Chers lecteurs, aujourd’hui Tokonoma vous emmène à la réouverture du musée Cernuschi. Après une grande campagne de rénovation de plus de neuf mois, le musée des Arts de l’Asie de la Ville de Paris a rouvert ses portes pour notre plus grand bonheur le 4 mars 2020, avec un nouveau parcours des collections. Le musée Cernuschi entend ainsi réaffirmer son rôle d’espace de découverte globale de l’Asie extrême-orientale, à travers des œuvres allant de la Chine au Vietnam en passant par la Corée et le Japon avec pas moins de quatre cents trente nouveaux objets exposés !
Henri Cernuschi, un voyage, une passion porteuse d’un projet
Dès leur entrée dans le musée, les visiteurs sont invités à découvrir de manière chronologique l’histoire d’Henri Cernuschi (1821-1896). Cette introduction commence au pied de l’escalier d’honneur et nous mène jusqu’au palier du premier étage, à travers une nouvelle réflexion de la scénographie, et ce afin de mieux nous approprier l’atmosphère du lieu, chargée d’histoire, et surtout l’histoire de son fondateur.
Palier du premier étage, Musée Cernuschi Photographie d’Henri Cernuschi
Homme politique d’origine italienne vivant à Paris, économiste et financier célèbre pour ses théories monétaires, Henri Cernuschi est aujourd’hui surtout connu pour sa passion des arts asiatiques. En 1871, il découvre l’Asie, en compagnie de son ami critique d’art Théodore Duret (1838-1927), à travers un long voyage de l’Amérique au Japon de l’ère Meiji (1868-1912), en traversant l’Océan Pacifique. De là, ils gagnent la Chine, puis Java, Ceylan, Singapour et pour finir l’Inde ; une véritable épopée pour sûr ! Celle-ci fut d’autant plus fructueuse qu’elle permit la création d’une des plus importantes collections européennes d’art asiatique du XIXe siècle.

C’est ainsi que le visiteur apprend que tout au long de son voyage, il expédia pas moins de neuf cents caisses avec à l’intérieur des milliers d’objets. Parmi ces objets, ce sont surtout des bronzes (environ cinq cents), mais également des bois laqués, des peintures, des céramiques, des estampes et des photographies… Dès son retour à Paris en 1873, Cernuschi expose sa collection au palais de l’industrie à l’Exposition orientaliste (août 1873-janvier 1874). Elle eut tellement de succès qu’il décida de faire construire, dans un quartier récemment aménagé à proximité du parc Monceau, un hôtel particulier où il vécut entouré de ses collections. Il accueillit bon nombre d’artistes ou amateurs d’art asiatique, tels Gustave Moreau (1826-1898) ou encore le céramiste Théodore Deck (1823-1891). Une véritable «maison-musée» qui devint un haut lieu du japonisme. À sa mort en 1896, l’hôtel particulier et ses collections sont transmis à la ville de Paris, et en 1898 le lieu est ouvert au public, le musée Cernuschi est né !
L’art chinois : de ses tâtonnements à la période moderne
Le visiteur est ensuite guidé à travers un parcours chronologique parsemé d’ouvertures sur le Japon et le Viet-nam, permettant de mettre en avant l’impact de la production chinoise dans cette riche et vaste partie du monde.
Nous pénétrons d’abord dans une pièce où sont présentés des témoignages des premières cultures chinoises. Deux matériaux prédominent : la céramique et le jade. Disséminées à travers le territoire, les différentes cultures offrent des productions à l’iconographie caractéristique : la culture de Banshan est facilement reconnaissable par les spirales envoûtantes qui ornent les panses opulentes de ses céramiques ; l’éclat noir lustré de la production de Longshan, dont la finesse de la céramique lui donne le nom de « coquille d’œuf », captive le visiteur ; les objets en jade de la culture de Liangzhu évoquent la place prédominante que cette pierre détient en Chine jusqu’à aujourd’hui.
La visite se poursuit par la découverte des dynasties Shang puis Zhou, majoritairement représentées par les bronzes. Ces objets témoignent de la maîtrise technique et des innovations des artisans sur ce matériau : développement du décors, incrustation de cuivre par les fonderies de Houma (vers 550 avant notre ère) ou de matières précieuses. Il devient l’apanage des plus hautes classes de la société. C’est dans ces espaces que nous retrouvons l’une des pièces emblématiques du musée… La Tigresse ! Et quelle joie de pouvoir l’admirer à nouveau, sous toutes les coutures, puisqu’un écran reproduit l’œuvre en trois dimensions et en haute définition !
Notre voyage dans le temps nous fait déboucher dans la pièce principale, au centre de laquelle trône un immense Bouddha de plus de 4 mètres de haut ! Il veille sur les œuvres des dynasties Han à Tang. C’est l’occasion d’admirer l’effervescence artistique baignée d’influences extérieures qui caractérise ces siècles, marqués par de grands bouleversements économiques, politiques, techniques et religieux (routes de la soie, introduction du Bouddhisme, mise au point des céladons et de la porcelaine).

Nous montons les escaliers pour poursuivre notre périple et découvrir quelques brillants exemples de la statuaire bouddhique, dont un magnifique bodhisattva en bronze doré produit sous la dynastie Ming. Le raffinement extrême de la posture, la sensualité du corps, le détail de l’ornementation et les plis du vêtement illustre font écho à la production tibétaine, région que l’empire Ming occupe. La présentation de la période ancienne se termine avec la dynastie Qing, notamment avec un vase en forme d’oiseau céleste en bronze, datant du règne de Qianlong (r. 1735-1796), l’un des empereurs les plus importants de l’histoire chinoise et lettré de premier plan.

Présences contemporaines
Le parcours s’achève par la mise en avant des échanges entre Chine et Europe dès le XVIe siècle et en particulier par la présentation d’une sélection de peintures, sculptures et céramiques contemporaines chinoises, japonaises ou encore coréennes, datant des XXe et XXIe siècles, nous donnant un aperçu de la richesse des collections du musée. Depuis 1946 le musée Cernuschi, par de nombreuses expositions et liens avec les milieux artistiques d’alors, s’engage à présenter au public l’actualité artistique asiatique.
Lee Ung-no, Compositions, 1966 et 1963, encre et colle de poisson sur papier. Bai Ming, Chant du vent dans les roseaux, 2012, porcelaine et bleu de cobalt sous couverte. Hua Tianyou, Maternité, 1947, bronze.
Nous pouvons ainsi redécouvrir des œuvres ayant fait parties d’expositions précédentes au sein même du musée, tel Lee Ung-no (1904-1989) en 2017, Bai Ming (1965-) en 2014 ou encore Hua Tianyou (1901-1986) en 2018. Mais aussi découvrir des personnalités marquantes tel le céramiste Hamada Shoji (1894-1978), une figure importante du mouvement japonais Mingei, qui prône depuis les années 1920 la beauté de l’objet dans sa simplicité, ou encore les décors de céramiques contemporaines réalisés par l’artiste renommé Zao Wou-ki (1920-2013) et dont le public connaît majoritairement les grands formats picturaux, comme ceux présentés au Musée d’Art Moderne en 2018. La céramique présentée ici fut réalisée lors d’un partenariat avec la manufacture de la céramique de Sèvres, et participe d’une démarche récurrente de collaboration auprès d’artistes contemporains de la part de la manufacture.
Hamada Shoji, ère Showa (1926-1989), grès à décors de glaçures. Zao Wou-ki, Vase de forme « Gauvenet », 2007, peinture sur porcelaine.
Nombre de ces artistes sont passés au cours de leur carrière par Paris – Zao Wou-ki, Lee Ung-no, Hua Tianyou -, ils sont les précurseurs d’une recherche de la modernité, explorant et repoussant toujours plus loin les limites de leur art.
Ainsi s’achève la visite de ce nouveau parcours, riche d’informations et agrémenté de cartes nous permettant d’avoir une vision plus claire de l’histoire de l’art en Extrême-Orient et des différents âges de la Chine en particulier !
Pour en savoir plus sur les travaux :
Image de couverture: Grande salle du Bouddha, Musée Cernuschi, 2020. Crédit photographie : Camille Bertrand.
Crédits photographies : Marie Degonse, Camille Bertrand et Mathilde Rétif.
Publié par Marie Degonse, Camille Bertrand et Mathilde Rétif.