Pérégrination sur le Tōkaidō

L’archipel japonais séduit chaque année un peu plus de visiteurs, curieux de goûter à la beauté du pays où le soleil se lève. Après cette période de rentrée, toujours bien remplie, nous vous proposons de repartir en vacances, le temps d’un article, grâce à ce retour sur l’exposition Sur la route du Tōkaidō du Musée National des Arts Asiatiques – Guimet ! A vos chaussures de marche et vos sacs à dos ! Nous vous attendons pour un voyage dans le temps, sur le littoral nippon.

Le Gokaidō : de Tōkyō à Kyōto

  En 1600, la victoire de la bataille de Sekigahara consacre Tokugawa Ieyasu comme le nouveau shogun et ouvre une nouvelle ère dans l’histoire du Japon, l’époque Edo (1600-1868). Si Heiankyō (Kyōto) demeure la capitale du pays, lieu de résidence de l’empereur, le bakufu (« gouvernement shogunal ») est transféré à Edo (actuelle Tōkyō). Ainsi, ces deux villes constituent les deux pôles majeurs du pays. Il est donc nécessaire d’aménager des axes de communication pour lier ces villes le plus rapidement possible. Cinq routes principales, le Gokaidō, voient ainsi le jour : le Nakasendō, le Kōshū Kaidō, le Ōshū Kaidō, le Nikkō Kaidō et le Tōkaidō. Elles incarnent le contrôle du territoire et s’inscrivent dans une stratégie hautement politique, le sankin kōtai, un système de rotation de services obligeant les feudataires à résider à Edo une année sur deux.

L’itinéraire du Tōkaidō , image libre de droit

Le Tōkaidō (東海道 « route de la mer de l’Est ») est un itinéraire d’environ 500 km qui relie les deux capitales, en deux semaines à pied. Les voyageurs passent par 53 étapes (shuku), aménagées pendant l’époque Edo pour permettre aux voyageurs de se reposer avant de reprendre leur chemin. La voie a su séduire les pèlerins par les spectaculaires points de vue qu’elle offre. Mais elle a également bénéficié de l’essor des guides de voyage, les meisho ki, qui se multiplient dès le début de l’époque Edo. Le roman de Jippensha Ikku, A pied sur le Tōkaidō, paru en douze tomes entre 1802 et 1822, illustre ce goût des pérégrinations. Le maître de l’estampe, Utagawa Hiroshige (1797-1858), tire de ce sujet l’une de ses plus célèbres séries d’estampes.

Aux côtés de Hiroshige…

La technique de lestampe japonaise permet de produire plusieurs tirages d’une image. La gravure est donc un support privilégié pour les artistes. Hiroshige puise son inspiration dans la route du Tōkaidō et conçoit une série de 55 planches intitulée « Les 53 stations du Tōkaidō », publiées entre 1833 et 1834 et éditées par Takenouchi Magohachi, dit Hōeidō (notons que les estampes de tête et de fin ont été rajoutées par l’artiste en 1835). Le succès de cette édition est immédiat : il s’agit de la série la plus vendue de la veine de l’ukiyo-e, avec plus de 10 000 exemplaires !

La série complète exposée au Musée National des Arts Asiatiques – Guimet provient de la collection Leskowicz. Chaque épreuve est signée « Hiroshige ga », éditée par Hōeidō, en format ōban horizontal (39 x 26,5 cm) et imprimée en couleurs (nishiki-e). L’artiste démontre sa maîtrise à allier des principes picturaux occidentaux et japonais. Grâce à la perspective, ses estampes agissent comme de véritables petites fenêtres sur un paysage pittoresque où évoluent des personnages dynamiques. L’épure propre à l’ukiyo-e ainsi que le lyrisme qui se dégagent de ces gravures ont su conquérir les Japonais et les Occidentaux par la suite… Toutefois, il est important de soulever que ces vues découlent d’un choix de l’artiste et sont parfois bien loin de la vérité : il s’agit de paysages imaginés (la station du col de Kambara au climat doux est par exemple représentée sous un épais manteau de neige), dans lesquels se cachent de nombreuses références poétiques et romanesques !

Une nouvelle acquisition !

Une autre suite est mise à l’honneur durant ce parcours. Acquis récemment par le musée, l’album Vues célèbres du Tōkaidō, composé de plus de 200 estampes, a autrefois appartenu à Victor Segalen, un archéologue amoureux de la Chine. Ce recueil d’estampes japonaises interpelle, les conditions de son acquisition demeurent encore inconnues… et cela laisse place à tous les chercheurs qui souhaiteraient lever le voile sur ce mystère ! Ce qui est certain, c’est qu’il en fit don à Georges-Daniel de Montfreid, en 1909, pour sceller leur amitié.

Détail des Vues célèbres du Tōkaidō, image libre de droit

Ne vous fiez pas aux apparences de cet ouvrage ! Si les 53 Stations du Tōkaidō de Hiroshige éblouissent par leur beauté, les Vues célèbres du Tōkaidō rassemblent différents artistes, comme Kawanabe Kyōsai, des planches extrêmement colorées, qui apportent des vues peut-être plus fidèles aux réalités de l’époque. Dépliée, la série mesure 40 m de long, dont le musée ne présente que 10 m pour cette exposition !

Détail des Vues célèbres du Tōkaidō , nouvelle acquisition du Musée National des Arts Asiatiques – Guimet © Musée National des Arts Asiatiques – Guimet / Camille Chu

Aujourd’hui, cette route demeure l’un des axes principaux du Japon : les pavés ont été remplacés par les rails du Shinkansen Tōkaidō. Les vues gravées sont les témoignages d’un Japon appelé à disparaître avec l’avènement de l’ère Meiji (1868-1912) et l’industrialisation du pays.

Bibliographie :

Sur la route du Tōkaidō, chefs d’œuvres de la collection Leskowicz, Musée national des arts asiatiques – Guimet, catalogue de l’exposition, 2019

Image de couverture

« Kanbara, 16e station », tirée des 53 Stations du Tōkaidō , Utagawa Hiroshige, 1833-1834, édition Hōeidō, format ōban horizontal (39 x 26,5 cm), image libre de droit.

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