Au début du siècle, le phénomène manga s’est incroyablement importé de par le monde et notamment en France, deuxième pays consommateur de BD japonaises au monde après le Japon. Ce succès a favorisé l’émergence de nombreux genres, permettant ainsi une diversification du public et des lectures. Ceux qui nous intéressent aujourd’hui sont les yaoi et les bara, respectivement écrits par des femmes et par des hommes. Comment questionnent-ils l’homosexualité ? C’est ce que nous allons découvrir.
Au cœur du yaoi : les éphèbes, la clé du succès ?
File d’attente devant le Comiket 90 de 2016. Photo de Raita Futo. Wikimedia Commons Exemple de Fanart de style shōnen ai édité dans la communauté Animexx, dessin de Sen Cross, Hiji et Ryo, Wikimedia Commons
Les yaoi, aussi connus comme BL ou boy’s love, sont une catégorie particulière de mangas romantiques et/ou pornographiques se concentrant sur une relation entre deux hommes et visant un public majoritairement féminin. Ces histoires sont nées tout d’abord dans le milieu amateur des conventions comme le Comiket avant de se voir publier dans le circuit officiel. En France, il a fallu attendre le début des années 2000 pour que les maisons d’édition Asuka et Tonkam ne s’y intéressent vraiment.

Le plus important est le physique des personnages. Ces derniers, s’ils existaient dans notre réalité, seraient obligatoirement des idol, des acteurs ou des mannequins ! Le physique de héros des BL provient des codes de beauté asiatiques qui privilégient l‘androgynie des corps. Ainsi, à l’instar des éphèbes de l’Antiquité, les héros de yaoi ou de shōjō – romance hétérosexuelle pour jeunes filles – sont la plupart du temps dessinés avec un corps assez mince et élancé, peu musclé, et des traits féminins. Les héros de ces mangas dit « pour fille » seront donc plus proches du beau Shun de Saint Seiya (Les chevaliers du zodiaque en français) que de son musculeux frère Ikki. Cette fascination du corps « adolescent » tire probablement ses origines du théâtre de kabuki qui, à une époque, employait de jeunes acteurs se travestissant pour incarner une femme. Cet idéal de beauté androgyne peut également venir d’un ancien rituel que pratiquaient les samouraïs avec de jeunes hommes, le wakashudō, qui consiste a une relation sexuelle entre les deux.
De même que les shōjō, la grande majorité des yaoi vont associer à ce jeune homme dit bishōnen (littéralement « beau garçon) un partenaire tout aussi beau, à la différence que ce dernier sera moins efféminé s’il s’agit du pénétrant (seme) que le pénétré (uke). Le lectorat se renouvelant sans cesse, il est important de modifier les codes. Le uke n’est plus toujours celui que l’on s’imagine. Toutefois, l’éphèbe reste le symbole même du yaoi et permet de ne pas le confondre avec le bara.
Estampe montrant un samouraï et son amant. Wikimedia Commons Photo d’un acteur, Takeru Satoh, typiquement considéré comme une idol. Photo d’Azrael Coladilla. Wikimedia Commons
Le bara : les homosexuels virilisés à outrance ?
Qu’est-ce que le bara ? Le mot en lui-même signifie la rose et est l’un des symboles de l’homosexualité depuis les années 1960. Cela est en lien avec un ouvrage de photographies homoérotiques sobrement intitulé Bara-kei, écrit par Yukio Mishima et illustré par les photos de Eikoh Hosoe qui allient des hommes dénudés et des roses.
Yukio Mishima, photo de Shirou Aoyama. Wikimedia Commons Eikoh Hosoe discutant de la photographie japonaise dans son studio, photo de Sally Larsen. Wikimedia Commons
Cette symbolique s’est ensuite répandue grâce au cinéma gay, bara-eiga, mais surtout à une revue, Barazoku, magazine publié dès 1971, qui est la première à véritablement être considérée et surtout qui revendique son affiliation avec les homosexuels. Il est également important de noter que Barazoku ne se considère pas comme gei, un adjectif qui renvoi à la trans-identité ou aux personnes dites « efféminées ».
Les mangas bara s’adressent donc à un public homosexuel, mais ici, au revoir bishōnen et bonjour homme ultra viril! En effet, il est plus qu’important que la musculature des protagonistes soit imposante voire disproportionnée. Un moyen mémo-technique pour se rappeler de cette caractéristique se retrouve dans la phrase suivant : « les protagonistes sont vraiment « bara »qués« ! Outre le jeu de mot sur le physique, le sexe prend une place très importante dans ces mangas. Il est même essentiel au bon déroulement de l’intrigue et prend à contre-pied les codes du yaoi.
Hercule au repos. Statue grecque dont la musculature et la présence de barbe peut rapprocher de la beauté diffusée dans les bara. Photo de Sailko. Wikimedia Commons. Shunga (estampe érotique) de propagande montrant un soldat japonais et un soldat russe en plein acte sexuel. Wikimedia Commons.
Le sexe est le déclencheur de tout tandis que l’amour n’arrive qu’en fin de récit. Contrairement aux codes à peine modifiés entre les shōjō et les yaoi, les bara jouent sur l‘attirance physique et sexuelle comme d’un amplificateur des sentiments enfouis qui ne se révèlent qu’une fois l’acte entamé. Mais cela ne veut pas dire que le désir ou l’amour ne sont pas présents dans ces mangas, ils sont juste amenés différemment dans le récit et répondent principalement à une vision plus masculine de l’homosexualité. Cependant, comme tout style, des évolutions récentes rapprochent de plus en plus les bara des yaoi.
Les hommes et les femmes ayant des pensées et des styles différents pouvant amener à une réflexion presque opposée de la question de l’homosexualité, il est encore aujourd’hui souvent convenu que chacun a un public de prédilection bien défini. Pourtant un nouveau genre commence peu à peu à s’imposer: le ML ou men’s love, alliant beauté androgyne et masculinité musclée, et semble-t-il le style d’homoromance le plus à même d’intéresser un large public. Mixant les stéréotypes, les fantasmes et une pointe de réalisme, il s’impose presque comme la nouvelle référence de l’homoromance d’aujourd’hui.