jusqu’en Chine aux alentours du XIIIe-XIVe siècle où elle atteint par la suite des sommets de virtuosité.
De l’Orient à la Chine : l’émergence des cloisonnés sous les Yuan (1279-1368)
Si la Chine est célèbre pour avoir été précurseur dans de nombreuses techniques comme le bronze ou encore la porcelaine, elle excelle également à intégrer et développer les techniques étrangères dont celle des émaux cloisonnés fait partie. En 1388, Cao Zhao mentionne pour la première fois dans le Gegu Yaolun ou « Critères essentiels des antiquités » des œuvres employant la technique des émaux cloisonnés. Elles sont décrites comme étant certainement réalisées par des artisans byzantins ou arabes installés dans le sud de la Chine sous la dynastie des Yuan (1279-1368).

La technique consiste tout d’abord à mouler les oeuvres dans un alliage cuivreux. Puis de fines bandes du même métal sont placées perpendiculairement à la surface de l’objet et fixées avec ce que l’on appelle du « baiji« , une sorte de colle faite à base de racine d’orchidée. Les bandes ainsi posées forment alors un réseaux de cloisons et de cellules définissant le motif dans lesquelles on vient appliquer les différentes couleurs d’émail. L’ensemble est ensuite cuit à basse température, entre 680°C et 720°C, pour de ne pas faire fondre les cloisons. Puis la surface est poncée afin de bien faire fusionner les cloisons avec l’émail. Enfin, la pièce est polie avec du charbon et les cloisons sont dorées.
Cao Zhao décrit dans le Gegu Yaolun les différentes couleurs d’émaux alors employées. S’il n’en mentionne que cinq, les œuvres datées de cette période en présentent pourtant sept : turquoise, bleu foncé, blanc, jaune, rouge, violet, vert foncé. Tous les émaux sont opaques à l’exception de l’émail vert et violet qui sont transparents. Les couleurs peuvent ainsi être mixées entre elles directement dans les cellules afin d’élargir la gamme colorée. Sur ce brûle-parfum du musée des Arts Décoratifs par exemple, le vert clair des feuilles est obtenu par superposition d’émail vert foncé sur de l’émail jaune. Le turquoise est la couleur la plus souvent adoptée pour le fond, bien que l’on puisse trouver plus rarement du vert ou bleu foncé.
Sophistication de la technique sous les Ming (1368-1644) et les Qing (1644-1911)

Sous la dynastie Ming (1368-1644), la technique de superposition des émaux est portée à un haut degré d’aboutissement. Il est très fréquent de superposer un émail transparent, vert ou violet sur un émail opaque, blanc ou jaune, afin de donner une qualité plus naturaliste au décor, très souvent végétal ou animal. Ce vase meiping du musée des Arts Décoratifs illustre parfaitement toute la perfection technique atteinte par les artisans. Les bandes de métal servant à réaliser les cloisons sont tellement fines qu’elles sont généralement doublées. À partir de la dynastie Qing (1644-1911), elles deviennent plus épaisses et sont faites de cuivre et non plus d’alliage cuivreux comme précédemment. Sous le règne de l’empereur Kangxi (1661-1722), des ateliers impériaux dédiés au travail des émaux cloisonnés sont installés au sein de la Cité Interdite, révélant ainsi le prestige associé à cette technique placée directement sous le contrôle impérial. À la même période, les artisans mettent au point une nouvelle couleur d’émail : l‘émail rose. Réalisé à base de poudre d’or ou poudre de Cassius, il aurait été inventé en Hollande et serait arrivé en Chine par le biais des Jésuites installés à la cour de l’empire Qing. Sous le règne de l’empereur Qianlong (1736-1795), plus de vingt couleurs d’émaux sont maitrisées.
Usage et symbolique

Dans le Gegu Yaolun, Cao Zhao rapporte que les objets à décor d’émaux cloisonnés conviennent aux appartements d’une femme mais ne sont pas adaptés aux studio des lettrés. En effet, la splendeur exotique, les couleurs chatoyantes et la somptuosité des émaux cloisonnés ne sont pas en accord avec les valeurs lettrés centrées autour d’une recherche de sobriété et de retour au naturel. Il convient toutefois de nuancer le propos de Cao Zhao : la majeur partie de la production d’émaux cloisonnés étaient en effet à destination de la cour et des élites Ming et Qing qui en avaient un usage quotidien. On retrouve ainsi de nombreux brûle-parfums et vases dédiés aux arrangements floraux et à faire bruler de l’encens, deux activités de plaisir auxquels les membres de la cour aimaient s’adonner. De plus, certaines peintures datant du règne de l’empereur Qianlong nous indiquent que les cloisonnés étaient réservés à l’empereur, la cour ne pouvant utiliser que les porcelaines. Les œuvres à décor d’émaux cloisonnés portent souvent des motifs auspicieux, de bon augure ou à symbolique bénéfique comme le lotus qui, émergeant de la boue, est un symbole de pureté.
D’une technique étrangère importée probablement depuis l’empire byzantin, les artisans chinois ont porté à une haute maîtrise technique l’art des émaux cloisonnés, jusqu’à en faire l’une des techniques les plus employées dans les arts décoratifs chinois. Complexe, coûteuse et très demandée, elle est restée l’apanage du pouvoir. Dans une version étendue du Gegu Yaolun datant de 1459, Wang Zuo rapporte même que les cloisonnés faits pour l’empereur sont « délicats, brillants et beaux », établissant ainsi le statut important qui leur est conféré.
Plus d’informations
Béatrice Quette, Cloisonné: Chinese enamel from the Yuan, Ming and Qing dynasties, Gallery publications, 2011, 368p
Image de couverture : Base de mandala, Chine, dynastie Ming, XVe siècle, émaux cloisonnés, Diam. 34,3 cm, Metropolitan Museum of Art, New York, Domaine public
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