En juin dernier, Tokonoma vous avait présenté un article sur la période Goryeo (918-1392). Plusieurs productions caractéristiques de cette époque avaient été introduites… notamment les fameux céladons, appelés Cheongja en Corée ! Venue de Chine, cette technique a su s’implanter dans la péninsule, plus particulièrement dans les régions sud-ouest, grâce à la qualité de ses terres (les régions de Buan et Gangjin sont les plus représentatives) ; les artisans ont développé une esthétique et des techniques propres et portent le grès céladon à un niveau technique incomparable !
Le céladon : une maîtrise technique
Parlons peu, parlons technique ! D’ici quelques lignes, la définition de « céladon » n’aura plus de secrets pour vous et vous serez en mesure d’apprécier toute la complexité de sa production… et la virtuosité de ses artisans !

Le « grès » se caractérise par une qualité supérieure des argiles employées et une cuisson de grand feu (1200°C). À ce stade, les particules de silice contenues dans l’argile fondent et se vitrifient. La maîtrise d’une si haute température constitue un véritable défi ! Les premiers succès ont lieu en Chine, dès le XIIIe siècle av. J.-C. La Corée est le second pays qui parvient à dompter de telles flammes ! Des grès datant de la période des Trois Royaumes (618-926) attestent déjà du savoir-faire des artisans. Toutefois, ils revêtent encore une couleur gris clair.
Comment se définit le « céladon » ? Nous pouvons donner deux réponses. Il s’agit à la fois d’une couleur, un vert bleuté, qui tire son nom de la couleur des rubans du protagoniste de l’Astrée, Céladon (écrit entre 1607 et 1627 par Honoré d’Urfé) ; mais c’est également un type particulier de couverte . Une fois apposée sur un grès ou une porcelaine, elle doit être cuite à 1200°C. Le principal agent de cette couleur spécifique provient d’un très faible pourcentage de fer (3% environ). Plus on ajoute d’oxyde de fer dans la préparation, plus le vert sera foncé, jusqu’à devenir noir (6% de fer). Autre contrainte : la cuisson doit se faire en réduction… Pas une seule once d’oxygène ne doit passer dans le four sous peine de transformer la couleur tant désirée en vert olive !

L’artisan est soumis à de longues et méticuleuses étapes avant d’obtenir le Cheongja attendu à la sortie du four. Le Goryeo Celadon Museum de Sadang (province de Gangjin) a estimé le nombre d’étapes séquençant le processus à pas moins de 24 : l’argile est tamisée, mélangée, séchée, humidifiée, martelée pour ôter toutes les bulles d’air, montée au tour, etc. Lorsque la forme et le décor sont achevés, l’objet est soumis à une première cuisson de 800°C. Après refroidissement, l’artisan applique la couverte ; l’œuvre est ensuite disposée dans des casettes pour la protéger d’éventuelles projections de cendre ou de suie, puis cuite une seconde fois à 1200°C. Les œuvres comportant des défauts sont immédiatement détruites, en témoignent de nombreux tessons retrouvés dans les fouilles des anciens sites de production.
La virtuosité esthétique des Cheongja

Les artisans coréens développent une esthétique propre et des procédés de décoration dont la beauté est reconnue au-delà des frontières. Dans un premier temps, les céladons sont dépourvus de décor : la couleur se suffit à elle-même pour provoquer l’admiration. Cette production se nomme Mumun.
Mais à partir du XIIe siècle, les innovations décoratives explosent ! Le terme Yanggak se rapporte aux œuvres dont le décor est en léger relief. Les céladons moulés, anthropomorphes ou zoomorphes, font également leur apparition pour des petits contenants.
Les Tugak, ajourés, sont quant à eux des objets extraordinaires réservés à une élite.
Bol, grès céladon, décors de lotus type Yanggak, XIIe siècle, fours de Gangjin, Freer Gallery of Art, Washington, D.C. – Wikicommons Aiguière à décors de lotus et d’enfants, grès céladon type Tugak, XIIe siècle, Musée national de Corée, Séoul – Wikicommons

La fin du XIIe siècle voit l’apparition de la technique typiquement coréenne Sanggam (motifs creusés et remplis d’argile colorée) ; c’est cette production qui vient généralement à l’esprit lorsqu’on évoque les céladons coréens. Véritable âge d’or de la production, les céladons sanggam font preuve d’un savant équilibre entre les espaces avec et sans décors.

Au XIIIe siècle, les motifs recouvrent l’intégralité de la pièce. Les Cheongja sont produits en masse et les décors sont de plus en plus conventionnés. Malheureusement, au XIVe siècle, les nombreuses incursions étrangères (mongoles puis japonaises) détruisent les fours de Gangjin et Buan, sonnant le glas de la production de Cheongja.
Après une première redécouverte pendant la période de la colonisation japonaise (1910-1945), l’intérêt pour les céladons de la période Goryeo se poursuit dans une forme de revendication nationale et identitaire : de nombreuses fouilles sont menées à Gangjin. Aujourd’hui, des comités, des associations et des musées ont pour vocation de faire rayonner les Cheongja de l’époque Goryeo ; les recherches du Goryeo Celadon Museum ont permis de reconstituer à 90% la technique ancestrale.
En savoir plus
- « Des céladons aux bleux-blancs : la céramique coréenne des dynasties Goryeo et Joseon« , conférence de Robert D. Mowry, Conseiller principal en art chinois et coréen, Christie’s New York, 2017
- « Reviving traditional Korean celadons« , documentaire réalisé par l’Asian Art Museum de San Francisco, 2008
- Vous pouvez également consulter la version anglaise du site officiel du Goryeo Celdaon Museum de Sadang.
- La Terre, le Feu, l’Esprit, chefs-d’œuvre de la céramique coréenne, commissariat général : Dr. Kim Youngna (directrice du Musée national de Corée, Séoul), Grand Palais, 27 avril -20 juin 2016
Image de couverture : Théière en forme de tortue, grès céladon, XIIe siècle, Musée national de Corée, Séoul, Trésor national n°96 – Wikimédia Commons
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