De 1429 à 1879, le royaume de Ryūkyū s’établit et s’affirma entre deux grandes autres puissances, la Chine et le Japon. Situé sur l’archipel d’Okinawa, ce royaume se distingue de ses voisins, en développant sa propre culture et notamment un style architectural unique. Véritable trésor national, le château de Shuri situé près de Naha au Japon et classé patrimoine mondial de l’UNESCO, vient d’être en grande partie détruit par un incendie le 31 octobre 2019. Un emblème culturel et historique de l’ancien royaume de Ryūkyū qu’aujourd’hui, nous vous présentons !
Plus de 500 ans d’histoire
Édifié autour du XIVème siècle, le premier château sur le site de Shuri s’inscrit en 1429, avec l’unification du royaume par le seigneur Shô Hashi (r. 1422-1439), comme le lieu de résidence et de gouvernance royale. Reconnu par ses voisins, le royaume reçut à chaque investiture de ses rois, une délégation chinoise au sein du château. Toutefois, il est détruit à plusieurs reprises en 1660, 1709 par des incendies d’origine accidentelle et en 1945 lors d’une attaque américaine pendant la Seconde Guerre mondiale, il servait alors de quartier général et d’abri antiaérien à l’armée impériale japonaise. Il est cependant reconstruit à l’identique à chaque fois, pour finalement entrer à l’an 2000 au patrimoine mondial de l’UNESCO. Mais une date marque un tournant dans l’histoire du royaume de Ryūkyū : 1879, il est alors annexé par le Japon, le roi banni et le fief devient la préfecture d’Okinawa. On pourrait penser que cela marque la fin du rôle du château de Shuri comme lieu majeur de pouvoir et de prestige, mais il n’en est rien. Les Japonais en font un poste de gouvernance militaire, ils y introduisent différentes écoles en son sein et il est reconnu trésor national par le gouvernement en 1925.

Photo : Collection Kikuzo Yanagida : Takao Nonomura
Site officiel du château de Shuri, image libre de droits.
Une architecture unique mêlant influences chinoise et japonaise
Pourquoi existe-t-il cette reconnaissance nationale ? Tout simplement parce que la culture Ryūkyū, nourrie par des échanges prospères, permit la diffusion et l’assimilation à la fois d’éléments chinois et japonais en son sein. Le château de Shuri, situé sur une petite colline entourée de murs, combine ces deux cultures de manière exceptionnelle, il passe pour le témoin d’une époque prospère et importante de l’archipel d’Okinawa. Notamment avec son apparence majestueuse par la brillante couleur vermillon des tuiles d’argile contrastant avec le ciel bleu, caractéristiques de l’architecture d’Okinawa, et ses dragons dessinés sur les toits et les murs, de style chinois. Mais aussi avec ses pignons de toit à courbe ondulée de style karahafu, terme que l’on peut traduire du japonais signifiant : noble, raffiné ou élégant. Ce style qui se développa surtout durant les ères Kamakura (1185-1333) et Muromachi (1336-1573) avec la propagation du Bouddhisme Zen, est dans un premier temps utilisé comme un ornement aristocratique, un élément de prestige, symbole de puissance au sein du Japon. D’où son utilisation sur nombre de constructions tels que les châteaux, les sanctuaires ou les temples bouddhistes.
Tous ces éléments finalement contribuent à créer une atmosphère unique !
Le château de Shuri : vue de face avec le dragon Le château de Shuri : vue transversale avec le pignon de style Karahafu
Le Seiden ou palais principal
Orné de colonnes en forme de dragon, symbole du roi protecteur, son toit à deux niveaux n’est pas sans rappeler l’architecture impériale de la dynastie Ming (1368-1644). À son deuxième étage, se trouve le shumidan, l’autel principal superbement décoré, sur un piédestal avec le trône du roi, et des mains courantes noires appelées koran sur lesquelles sont représentées des fleurs. Et pas n’importe quelles fleurs : des clématites gravées et rehaussées de traits d’or sur fond de laque noire.

Photo : Site officiel du château de Shuri, image libre de droits.
Cette fleur est plutôt connue pour être utilisée dans les jardins anglais, mais en Asie de l’est, elle est appelée « tessen » et est originaire de Chine. Elle est introduite sur le continent japonais par les Ryūkyū et devient très populaire à l’époque d’Edo (1615-1867), notamment pour orner les kimono. Ainsi, il s’agit d’un motif chinois assimilé et diffusé dans la culture d’Okinawa et la culture japonaise, il en va de même pour les raisins et les écureuils que l’on trouve sur les panneaux de bardage autour du trône du château. Le peuple de Ryūkyū, sensible à la mode au Japon, obtenait ces motifs et les dessinait suivant l’esthétique japonaise. Vous l’aurez compris le château de Shuri, de par ses différents échanges officiels avec la Chine ainsi que par la présence d’artisans et de marchands venus du Japon, est l’exemple parfait d’un processus d’acculturation ! Un équilibre entre les schémas chinois et les schémas japonais.
Un centre artistique et culturel
Le château de Shuri est également composé d’un parc, avec un sanctuaire et un temple où se trouvaient les différents portraits des rois de l’ancien royaume de Ryūkyū, ces portraits sont appelés ogoe. Réalisés à leurs morts, ils étaient à l’origine exposés dans ce temple familial dit Bodaiji au nord du château. Malheureusement pour nous les portraits originaux ont brûlés dans l’incendie de 1709 ou ont été détruits lors des bombardements de la Seconde Guerre mondiale, ceux que l’on pouvaient voir encore très récemment sont en fait des copies réalisées à partir de 1717 sous forme de rouleaux suspendus. Vous pouvez admirer cet ogoe du roi Shō Ko (r. 1804-1828) restauré dans des couleurs vives :

Rouleau suspendu Ogoe « roi Shō Ko » , copie de 2016, peint à l’origine par Mō Chōki au 19ème siècle, peinture sur soie,
Site officiel du parc du château de Shuri, image libre de droits.
Le château fut un lieu de perfectionnement et d’inspiration pour les artistes du royaume, mais aussi japonais. Il continue aujourd’hui d’être un haut lieu de l’art et de la culture d’Okinawa, avec des célébrations des arts traditionnels, comme la danse Ryūkyū-Buyō dont l’origine remonte à pas moins de 600 ans ! Ou encore le Festival de la Dynastie Shuri Koshiki Gyoretsu, une reconstitution historique de la première visite du roi dans les trois temples du château.
Procession du Festival de la Dynastie Shuri Koshiki Gyoretsu
Photo : Site officiel du Château de Shuri, libre de droits.Danse traditionnelle de Ryūkyū-Buyō
Photo : Site de l’association de danse traditionnelle d’Okinawa, libre de droits.
Le château de Shuri avec ses 500 ans d’histoire culturelle d’un royaume aujourd’hui disparu, passe pour établir de façon tangible des liens entre des évènements et des traditions. Un témoignage exceptionnel qui malgré les différents épisodes de destruction, a su renaitre de ses cendres. Et pourquoi pas encore une fois ?
Pour en savoir plus :
- https://www.tourisme-japon.fr/decouvrez-le-japon/destinations/okinawa/special-okinawa/n-6-le-divertissement-a-la-maniere-d-okinawa
- Patrick Beillevaire, « Les noms d’Okinawa. Une japonité singulière. » dans Mots, n°66, juillet 2001, Discours d’Asie : identités et ruptures, pp. 71-89.
Image de couverture : Photo du château de Shuri, ancienne capitale royale. (Crédit : CEphoto / Uwe Aranas, via Wikimedia Commons)
Uen belle lecture !
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