
Du 24 janvier au 4 février, le festival Allers-Retours propose un panorama du cinéma d’auteur chinois contemporain. Parmi les films programmés pour cette troisième édition, A Dog Barking at the Moon, premier long-métrage de la réalisatrice Xiang Zi, qui signe une comédie dramatique tout en nuances autour de la famille et de ses difficultés de communication.
Une fiction ancrée dans le réel
Après avoir étudié le cinéma aux Etats-Unis, c’est en Chine, à Beijing, que Xiang Zi a décidé de tourner A Dog Barking at the Moon, son premier long-métrage, qui s’ouvre précisément sur un retour au pays. L’héroïne de cette fiction aux accents biographiques, Xiaoyu (interprétée par Nan Xi), vit aux Etats-Unis ; elle revient faire un séjour auprès de ses parents dans son pays natal en compagnie de son époux. Comme Xiang Zi, elle est mariée à un Occidental et tout comme la réalisatrice au moment du tournage, elle est enceinte. Ce passage de l’état de fille à celui de mère va être l’occasion pour Xiaoyu de reconsidérer la relation houleuse qu’elle entretient avec sa propre mère Juimei (Naren Hua), femme malheureuse qui sait son mari Huang Tao (Wu Renyuan) homosexuel mais est incapable de divorcer.
Dialogues de sourds
Bien qu’importante, la thématique de l‘homosexualité reste néanmoins sous-jacente, le film étant davantage centré sur l’incommunicabilité. Les différents personnages ne parviennent pas à établir une relation à l’Autre, qu’il soit homme ou femme, hétérosexuel ou homosexuel. Les parents se qualifient mutuellement de « malades mentaux », leur fille ne voit que du masochisme dans leur refus de divorcer : chacun est perçu comme un « fou » avec lequel le dialogue est impossible. Ainsi, dans une scène où Juimei demande à son mari pourquoi selon lui leur fille a épousé un étranger, celui-ci se contente de répéter la question de son épouse, les deux protagonistes se renvoyant mutuellement l’accusation sous-entendue — leur fille a cherché à s’éloigner d’eux.
Portraits de femmes
A travers les figures de Xiaoyu et Juimei, le film offre en outre une réflexion sur l’évolution du statut des femmes et leurs façons de faire face à l’injonction au mariage, encore socialement très forte. Le film s’articule autour de flashbacks qui, en montrant le poids des attentes sociales liées au mariage et à la maternité, nous permettent de comprendre l’acharnement de Juimei à conserver son statut de femme mariée. C’est en femme déchirée entre une sourde révolte face à sa situation — qu’elle va chercher à solutionner notamment par le recours à la religion — et son incapacité à remettre en question les attendus sociaux qui en sont la cause que le film la dépeint, faisant d’elle un personnage beaucoup plus subtil qu’il n’y paraît d’abord. Sa complexité va peu à peu apparaître aux yeux de sa fille, adolescente déterminée qui fait de la dureté de sa mère à son égard une force et réussit à s’émanciper et suivre sa voie.

L’art comme clé
Cette émancipation passe par la création, puisque Xiaoyu est autrice. Le titre du film à l’international, qui reprend le titre d’un tableau de Joan Miro, n’est que l’une des nombreuses références culturelles qui émaillent le film. Admiratrice de Luis Buñuel, Xiang Zi mêle à plusieurs reprises réalité et fiction : les personnages d’un roman historique sonnent alors à la porte, une dispute familiale se finit sur la scène d’un théâtre, les époques s’entremêlent le temps de quelques plans… C’est l’art et la force de l’imaginaire que le film posent comme solutions possibles — et peut-être uniques — pour renouer le lien et le dialogue entre les êtres.
Tourné en dix-huit jours et financé de façon indépendante, A Dog Barking at the Moon a remporté le Prix du Jury des Teddy Awards lors de la Berlinale 2019. Le film convainc en effet par l’épaisseur de ses personnages, leur complexité et leur humanité, ainsi que par une beauté formelle particulièrement frappante dans la surprenante scène finale.
Plus d’informations :
Festival Allers-Retours , du 24 janvier au 4 février 2020 – Auditorium du Musée Guimet et Studio des Ursulines. Informations et programmation : https://www.allersretoursasso.fr/
Le film sera programmé le mercredi 29 janvier à 19h45 aux Studio des Ursulines

Interview de la réalisatrice Xiang Zi
Tokonoma : A Dog Barking at Moon est votre premier long-métrage. S’inscrit-il dans la continuité de vos courts-métrages ou représente-t-il au contraire une nouvelle étape dans votre travail ?
Xiang Zi : Il n’y a pas de lien entre mes premiers courts-métrages et ce film. Pour ma première réalisation, je souhaitais volontairement me tourner vers quelque chose de nouveau. Le format long-métrage me permettait ce changement.
T. : Quel a été le point de départ de ce film ? Son sujet est-il courant ou au contraire singulier dans le cinéma d’auteur chinois ?
X.Z. : Le film est inspiré de mon vécu personnel et c’est ce qui rend son sujet atypique. Il y a des films chinois qui évoquent la question de l’homosexualité mais sans la réinsérer dans le cadre des relations familiales, comme le fait mon film. Je crois que c’est assez inédit.
T. : A travers les deux personnages féminins, on peut voir deux perceptions très différentes de l’homosexualité : Juimei la considère comme une maladie tandis que Xiaoyu est beaucoup plus ouverte et affirme son soutien à la cause gay. Est-ce représentatif d’un fossé des générations sur les questions de société ?
X.Z. : Oui, il y a un fossé entre ces deux générations de femmes. Mais leur différence d’opinion vient aussi tout naturellement qu’une même famille peut compter des gens avec des opinions très variées. C’est aussi pour cela que j’ai choisi de centrer mon film sur une famille.
T. : Votre film semble également montrer un moment de transition dans l’évolution de la place des femmes en Chine : si la mère reste très attachée aux traditions, au fait de se marier jeune et d’avoir des enfants, sa fille est en revanche beaucoup plus indépendante.
X.Z. : En effet, il y a une vraie évolution actuellement sur cette question. Même si la pression pour se marier et avoir des enfants reste encore forte, elle l’est beaucoup moins et les femmes sont de plus en plus nombreuses à revendiquer le droit à choisir une vie qui ne soit pas uniquement centrée sur le rôle d’épouse et de mère. Mais là encore, la différence entre les deux personnages peut aussi s’expliquer par le fait qu’elles appartiennent à deux générations différentes. C’est très différent de devenir une femme dans les années 1960-1970 et maintenant, les possibilités sont beaucoup plus nombreuses à notre époque et je suis heureuse de cette évolution.
T. : Il y a un vrai sous-texte féministe dans votre film. L’incapacité de Juimei à divorcer, malgré sa révolte face à sa situation, est due à la force de l’éducation traditionnelle qu’elle a reçu et non à un manque de caractère du personnage, qui est au contraire très actif dans le film et tente de résoudre ses problèmes par divers moyens.
X.Z. : C’est amusant que vous qualifiez le film de féministe car j’ai reçu des commentaires très négatifs sur internet [le film est visible en ligne mais pas en salles en Chine NDLR] de féministes chinoises, qui m’accusaient d’avoir mis en scène, avec Juimei, un personnage hystérique et caricatural. Je crois qu’elles n’ont pas compris et peut-être même pas vu le film ! J’ai voulu au contraire montrer un personnage qui est victime de conventions sociales sexistes et qui devient malheureux en s’y soumettant.
T. : Le film est émaillé de scènes fantasmagoriques, qui apportent une touche de surréalisme au film. Vous citez d’ailleurs Buñuel parmi vos influences ; est-ce une façon pour vous de lui rendre hommage ?
X.Z. : Non, même si c’est une référence importante, il ne s’agit pas de lui rendre hommage. Ces scènes sont plutôt pour moi une façon de sortir les spectateurs du film, de leur faire prendre une distance avec ce qu’ils voient.
T. : Ces scènes et l’omniprésence des livres et de la littérature auprès de Xiaoyu semblent nous dire que la solution aux conflits qui agitent ces personnages se trouve peut-être dans l’imaginaire et l’art.
X.Z. : Le chagrin qu’éprouvent les personnages leur impose de se construire des refuges émotionnels. Pour Xiaoyu, c’est la littérature qui joue ce rôle. Elle trouve le réconfort dans le monde des livres et c’est cela qui lui permet de se construire.
T. : Ce besoin d’un refuge émotionnel peut amener les personnages à faire des choix plus dangereux : Juimei se tourne vers ce qui s’avère être une secte.
X.Z. : Comme pour Xiaoyu avec les livres, c’est une façon pour elle de reprendre le contrôle de sa vie, de l’améliorer. Ça l’aide à se calmer, car c’est un lieu où elle peut exprimer ses émotions et être entendue, tandis qu’aucune des deux n’écoute l’autre lorsqu’elle parle avec sa fille. Le problème est bien sûr que cette écoute et cette sympathie sont intéressées. Contrairement à sa fille, qui est très indépendante, Juimei a toujours été définie par les autres et c’est aussi ce besoin que les membres de la secte viennent combler chez elle.
T. : A Dog Barking at the Moon est une co-production sino-espagnole que vous avez montée avec votre époux, et n’a donc reçu aucun financement gouvernemental. Il a de plus été tourné en très peu de temps — dix-huit- jours. Est-ce que cela a été difficile ?
X.Z. : Ça ne l’a pas été tant que ça. J’ai à présent deux filles en bas âge, et ça me paraît bien plus difficile de m’occuper de deux enfants que de tourner un film ! A l’origine, nous devions tourner vingt jours, mais l’une des actrices avait un autre engagement, ce qui nous a obligé à condenser notre calendrier. Pour autant, nous n’avons eu qu’une seule longue journée de tournage de 12 heures, mais c’était dû au fait que nous tournions dans un lieu excentré, en banlieue de Beijing. L’équipe a beaucoup contribué à rendre le tournage agréable, il y avait une très bonne ambiance et ils m’ont tous apporté leur soutien.
T. : Le film a déjà été montré dans plusieurs festivals en Europe, qu’en est-il de sa carrière en Asie et en Chine ? Même si l’homosexualité n’y est plus illégale [depuis 1997 NDLR], elle fait partie des sujets considérés comme « sensibles ».
X.Z : Nous avons pu le montrer en Corée et à Singapour, au cours de festival de cinéma LGBT. En Chine, il a été diffusé à Shanghai, dans le cadre de la Gay Pride, et dans quelques grandes villes comme Chengdu, Lanzhou ou Wuhan. Le film est également disponible en ligne. Mais il n’est pas sorti en salles : j’ai obtenu l’autorisation de tournage car le texte de mon projet fourni aux autorités indiquait que le personnage du père était infidèle mais sans préciser le genre de sa relation. Mais si je voulais le sortir en salles, il faudrait que je le fasse viser par le Bureau de la Censure, qui me demanderait de couper toutes les allusions à l’homosexualité. Ce serait alors un tout autre film ! Même si mon film est fait pour être vu sur grand écran, à cause du type de plans et du format choisis, je préfère que les gens le voient tel qu’il est vraiment plutôt qu’une version tronquée. Cela peut peut-être permettre de faire réfléchir les spectateurs sur la question de l’homosexualité, et de faire évoluer les mentalités.
T. : L’homosexualité n’est pourtant pas au centre de votre film, même s’il s’agit bien sûr d’un aspect important.
X.Z. : Le film traite effectivement plus des relations familiales mais également de la question de la recherche de soi, de la confrontation entre ses désirs et les attentes de la société. Je voulais cependant que tout le monde, y compris les gens qui appartiennent à une minorité, puissent s’identifier à l’histoire et j’ai donc écrit les personnages avec le souhait que chacun puisse se reconnaître dans l’un ou l’une d’entre eux.
T. : Quels sont vos projets cinématographiques actuels ? Travaillez-vous à un nouveau film ?
X.Z. : Je produis actuellement un film espagnol, écrit et dirigé par mon mari. Sur A Dog Barking at the Moon, c’est lui qui faisait office de producteur, désormais nous échangeons les rôles ! Je pense réaliser mon prochain film d’ici deux ou trois ans. Ce serait l’histoire d’un Chinois, qui s’est déjà marié trois fois mais qui est encore à la recherche de l’âme sœur, un personnage très optimiste et déterminé à trouver l’amour véritable.
Propos recueillis par Justine Veillard. Merci à Nui Xiaowa, directrice du festival Allers-Retours et à l’ensemble de son équipe ainsi qu’à Xiang Zi.
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