Gong Kai et la peinture loyaliste au début des Yuan

La seconde moitié du 13e siècle voit l’invasion de la Chine par les Mongols et le renversement violent de la dynastie des Song du sud (1127-1279). Pour la première fois de son histoire, l’empire du milieu est entièrement aux mains d’un peuple non chinois. Les artistes font alors face à un dilemme : servir à la cour du nouvel empereur Kubilaï Khan, ou bien rester fidèles à la dynastie Song et se retirer dans la pauvreté…

Kubilai Khan — Wikipédia
Portrait de Kubilai Khan, empereur des Yuan, vers 1294, encre et couleurs sur soie, Taipei, Musée national du Palais. Domaine public

Servir ou partir

Le choix est cornélien. Certains peintres affirment servir le nouveau régime pour pouvoir le tempérer, tandis que d’autres refusent de compromettre leur loyauté à la dynastie Song. Ces lettrés fonctionnaires qui quittent la cour, volontairement ou contraints, sont appelés des yimin (« sujets inemployés »). Gong Kai (1222-1307) est l’un d’eux. Lui qui avait servi brièvement sous les Song décide de se retirer dans sa province natale avec sa famille. Pour subvenir à ses besoins, il n’a plus que ses peintures et calligraphies à vendre ou à échanger contre des faveurs. Mais que peindre ?  

Car dans une période si troublée, et particulièrement pour un artiste qui revendique son opposition au régime, la peinture ne peut être que politique. Toutefois, la discrétion est de mise. La nouvelle administration mise en place par Kubilaï Khan se montre, en effet, particulièrement rude vis-à-vis des lettrés réfractaires.

Symboles politiques

La condition difficile des lettrés loyalistes du début des Yuan transparaît dans les deux uniques peintures de Gong Kai qui nous sont parvenues. La plus célèbre sans doute est son Cheval émacié, aujourd’hui conservée au Musée des Beaux-Arts d’Osaka. On y voit un animal complètement décharné, tournant le dos au spectateur comme s’il se retirait, accompagné par le vent qui balaye sa crinière. Le symbole n’est pas nouveau : le cheval a souvent été utilisé par les artistes chinois pour représenter le lettré. Lorsqu’il est visiblement bien nourri, c’est que le gouvernement prend soin de sa population. Emacié, il reste pourtant noble et digne. Un symbole idéal pour Gong Kai et les peintres qui ont refusé de se rendre à Dadu (l’actuelle Beijing), nouvelle capitale de Kubilaï Khan. Le texte inscrit par l’artiste au dessus de la tête basse de l’animal encourage d’ailleurs lui aussi à interpréter l’œuvre en ce sens :

« Depuis que les nuages et la brume couvrent le col céleste, vides ont été les douze écuries impériales de l’ancienne dynastie. »

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Gong Kai, Cheval émacié, 1280, encre sur papier, Osaka, Musée municipal des beaux-arts. Domaine public

On attribue à la seconde œuvre connue de Gong Kai un sens tout aussi politique. En apparence, ce rouleau horizontal sur papier semble pourtant lui aussi bien innocent. Intitulé Le voyage de Zhong Kui, il représente un personnage légendaire bien connu des Chinois, qui part ici chasser en compagnie de sa sœur. On a alors l’habitude d’accrocher dans les maisons des représentations de Zhong Kui pour se protéger. Ce dernier est en effet surnommé « le pourfendeur de démons ». Le choix d’un tel sujet par Gong Kai n’est sans doute pas anodin. Il a pu être expliqué comme l’expression du souhait du peintre de voir venir quelqu’un pour chasser le « démon » mongol de l’empire chinois. Ce sera chose faite en 1368 avec l’avènement de l’empereur Ming Hongwu.

Gong Kai, Le Voyage de Zhong Kui (détail), fin du 13e siècle – début du 14e siècle, encre sur papier, Washington, Freer Gallery ofArt. Domaine public

La question du style

Les choix iconographiques ne sont pas le seul biais par lequel les peintres yimin revendiquent leur fidélité aux Song. Le style employé participe lui aussi de la vocation politique des peintures. Ainsi le trait de Gong Kai, parfois qualifié d’inélégant ou d’amateur, était-il mis en avant par l’artiste comme le gage de sa sincérité. On a également pu voir dans sa technique une référence aux peintures de chevaux de la dynastie Tang (618-907), perçue comme une époque de puissance et de rayonnement de la culture chinoise. Le cheval de Gong Kai reprend en effet certaines caractéristiques des œuvres du plus célèbre peintre de chevaux de l’époque : Han Gan (actif vers 742-756). Citons les ombrages marqués qui dessinent le volume des corps, le choix du cheval de profil isolé sur un support laissé nu, ou encore la volonté d’individualiser l’animal par son expression… Toutes ces références au passé glorieux de l’empire apparaissent comme un refus des bouleversements portés par le nouvel empereur de Chine.

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Attribué à Han Gan, Huiyebai, cheval de l’empereur Tang Xuanzong, milieu du 8e siècle, encre sur soie, New York, Metropolitan Museum of Art. Domaine public

D’autres peintres, comme Zhao Mengfu, qui pourtant descend directement de la famille impériale Song, vont faire le choix de se rendre à la cour de Dadu pour offrir leurs services aux Yuan. Mais ça, c’est une autre histoire…

En savoir plus :

Découvrir Zhao Mengfu, un peintre qui a choisi de servir les Yuan

BARNHART Richard M., CAHILL James, LANG Shaojun (et al.), Trois mille ans de peinture chinoise, Arles : éd. Philippe Picquier, 2003

CAHILL James, Hills beyond a river : Chinese painting of the Yuan dynasty, Weatherhill, 1976

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