
L’exposition À toi appartient le regard […] et la liaison infinie entre les choses propose un dialogue inédit en France entre 26 artistes originaires d’Asie, d’Afrique, d’Amérique et d’Océanie. C’est la première exposition d’envergure au Musée du Quai Branly – Jacques Chirac qui met à l’honneur la création photographique et vidéo contemporaine du monde extra-occidental.
Un parcours qui permet de découvrir des artistes tout en s’interrogeant sur l’image
On ne le sait pas forcément mais la valorisation de la création contemporaine est une volonté affirmée du musée du Quai Branly. Et la photographie tient une place de choix dans cette politique ! Christine Barthe, responsable de la collection de photographies, a réalisé son exposition avec le désir de faire découvrir les travaux d’artistes émergents ou reconnus dans leurs pays mais quasiment inconnus en France.
À toi appartient le regard […] et la liaison infinie entre les choses… Un joli titre mais qui peut questionner. À qui s’adresse cette phrase ? Elle est une invitation poétique au visiteur. Christine Barthe, par les mots de l’écrivain allemand August Ludwig Hülsen, nous incite à prendre une part active dans la découverte des œuvres. Elle nous rappelle que les images ne se font pas seules : elles sont le résultat de notre perception.

Ainsi, la citation est le fil conducteur de l’exposition. Elle lie les 26 artistes dans un parcours cohérent composé de cinq sections. Les parties répondent aux questionnements sur l’image posés par le titre : sur la réalité de l’image, son pouvoir de référence, sa capacité à s’associer à d’autres images, à explorer l’histoire mais aussi à interroger les représentations stéréotypées.
Ne craignez pas un discours trop conceptuel sur la photographie ! Le point central de l’exposition reste la découverte des travaux des artistes. Ceux-ci sont très bien mis en valeur par des cartels détaillés mais aussi par des biographies d’artistes à emporter chez soi.
Si la photographie et la vidéo contemporaines japonaises et chinoises sont assez bien représentées en France, on connaît beaucoup moins les artistes d’autres pays asiatiques. A son échelle, l’exposition essaie d’y remédier. Vous y découvrirez Lek Kiatsirikajorn (Thaïlande), Che Onejoon (Corée du Sud), Dayanita Singh (Inde), Dinh Q. Lê (Vietnam) et Ho Rui An (Singapour). Nous vous proposons un petit focus sur les œuvres de deux d’entre eux.
Che Onejoon : A Monumental Tour (2012 – 2013)
Che Onejoon (né en 1979) commence la photographie dans un contexte plutôt surprenant : il travaille d’abord pour la police de Séoul ! Devenu artiste et nourri par sa pratique documentaire, il photographie les paysages urbains coréens marqués par les enjeux sociaux contemporains et l’histoire du pays.

La série A Monumental Tour, présentée dans l’exposition, montre des paysages bien différents de ceux de la péninsule coréenne : ce sont six pays d’Afrique subsaharienne. Il peut financer ce grand et ambitieux voyage grâce à une Résidence photographique du musée, dont il est lauréat en 2012. Mais pourquoi partir si loin alors que son thème de prédilection est la Corée ? En réalité, son sujet ne change pas tant que ça…
En effet, la Corée du Nord est bien plus présente qu’on ne le croit en Afrique ! Le pays offre depuis les années 1960 des sculptures ou des monuments aux pays nouvellement indépendants. On reconnaît facilement ces réalisations créées par le Mansudae Art Studio : elles sont monumentales et les traits des visages sont réalistes et sévères. En photographiant des œuvres comme le monument de la Renaissance Africaine à Dakar, Che Onejoon les documente mais fait aussi et surtout un portrait détourné de la Corée du Nord à travers ses relations diplomatiques avec l’Afrique.
Dinh Q. Lê : Crossing the Farther Shore (2014)
Dinh Q. Lê (né en 1968) a dix ans lorsque les Khmers rouges envahissent son village. Poussé à l’exil, il grandit et fait ses études en Californie. Cependant, il ne s’y sent jamais vraiment chez lui… C’est pourquoi il décide de revenir au Vietnam dans les années 1990. Il espère retrouver des traces de son histoire familiale, et notamment des photos abandonnées dans leur fuite.
Il commence à fréquenter les boutiques d’antiquaires d’Ho Chi Minh Ville et fouille sans succès parmi les milliers de photos orphelines qu’il y trouve. Cette absence d’image marque sa pratique artistique. Il explore souvent les représentations historiques et culturelles du Vietnam (les photos de presse, de famille ou le cinéma).

Crossing the Farther Shore s’inscrit dans cette démarche. Elle est constituée de photographies abandonnées nouées les unes aux autres pour former des rideaux de visages souriants et d’inscriptions. Pour l’artiste, les rideaux s’assimilent à des moustiquaires et matérialisent le camp de réfugiés où il a dormi enfant avant de rejoindre les États-Unis. Les photos sont pour lui comme des souvenirs : ceux qui peuplaient son sommeil alors qu’il quittait son pays. Mais aussi ceux de tous les Vietnamiens anonymes disparus en mer au cours de leur fuite.
Cet aperçu de l’exposition A toi appartient le regard […] et la liaison infinie entre les choses ne dévoile qu’une petite partie de la richesse des œuvres et des artistes présentés. L’exposition est une rare occasion de découvrir des artistes très peu exposés en France dans une scénographie soignée qui vous donnera, sans aucun doute, envie de mieux les connaître !
Pour en savoir plus
Exposition à visiter jusqu’au 1er novembre 2020 au Musée du Quai Branly – Jacques Chirac dans la galerie jardin. Informations pratiques.
Le musée organise un colloque le 1er et 2 octobre autour de l’exposition : « Re-garder » fera dialoguer plusieurs des artistes exposés et des historiens de l’art.
- Lisez un focus sur l’œuvre de Brook Andrew, artiste australien, et sur les œuvres évoquant l’Océanie présentes dans l’exposition par CASOAR.
- Une interview de Christine Barthe, commissaire de l’exposition.
- En savoir plus sur Onejoon Che et A Monumental Tour (en anglais).
- En savoir plus sur Dinh Q. Le et sur l’oeuvre Crossing the Farther Shore (en anglais)
Photo de couverture : Vue d’une des salles d’exposition (Blanche Cardoner)