Dans les neiges éternelles du mont Fuji au musée Guimet

Une fois n’est pas coutume, le Musée national des Arts Asiatiques – Guimet profite de l’été pour présenter une sélection de sa riche collection d’estampes japonaises. Installée cette fois-ci au rez-de-jardin du musée, l’exposition rassemble 70 estampes et objets d’art portant tous sur le thème – devenu un poncif de l’art japonais – du mont Fuji et de ses neiges éternelles. Tokonoma vous offre un aperçu de cette présentation à découvrir jusqu’au 12 octobre 2020 !

Le mont Fuji sous toutes ses formes

Bol à thé chawan décoré d’un motif représentant le Mont Fuji
Ère d’Edo, 1811-1834
Céramique (raku rouge)
Cachet de Raku IX Ryonyu (1756-1834) MNAAG, MA2960
© MNAAG, Paris, Dist. RMN-Grand Palais / Benjamin Soligny / Raphaël Chipault

Cône parfait dominant l’île de Honshu – l’île principale du Japon – à 3776m d’altitude, le mont Fuji est considéré comme un kami, une divinité shinto. Il est réputé pour renfermer l’elixir d’immortalité et servirait de lieu de résidence à diverses divinités dont Asama no Okami à son sommet. Il fait également partie du panthéon bouddhique, sa forme rappelant une fleur de lotus à huit pétales. Le Mont Fuji est ainsi un lieu de pèlerinage incontournable au Japon, autrefois interdit aux femmes jusqu’à l’ère Meiji.

Classé au patrimoine mondial de l’Unesco en 2013 sous le nom de Fujisan, il est un symbole de l’archipel et a, de fait, inspiré de nombreux artistes. L’exposition lui rend hommage à travers une sélection d’œuvres le représentant. De l’estampe à la céramique, en passant par le textile et la photographie, le majestueux volcan est souvent simplifié par les artistes jusqu’à devenir un motif graphique, cône abstrait se dressant à l’horizon.

Les maîtres de l’estampe se sont bien sûr emparés du sujet, jouant de ses codes pour mieux le réinventer. Si le Fuji est omniprésent, il n’est souvent pas représenté réellement mais apparaît sous forme d’une mise en abyme : il est un motif sur un kimono, directement intégré au paysage d’un écran ou d’un panneau décoratif intérieur.

Le défi du blanc dans les estampes

Kobayashi Kiyochika (1847-1915) Kiba à Fukagawa – Série des Cent vues célèbres de la province de Musashi Japon, époque Meiji, 1884
Estampe nishiki-e
35,6 × 23,1 cm
MNAAG, MA 12972 © MNAAG, Paris, Dist. RMN-Grand Palais / Benjamin Soligny / Raphaël Chipault

Au-delà du pèlerinage au Mont Fuji, les artistes de l’estampe développent un goût particulier pour la représentation du voyage dans un paysage enneigé. Que cela soit une référence à une scène littéraire ou historique, l’exposition vient interroger la manière dont les peintres japonais ont cherché à représenter la neige. Petit clin d’œil au « Pays de neige » dont Kawabata Yasunari (1899-1972), prix Nobel de littérature, a fait le titre d’un de ses plus beaux romans. La neige règne sur les compositions, reléguant au second plan le « sujet » principal.

C’est là tout le paradoxe de ces artistes, qui révèle en même temps une profonde modernité : une maîtrise inouïe dans l’art de la couleur, avec cette importation du bleu de Prusse (qui, comme son nom ne l’indique pas, vient de Hollande, et permet d’obtenir des bleus profonds et dégradés) ; et pourtant la volonté de s’en abstraire et de revenir vers cette non couleur qu’est le blanc, à l’aide de la réserve en laissant le papier vierge.

Avec l’avènement de l’ère Meiji en 1868 et la modernisation du Japon, la continuité de l’art de l’estampe va de pair avec un monde en profonde mutation. Cette mutation fait écho à l’oeuvre d’Utagawa Hiroshige (1797-1858) que l’on retrouve dans cette nouvelle génération d’artistes : Kobayashi Kiyochika (1847-1915) et Kawase Hasui (1883-1957), le plus grand artiste du shin-hanga, l’art de l’estampe du XXème siècle. Le Musée Guimet offre une présentation qui illustre bien un défi du blanc relevé avec brio et modernité ! Le dessin, le trait, disparaît presque totalement au point que l’on pourrait, sans regarder le cartel, prendre ces œuvres pour de l’aquarelle. Le blanc du papier est travaillé en réserve pour traduire l’étouffement de la nature et ses bruits dans la neige.

Kawase Hasui (1883-1957) Neige à Shiobara (variante bleue) Japon, ère Showa, 1946 Estampe nishike-e
39,8 × 26,7 cm
Collection privée © MNAAG, Paris, Dist. RMN-Grand Palais / Benjamin Soligny / Raphaël Chipault
Kawase Hasui (1883-1957) Neige sur le temple Zojoji
Éditeur : Watanabe Shozaburo Japon, ère Showa, 1953 Estampe nishike-e
36,5 × 47,5 cm MNAAG, achat (2015), MA 12710 © MNAAG, Paris, Dist. RMN-Grand Palais / Benjamin Soligny / Raphaël Chipault

Un paysage moderne du début du XXème siècle endormi dans une symphonie de bleu et de blanc, la thématique de la ville est reprise dans une sorte de nostalgie que nous donne à contempler la dernière acquisition du Musée Guimet, « Neige à Shiobara » de Kawase Hasui. Une esthétique qui n’est pas sans rappeler celle du manga, que l’équipe Tokonoma vous invite à découvrir !

Pour en savoir plus :

  • Toutes les infos sur l’exposition sont à retrouver ici

Image de couverture : Vent frais par matin clair, dit « Fuji bleu », Série des Trente-six vues du mont Fuji, Impression originelle, en bleu, de la vue dite « Fuji rouge », KATSUSHIKA Hokusai (1760-1849), Ère d’Edo, 1831, xylogravure monochrome en bleu (aizuri-e), MNAAG, achat 2003, MA8149, © RMN-Grand Palais (MNAAG, Paris) / Thierry Ollivier

Publié par Marie Degonse et Camille Despré.

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