Sexe et plaisir dans la tradition chinoise

L’origine du monde, Gustave Courbet, 1866, huile sur toile, 46 x 55 cm, musée d’Orsay, Paris
Image : Wikipédia

Il a fallu attendre 1995 pour que L’origine du monde de Courbet soit exposée au musée d’Orsay, soit près de 130 ans après sa création. En 2018, un utilisateur français est censuré par Facebook pour avoir utilisé le tableau en image de profil. Ces deux exemples illustrent le tabou que représentent encore le sexe et la représentation du corps nu dans la société occidentale judéo-chrétienne. A l’inverse, les philosophies asiatiques accordent une place essentielle au sexe et à ses images et c’est ce que nous présentons en détail dans cet article. Oui, en détail : les visuels de cet article sont donc explicites, ne soyez pas choqués !

Une perception positive du sexe  

Dégagée de l’idée du péché, la culture asiatique a développé une conception spirituelle et cosmogonique du corps et de la sexualité. À partir de la dynastie Han (206 av. J-C – 220 ap. J-C), le sexe est perçu de manière positive car il incarne l’union de deux forces fondamentales, le yin (force féminine) et le yang (force masculine) et participe à la restauration de l’équilibre de ces deux forces. Pour les taoïstes, l’acte sexuel est pour cette raison le moyen privilégié d’accroître sa longévité car il permet aux hommes de renforcer leur énergie individuelle, le qi, en absorbant le yin de la partenaire.

Sans titre, fin du XVIIe siècle ou début du XVIIIe siècle, dynastie Qing (1644 – 1912), série Jardins du plaisir, encre et peinture sur soie, 55,5 x 39,5 cm, Collection Bertholet (image libre de droit)

Le maître taoïste Sun Zi préconise qu’ “un homme ne doit pas avoir de relations sexuelles juste pour satisfaire son désir. Il doit lutter pour contrôler ses pulsions sexuelles afin de pouvoir nourrir son essence vitale”. Les images d’actes sexuels sont donc très présentes dans les livres de médecine et d’alchimie. Dans le confucianisme, les relations sexuelles sont encouragées et le plaisir considéré comme la clé d’un mariage et de l’harmonie conjugale. Durant la dynastie Han, il est même fréquent d’offrir à la jeune mariée des livres de peintures érotiques ! L’art du sexe et ses images, initialement présents dans les manuels de médecine, se diffusent alors. La représentation du corps et du sexe dans ces images, appelées chungonghua 春宫画 ou chunhua 春画, sert un but à la fois médical et philosophique.

La représentation du corps et du sexe dans les chunhua

Les livres de chunhua sont les ancêtres chinois du Kâma-Sûtra : ils constituent souvent un ensemble de positions, parfois très techniques. Leur objectif est pédagogique : permettre au couple de reproduire ces positions. Les artistes mettent ainsi l’accent sur le confort, le sentiment de sécurité les espaces représentés sont des huis-clos et la précision des gestes. Une servante est parfois présente afin de guider le couple. De même, les parties génitales sont figurées de manière disproportionnées, sans soucis de précision anatomique. Cette représentation doit faciliter la compréhension de la position. Les chunhua ne sont pas des images érotiques mais bien pratiques : la contemplation des corps ne provoque ni plaisir ni désir. La recherche de plaisir elle-même est secondaire : les corps sont inexpressifs et les visages neutres.

Fleurs de lotus (titre attribué par le collectionneur F. Bertholet), fin du XVIIe siècle ou début du XVIIIe siècle, dynastie Qing (1644 – 1912), série Jardins du plaisir, encre et peinture sur soie, 55,5 x 39,5 cm, Collection Bertholet (image libre de droit)

Le réalisme des corps importe donc peu. Contrairement à la tradition occidentale, les différences physiques entre les hommes et les femmes sont peu perceptibles : les seins sont à peine représentés, les hommes ne sont pas plus musclés que les femmes… Si les corps ne sont pas réalistes, à l’inverse, les décors, les objets luxueux et les tissus font l’objet d’une grande attention. Ce sont eux qui stimulent le plaisir visuel du spectateur. Les jardins, par exemple, sont particulièrement soignés et leur végétation luxuriante constitue une métaphore de l’énergie vitale revigorée par l’acte sexuel et de l’harmonie au sein du mariage. Cette métaphore est d’ailleurs à l’origine du nom de ces images, chunhua signifiant « image du printemps ».  Ces images sont souvent accompagnées de textes poétiques.

Les représentations que nous possédons sont toutefois biaisées : elles correspondent aux pratiques de l’élite chinoise, imprégnée par les théories taoïstes, cherchant à accroître leur longévité. Le luxe des décors et le cadre marital en témoignent. La prostitution, par exemple, n’est presque pas représentée.  

Un parallèle avec la civilisation occidentale 

Face à face (titre attribué par le collectionneur F. Bertholet), fin du XVIIe siècle ou début du XVIIIe siècle, dynastie Qing (1644 – 1912), série Jardins du plaisir, encre et peinture sur soie, 55,5 x 39,5 cm, Collection Bertholet (image libre de droit)

Ces chunhua ne donnent en effet qu’une image réduite de la sexualité. La masturbation est peu dépeinte car moins intéressante pour le renouvellement du qi. Les relations figurées sont majoritairement hétérosexuelles et témoignent d’un rapport hiérarchique entre les genres. De même, les relations homosexuelles présentent toujours un homme d’âge mûr avec un jeune garçon, comme dans les sociétés antiques gréco-romaines. Les femmes sont le plus souvent passives, allongées sur le dos, jambes ouvertes, présentant leur sexe aux hommes. La pénétration reste l’acte sexuel par excellence. On remarque ici un parallèle avec la culture occidentale : la femme n’est qu’un outil au service de l’homme, au service du renforcement de son qi. 

En regardant aujourd’hui les chunhua, il serait facile de croire que la tradition chinoise fait l’apologie du sexe et du plaisir. La réalité est bien plus subtile, la philosophie chinoise accorde au sexe des bénéfices moraux — harmonie conjugale et physiques longévité, équilibre des forces qui en font un outil médical et alchimique. Le plaisir n’est pas condamné mais il n’est pas non plus recherché. Les chunhua sont donc qualifiées à tort d’art érotique : centrées sur les positions et la précision des gestes, l’acte sexuel y est vidé de toute notion de plaisir.

Article écrit par Betty Parois

En savoir plus 

Ferdinand Bertholet, Jacques Pimpaneau, Les jardins du plaisir. Erotisme et art dans la Chine ancienne, Ed. Philippe Rey, Paris, 2003

Charles Humana, Wang Wu, Chinese Sex Secrets. A look behind the Screen, Gallery books, New York, 1984

Image de couverture : Page d’album, encre et couleurs sur papier orné de calligraphie, de fleurs, de scènes d’intérieur et dans une barque de pêcheur, de couples s’acoquinant dans différentes situations. Chine, fin XIXe siècle, H. 30, 2 cm. crédit: Camille Despré

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