À l’âge du fer succède la période des Trois Royaumes (v. 300 – 668) qui correspond, paradoxalement, à une division de la péninsule coréenne en quatre entités politiques. Bien que toutes dotées d’une mythologie distincte faisant remonter leur fondation au Ier siècle av. J.-C., les plus anciennes traces matérielles de leur existence datent des IIIe et IVe siècles de notre ère...
Le Goguryeo (37 av. J. C. – 668 ap. J.-C.) s’étend au nord et domine, au maximum de son expansion, au début du Ve siècle, le Liaodong, une partie de la Mandchourie, pour atteindre le fleuve Han, au sud. Peuplé de cavaliers et de guerriers nomades, il constitue une menace pour les territoires chinois sur lesquels il exerce une pression constante tout au long de la période. Par sa position géographique, le Goguryeo entretient un lien fort avec le monde des steppes.
Royaume commerçant du sud-ouest de la péninsule, le Baekje (18 av. J.-C. – 660 ap. J.-C.) possède une place privilégiée dans les réseaux d’échanges. Il entretient des liens avec la Chine du sud ainsi que le Japon d’Asuka (538 – 710) via le trafic maritime.
Le Gaya (42 av. J.-C. – 562 ap. J.-C.), confédération de cités-États absorbée par le Silla en 562, se situe autour du bassin du fleuve Nakdong. Elle tire sa richesse du commerce du fer et d’une agriculture abondante.
Quant au Silla (57 av. J.-C. – 668 ap. J.-C.), royaume du sud-est de la péninsule, il tire sa richesse de l‘exploitation d’or et de fer. Durant le premier quart du VIe siècle, le royaume se dote du système des os. Fondé sur une hérédité du rang par le sang, il répartit la population entre la famille royale et les esclaves, détermine les fonctions auxquelles chacun peut prétendre, allant jusqu’à la taille et le décor des logements, et même les vêtements ! Le Silla entretient des échanges commerciaux avec la Chine des Sui (581 – 618), puis des Tang (618 – 907) avec lesquels il s’allie pour unifier à son profit la péninsule coréenne en 668.

L’art pictural des Trois Royaumes
Les œuvres picturales des Trois Royaumes conservées sont presque exclusivement des peintures murales funéraires. Sources d’informations inestimables sur la société coréenne d’alors, les tombes peintes, pour la plupart localisées au Goguryeo, dérivent de modèles provenant d’Asie centrale. Le bouddhisme joue un rôle important dans la diffusion des tombes peintes sur le continent via le corridor des steppes des routes de la Soie. La tombe 3 d’Anack est considérée, à ce jour, comme la plus ancienne tombe peinte coréenne ! La chambre funéraire centrale comporte le portrait frontal du défunt sous un dais, entouré d’officiels lui rendant l’hommage dû à son rang, ce qui se retrouve dans une tombe chinoise Han de Lujiazhuang, au style plus délié.
Portrait de défunt, mur ouest de la chambre funéraire, tombe n°3 d’Anak, Goguryeo, 357, in situ (Pyongyang). Crédit photo : domaine public. Défunt assis sous un dais, 1,8 x 2,6 m, peinture murale d’une tombe de Lujiazhuang, Han orientaux, 176, in situ, Anping (Hebei). Crédit photo : domaine public
Jusqu’au Ve siècle, les portraits et les cortèges funéraires prédominent, avec l’apparition très ponctuelle de thèmes bouddhiques. À partir de la seconde moitié du Ve et durant tout le VIe siècle, les motifs cosmologiques d’influence chinoise prennent une importance croissante, tandis qu’en Chine cette tendance décline. De grands motifs des animaux des quatre orients apparaissent et finissent par couvrir la quasi totalité des murs dans les tombes, comme dans la Grande tombe de Gangseo. Y est représentée une tortue enserrée par un serpent, symbole du nord. La grande finesse du tracé, le caractère extrêmement souple des animaux, notamment la sinuosité du corps du serpent caractérisent les dernières grandes œuvres de l’art mural funéraire coréen.

Le travail du métal
La métallurgie connaît un fort développement et fait montre d’un haut degré de technicité. C’est également une période charnière durant laquelle la culture chinoise pénètre et marque durablement la péninsule coréenne. Les artisans coréens adaptent ces diverses influences au prisme de leur culture et de leurs croyances propres. Peu d’objets métalliques du Goguryeo ont été conservés, le caractère nomade de sa population et des tombes faciles d’accès ayant concouru à leur disparition. Le Gaya, pour sa part, a laissé des éléments de harnachement et des cuirasses dans ses tombes.
Le Baekje a livré des productions particulièrement raffinées, notamment un brûle-parfum, inspiré du boshanlu chinois, apparu à l’époque Han (206 av. J.-C. – 220 ap. J.-C.). À l’origine associé à la recherche d’immortalité taoïste ainsi qu’au mont Penglai, résidence des immortels, cette typologie de brûle-parfum intègre, avec la diffusion du bouddhisme en Extrême-Orient aux IIIe et IVe siècles, des fleurs de lotus, symboles de la religion nouvelle. Cette hybridation se retrouve sur ce boshanlu unique pour la période, révélateur de la circulation de modèles artistiques en Extrême-Orient. De somptueux regalia ont également été exhumées de la tombe du roi Muryeong (r. 501 – 523), dont les éléments d’un diadème en forme d’inflorescences, découpés à jour dans une fine plaque de métal.
Brûle-parfum, H : 62,5 cm, bronze doré, Beakje, période Sabi (538 – 660), Musée national, Buyeo. Crédit photo : Musée national, BuyeoBrûle-parfum au pied en forme de dragon, H : 19,4 cm, bronze doré, dynastie Han (206 av. J.-C.-220), musée de Shanghai. Crédit photo : musée de Shanghai
Éléments de diadème du roi Muryeong, 30,7 x 14 cm, or, Baekje, 501 – 523, Musée national, Buyeo. Crédit photo : Musée national, Buyeo
Les œuvres exhumées des tombes aristocratiques du Silla témoignent elles aussi d’une orfèvrerie extrêmement développée. Bien qu’emblématiques du royaume, la fonction des couronnes royales reste sujette à débats. Pour certains spécialistes, dépourvues de fonction utilitaire, elles sont spécialement réalisées pour accompagner le roi défunt, tandis que pour d’autres, ces marqueurs sociaux pourraient avoir été utilisés lors de processions. Enfin, il pourrait s’agir de répliques à destination funéraire de couronnes royales. Celle découverte dans la tombe de la Couronne d’Or de Gyeongju se compose de cinq luxueuses appliques, ornées de pendeloques de jade et d’or, ainsi que d’une coiffe intérieure pourvue d’ailettes. Les trois appliques les plus rigides seraient une représentation stylisée d’arbres, iconographie chamanique qui trahit une influence scytho-sibérienne, sensible sur la couronne sarmathe de Novercherkassk. Quant aux deux appliques souples, elles évoqueraient des plumes, associant le défunt à un oiseau. Les techniques de découpage, de martelage et d’estampage d’une fine plaque métallique se rapprochent d’une couronne de l’ancien royaume de Bactriane découverte à Tillia tepe. La transmission de ces modèles est permise par la circulation de populations nomades le long des routes de la Soie. Les pendeloques de jade en forme de virgule rappellent les magatama des tombes japonaises d’époque Kofun (IIIe – VIe siècle). Elles illustrent les liens entre les élites des deux pays ainsi que la circulation d’artisans et de biens.
Couronne, H : 44,5 cm, or, jade, tombe de la Couronne d’Or, Silla, vers le VIe siècle, Musée national de Corée, Seoul. Crédit photo : cultural heritage administration Couronne royale Sarmathe, or, verre, almandin, perles, turquoise, kourgane de Novercherkassk, IIe – Ier siècle av. J.-C., musée de l’Hermitage, Saint-Pétersbourg, Crédit photo : musée de l’Hermitage Couronne à décor d’arbres et d’oiseaux, 45 x 13 cm, or, turquoise, tombe n°6, Tillia Tepe (Bactriane), Ier siècle ap. J.-C., Musée national d’Afghanistan, Kaboul. Crédit photo : Musée national d’Afghanistan
Diffusion du bouddhisme en Corée
À la fin du IVe siècle, le bouddhisme mahayanique est introduit au Goguryeo et au Baekje via la Chine, tandis que le Silla ne l’adopte officiellement qu’en 535. La religion gagne progressivement les cours et les aristocraties des Trois Royaumes, avant de se diffuser dans toutes les couches de la société. Elle fournit ainsi aux classes dominantes une légitimation supplémentaire de leur pouvoir. Grâce à la protection royale, d’importants lieux de culte sont érigés et de nombreuses images de vénération sont produites. La majorité des œuvres conservées de cette époque consistent en de petites images de dévotion de bronze ou de bronze doré. La destruction de la quasi totalité des pièces de pierre et de bois ne permet malheureusement pas d’avoir un aperçu complet de la première sculpture bouddhique coréenne.
Cette première sculpture, adaptation locale de modèles chinois, reflète les liens diplomatiques des différents royaumes : les modèles des Wei du Nord (386 – 534) pour le Goguryeo, ceux des Liang du Sud (502 – 557) pour le Baekje dont les moines introduisent le bouddhisme au Japon en 538 !



Marqué par les modèles des Qi du Nord, le Silla connaît un engouement particulier pour la figure de Maitreya, Bouddha du futur. Par ses proportions équilibrées, le Maitreya assis en bronze doré, posant une main délicate sur sa joue droite, témoigne de la maestria des bronziers de Silla. Ses chairs lisses contrastent avec le drapé fluide couvrant son trône. L’exemplaire de bois très similaire de l’Horyu-ji de Kyoto a probablement été réalisé par un artisan coréen émigré au Japon, ou par un artisan japonais copiant une oeuvre coréenne.
Maitreya en méditation, marbre, 56,5 x 30 cm, Chine, Qi du Nord (550-577), v. 560, Musée des Beaux-Arts, Boston. Crédit photo : Bequest of Charles Bain Hoyt—Charles Bain Hoyt Collection
Maitreya en méditation, H : 93,5 cm, bronze doré, Silla, fin VIe – début VIIe siècle, Musée national de Corée, Séoul. Crédit photo : Musée national de Corée
Miroku Bosatsu, H : 1,23 m, bois de pin rouge, vers 603, Kōryū-ji, Kyōto. Crédit photo : domaine public
Les Trois Royaumes constituent une période charnière de grande ouverture sur l’Asie et marquent les débuts d’une imprégnation durable de la péninsule par la culture chinoise. Les cultures raffinées des différents royaumes influencent profondément l’archipel nippon contemporain. Introduit dans la péninsule, le bouddhisme va connaître un développement intense sous le Silla Unifié (668 – 918)…
Pour aller plus loin :
- CHUNG, Yang-mo, AHN, Hwi-joon, Yi, Sŏng-mi (et al.), Arts of Korea [New York : The Metropolitran museum, 2 juin 1998 – 24 janvier 1999], New York, The Metropolitan museum of art, 1998, -512p.
- PORTAL, Jane, Korea : Art and Archeology, Londres, British Museum Press, 2005, -240p.
Image de couverture : Maitreya en méditation, H : 83,2 cm, bronze, traces de dorure, Trois Royaumes, fin du VIe siècle, Musée national de Corée, Séoul. Crédit photo : Musée national de Corée
Très intéressant et bien écrit, mais pourquoi aussi synthétique ? Un peu plus de détail et information pourrait être utile pour mieux encadrer les thématiques clés.
PS J’evitarais les points d’exclamation, ça fait un peu trop “Les d’aventures de Tin-Tin”
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Bonjour,
Merci de nous lire !
Le format des articles fait pleinement partie du projet de vulgarisation de Tokonoma, que nous vous invitons à découvrir sur la page suivante : https://tokonomamagazine.com/a-propos/
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Intéressant , clair et bien fait. merci.
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