La très fabuleuse – et très oubliée – vie et œuvre d’Arcade Hoang

Huang Jialue (1679-1716), dit « Arcade Hoang » est peu connu en France. Et pourtant, la vie de cet intellectuel, l’un des premiers Chinois à s’installer en France au début du XVIIIe siècle, a de quoi intriguer.

Jésuites et Querelle des rites : le christianisme comme intermédiaire entre la Chine et l’Europe

  E. Weyerstraet et J.J Van Waesberghe, Page de Garde de La Chine Illustrée d’ d’Athanasius Kirchert (1776), Amsterdam . Source : Wikipedia Commons

Le christianisme connaissait une diffusion, certes minime, dans l’empire Qing (1644-1911), par l’intermédiaire des missionnaires jésuites, et ce depuis la dynastie Ming (1368-1644) avec Matteo Ricci (1552-1610). Le problème résidait dans l’incompatibilité des rites chinois avec les exigences de l’église de Rome. Les cultes des ancêtres et de l’empereur, centraux pour un empire confucianiste, seront en effet interdit par bulle papale en 1742. Cette bulle s’inscrivait en contradiction avec une culture structurant la société chinoise, et remettait en cause la souveraineté de l’empereur. C’est ce qu’on appelle la Querelle des rites.

Une éducation pluriculturelle

Arcade Hoang est, quelque part, le produit, ou plutôt l’acteur de ce contexte puisque  né d’un père converti au catholicisme. Il reçoit une éducation tant biblique que lettrée, ayant pour but de faire de lui un intermédiaire entre l’Église et l’Empire.

Si c’est dans cette optique qu’Arcade part pour l’Europe en 1702 avec son protecteur, « Mgr de Rosalie, il saisit cette occasion pour tracer son propre destin. Il s’installe à Paris ; l’abbé Bignon le met en contact avec la bonne société érudite parisienne et lui procure, sous le titre  d’« interprète chinois du Roi Soleil », un accès aux quelques 5000 manuscrits chinois conservés à la bibliothèque royale . D’intermédiaire religieux, il se tourne vers un interprétariat à l’approche plus culturelle. Ce travail lui confirme ses doutes sur sa volonté d’entrer en religion. Après quelques mois, il refuse de repartir en Chine avec Mgr de Rosalie, fort mécontent de perdre ainsi un allié de choix dans sa lutte.

Ce dernier s’oppose un long moment à sa volonté de se marier avec Marie Claude Reignier, dont il est tombé amoureux. Il finit cependant par se marier en 1713, signant ainsi son installation pérenne en France et son indépendance face à l’instrumentalisation des Jésuites.

La « Chine fantasmée » des Français

F. Boucher, Le Jardin Chinois, 1742. Huile Sur toile, 40,5×48 cm, Musée des Beaux Arts de Besançon, Source : Wikipedia Commons

Sa situation reste par ailleurs malaisée. En France, la cour s’emballe pour des « chinoiseries », comme les porcelaines bleu-et-blanc. Les érudits, dans une quête pour retracer la Génèse biblique, voient dans les caractères chinois une possible origine du langage, mise en continuité avec les hiéroglyphes égyptiens. Le monde intellectuel s’intéresse à la Chine au travers d’un corpus orientaliste élargi à l’Asie, et par un prisme religieux qui plus est. Arcade découvre avec consternation cette image retranscrite de la Chine en Europe. Par ailleurs, si Shen Fuzong (1657-1692), un autre intellectuel, l’a précédé en Europe dans le quatrième quart du XVIIe siècle, sa situation reste assez inédite, ce qui complique son intégration.

Une collaboration prometteuse

Extrait des Papiers du Chinois Arcade Hoang, 1701-1800, Manuscrit papier, 290 feuillets. BNF, Département des manuscrits, Paris. Source : Gallica (domaine public)

On lui confie tout d’abord un inventaire des manuscrits Chinois, puis, très vite, la mission d’élaborer une grammaire et un dictionnaire du Chinois. Il adapte également le tableau des clefs tiré du dictionnaire de l’empereur Kangxi publié en 1715 (r. 1661-1722).

Il entame une collaboration avec son ami Nicolas Fréret,(1688-1749), érudit surtout connu pour ses travaux en histoire et en mythologie. Tous deux tentent ainsi de permettre une connaissance réelle de la Chine, dissociée de sa légitimation biblique fallacieuse. Ils réfléchissent ensemble à la meilleure approche à adopter pour permettre aux Occidentaux de s’initier au Chinois, d’avoir ensuite accès au formidable corpus collecté par la bibliothèque royale donc à une approche directe et plus fiable des textes chinois.

En parallèle, il enseigne à Fréret des rudiments de la langue. Le géographe Joseph-Nicolas Delisle et l’orientaliste Etienne Fourmont (1683-1745) rejoignent le groupe d’étude. Leur travail est perturbé par l’envoi en prison de Fréret en 1714 , dont les thèses intellectuelles, très critiques, sont jugées contraires à la monarchie. Le petit groupe se déséquilibre. L’arrivée de Fourmont a signé la fin de cette collaboration prometteuse. Il critique fréquemment Arcade Hoang, lui reprochant particulièrement son manque de maîtrise de la langue française. Arcade doit également faire face à des difficultés personnelles. Il est de santé fragile. Par ailleurs, sa femme meurt en 1715 en donnant naissance à leur petite fille.

Arcade s’éteint peu après. Seules ses mémoires nous permettent de réhabiliter sa contribution, tombée dans l’oubli. En effet, Fourmont, lors de la publication de la grammaire en 1742, s’approprie la parenté de ses travaux.

Pour en savoir plus :

Les Mémoires d’Arcade Hoang

Danielle Elisseeff, Moi, Arcade : interprète chinois du Roi-Soleil, Paris : Arthaud, 1985.

Cet article au sujet de la vogue des chinoiseries à Versailles.

Image de couverture : E. Fourmont, Linguae Sinarum mandarinicae hieroglyphicae grammatica duplex, latine et cum characteribus Sinensium. Item sinicorum regiae bibliothecae librorum catalogus denuo, 1742, monographie imprimée, 593 vues. BNF, département des manuscrits, Paris. Source : Gallica (domaine public)

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