Temmoku : un nom japonais pour un bol à thé chinois

Il est dit qu’un moine japonais parti en Chine dans un monastère bouddhique Chan (Zen en japonais) sur le mont Tianmu, au Zhejiang, observa une cérémonie du thé entre les moines, qui se faisaient passer un bol à glaçure noire, dit des fours de Jian. De retour au Japon, il emporte avec lui un bol, grandement apprécié. Le nom de la montagne – qui se prononce en japonais « Temmoku » – lui restera.

Les bols à thé des fours de Jian

Les premiers complexes de fours pour les bols à thé Jian ont été localisés à Shuiji, au nord du Fujian. Le terme Jian s’applique uniquement aux bols provenant de ces fours. Redécouverts en 1935 par James Marshall Plumer (1899-1960), des fouilles archéologiques ont été menées par des archéologues chinois dans les années 1960, 1977 et de 1988 à 1992. En 2008 on compte environ 23 fours mis au jour, datant de la fin des Tang (618-907) jusqu’aux Yuan (1279-1368).

Verseuse à anse de double dragon, Tang, VIIIe-IXe siècle, fours de Huangdao, Henan, h : 19,7 cm, University of Michigan Museum of Art (1971/2.70). Domaine public

Les fours produisent dans un premier temps des imitations des céladons des fours de Yue, situés au nord-est de la région voisine du Zhejiang. A partir de la période des Cinq Dynasties (907-960) ils se démarquent progressivement par une production de céramiques à glaçure noire. Celle-ci est obtenue par un mélange d’argile riche en oxyde de fer et en cendre de bois, donnant en cuisson à haute température (environ 1300°C) par oxydation une glaçure allant du marron au noir. Cette technique est déjà connue et appliquée par d’autres fours depuis les Tang.

Cassette avec un bol éclaté, XIIe-XIIIe siècle, fours de Shuiji, Fujian, d: 18,3 cm, don de Caroline Plumer, Freer Sackler Gallery, Smithsonian Institute (FSC-P-882). Domaine public

La même argile riche en oxyde de fer est employée pour façonner les bols dans les fours du Fujian, donnant après cuisson un grès de couleur sombre caractéristique des Temmoku de la région. Cuite séparément dans des cassettes d’argile, la production se focalise sur les bols à thé, déclinés sous trois formes principales : conique, à la lèvre évasée et en entonnoir. De même, le décor de la glaçure se décline sous trois aspects : en « tâche d’huile », «  fourrure de lièvre » ou « plume de perdrix ».

Un bol à thé d’exception

Né comme production de masse pour les classes moins aisées, puis grandement apprécié pour son esthétique, le bol de jian est loué par les amateurs de thé. Cai Xiang, fonctionnaire et lettré du XIe siècle, écrit dans son ouvrage sur le thé, Chalu (1049-1053), que le thé du Fujian est réputé être le meilleur, en particulier le thé blanc. Les feuilles sont séchées puis réduites en poudre. Celle-ci est fouettée dans de l’eau chaude, donnant un breuvage blanc. L’empereur Huizong (r. 1100-1126) rédige en 1107 un « Traité sur le thé » (Daguan Chalun), dans lequel il considère les bols noirs de Jian comme étant les plus appropriés pour apprécier la boisson blanche.

Imitations chinoises

Bien que le centre principal de production soit au Fujian, des fours au Sichuan, Jiangxi, Guangdong, ainsi que dans le nord, forts du succès des bols à thé noirs, produisent des copies, aujourd’hui désignées par le terme devenu générique de Temmoku. De plus, la scission entre les Jin au Nord (1115-1234) et les Song du Sud (1127-1279) pousse les fours à produire des imitations de haute qualité afin de fournir des bols à thé pour la cour des Jin. Ainsi les fours de Huairen au nord du Shanxi et les fours de Zibo au Shandong se mettent à en produire entre le XIIe et le XIIIe siècle.

Bol « carapace de tortue », XIIIe – XIVe siècle, fours de Jizhou, d: 14,9 cm, Metropolitan Museum (29.100.229). Domaine public
Bol à décor de phénix, Song, fours de Jizhou, d: 15,3 cm, Kyoto National Museum (GK219). Domaine public
« Temmoku à feuille », XIIe-XIIIe siècle, fours de Jizhou, The Museum of Oriental Ceramics, Osaka (00598). Domaine public

Les fours de Jizhou, au Jiangxi se démarquent par un décor dit en « carapace de tortue », obtenues par projections de cendres de bois ou de bambou. Egalement, des motifs de phénix, de papillons ou simplement géométriques sont réalisés en papier, puis apposés sur la couverte, la protégeant ainsi des cendres. Le papier est enlevé avant la cuisson, laissant le motif apparaître en négatif. Un autre type particulier sont les « Temmoku à feuille », où une feuille d’arbre est directement attachée à la couverte fraîche. Pendant la cuisson, la réaction chimique entre l’oxyde de fer de la couverte et les cendres de la feuille laissent l’empreinte de celle-ci sur le bol.

Exportation

La découverte de bols dans des contextes de fouilles a permis d’éclairer non seulement les échanges existant, mais surtout l’exportation de ces céramiques vers la Corée et le Japon. Le musée national de Corée, à Séoul, conserve dans ses collections des bols de Jian, ainsi que des copies, certains à décor d’or, retrouvés dans des tombes coréennes de la période Goryeo (918-1392), autour de l’ancienne capitale Kaesong.

De plus, des bols de Jian ont également été retrouvés dans des épaves, commerçant entre la Chine et le Japon : l’épave du Sinan, datée de 1323, retrouvée le long des côtes coréennes, et le Baijiao I du XIIIe siècle, le long des côtes chinoises. Face au succès rencontré au Japon, les fours de Mino et de Seto se mettent à produire des imitations à partir du milieu du XIVe siècle.

Ainsi, production populaire dans un premier temps, les Temmoku connaissent leur apogée à la fin des Song du Nord. Exportés en grande quantité vers le Japon, comme en atteste la cargaison du Baijiao I, leur production s’arrête toutefois sous les Yuan en Chine, mais continue encore aujourd’hui au Japon où ils sont toujours appréciés pour la cérémonie du thé.

Pour en savoir plus :

Sur les céramiques à glaçure noire :

  • Mowry, Robert, Hare’s Fur, Tortoiseshell, and Partridge Feathers : Chinese Brown and Black- Glazed ceramics, 400-1400, Cambridge, Harvard University Art Museums, 1996.

Sur les pérégrinations de James Plumer à la recherche des fours des bols de Jian, son ouvrage retrace ses découvertes :

  • Plumer, James Marshall, Temmoku : A Study of the Ware of Chien, Tokyo, Idemitsu Art Gallery, 1972.

Image de couverture : Yôhen Temmoku, XIIe-XIIIe siècle, d : 12,3 cm, Fujita Art Museum, Osaka, Trésor national. Source : Wikicommons. Domaine public.

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