À l’occasion des cent ans de la mort de Victor Segalen, le musée Guimet lui consacre une exposition dossier intitulée « Ombre de Chine ». Tokonoma revient pour vous sur les missions archéologiques de ce médecin et poète passionné par la Chine.
De la Bretagne à Pékin

Né en 1878 à Brest dans une famille catholique, Victor Segalen fait des études pour devenir médecin de marine. Il est envoyé par l’armée française en Chine en 1909 afin de poursuivre son étude du chinois. Il s’installe avec sa femme Yvonne à Pékin en 1910. La Chine connaît à cette période une époque troublée, marquée par les révoltes et le lent déclin de la dynastie Qing (1644-1911).
La médecine n’est pas pour Segalen une vocation. Au contraire, il se passionne pour le chinois, qu’il étudie à l’École des langues orientales – aujourd’hui l’Inalco – et au Collège de France, où il suit les cours d’Edouard Chavannes. Sinologue de renom, ce dernier va transmettre à Segalen une curiosité pour l‘archéologie, une science alors nouvelle mais qui déjà révolutionne la manière dont on voit le monde. Il focalise son apprentissage du chinois sur la langue classique dans l’espoir de déchiffrer les stèles et bas-reliefs anciens. À noter, Paul Pelliot, autre sinologue majeur surnommé « le prince des sinologues », a également suivi l’enseignement de Chavannes.
Segalen explorateur et archéologue
Si Segalen a laissé une œuvre littéraire teintée d’exotisme, il est surtout connu pour les trois expéditions qu’il a organisées en 1909-1910, 1913 -1914 et 1917 à travers la Chine et particulièrement pour la deuxième expédition surnommée la mission « Segalen-Lartigue-de Voisins« .
L’équipe de la mission archéologique devant l’entrée d’un monument funéraire, Jiangkou, province du Guizhou, 1914, source : gallica.bnf.fr Yunding Shan, province du Fujian, mission Segalen-Lartigue-de Voisins, 1914, source : gallica.bnf.fr
Installé à Pékin, Segalen part en 1910 pour dix mois de voyage avec son ami le comte Auguste Gilbert de Voisins. Pendant ces dix mois, ils sillonnent la Chine pour aller jusqu’au Sichuan en passant par Xi’an (Shaanxi), selon un itinéraire défini par Edouard Chavannes. Ce dernier avait en effet repéré les lieux de tombes et vestiges anciens en traduisant les Mémoires historiques (Shiji) de Sima Qian. Il avait confié la mission à Segalen de se rendre sur place afin de vérifier leur présence . Au cours de cette première mission, Segalen rencontre Jean Lartigue, officier de marine, qui les rejoint dans la ville de Chongqing (Sichuan).
Quelques années plus tard, Segalen organise une nouvelle expédition avec son ami de Voisins ainsi que Jean Lartigue. Ayant pour but l’étude de la statuaire Han, la mission Segalen-Lartigue-de Voisins fait descendre les trois compères le long du Fleuve Jaune afin de rejoindre encore une fois la province du Sichuan. Enfin, la troisième expédition a lieu en 1917 dans la région de Nankin. Malgré la Première Guerre mondiale, Segalen est réformé pour cause de santé fragile. Il revient en Chine à la demande du ministère de la Guerre afin de recruter de la main-d’oeuvre chinoise.

L’héritage laissé par Segalen est immense. Lors de ses expéditions, ses compères et lui ont pris de nombreuses photographies de sites archéologiques restés jusqu’alors intacts. Ces photographies, dont une partie est actuellement exposée au musée Guimet, sont un témoignage extraordinaire de l’état des sites funéraires chinois au début du XXe siècle. Il fait également des découvertes majeures dont celle de la tombe du premier empereur Qin Shihuang (209 av. JC) ou encore celle du Cheval terrassant un barbare de la tombe de Huo Qubing (117 av. JC).
Segalen poète

Ces trois expéditions lui inspirent ses plus beaux poèmes, qu’il consigne dans Stèles, seul ouvrage publié de son vivant dont voici un extrait ci-dessous.
Vous, et vous, ne traduirez-vous pas ? Ces huit grands signes rétrogrades marquent le retour au tombeau et le CHEMIN DE L’ÂME, — ils ne guident point des pas vivants. Si détournés de l’air doux aux poitrines, ils s’enfoncent dans la pierre ; si, fuyant la lumière, ils donnent dans la profondeur solide, C’est, clairement, pour être lus au revers de l’espace, — lieu sans routes où cheminent fixement les yeux du mort. Extrait de : Victor Segalen, « Stèle du chemin de l’âme », Stèles, 1912.
Segalen considérait la statuaire chinoise comme représentant le pur « génie chinois« . Un esthétisme dont il était à la recherche et qu’il opposait au bouddhisme qui, selon lui, n’avait apporté que dégradation à l’art chinois.

À la suite de sa troisième expédition, Segalen rentre en France. De santé fragile, il est hospitalisé pour dépression et est retrouvé mort dans la forêt de Huelgoat en Bretagne en mai 1919. Accident ou suicide, les causes de son décès font encore débat aujourd’hui. Son œuvre Chine : la grande statuaire, synthèse de ses trois expéditions archéologiques, ne paraît qu’en 1972.
Pour aller plus loin
Pour plus d’informations sur l’exposition « Ombres de Chine » au musée Guimet.
Victor Segalen, Stèles, 1995, Poésie/Gallimard, en ligne.
France Culture a consacré à Victor Segalen un cycle de trois conférences à écouter en podcast.
Une grande partie des clichés pris par Segalen, de Voisins et Lartigue ont été numérisés et sont accessibles sur Gallica.
Sources
Victor Segalen, fiche INHA par Danielle Elisseeff
Simon Leys, Victor Segalen, les tribulations d’un poète en Chine, Le Figaro littéraire, en ligne.
Image de couverture : Victor Segalen et Auguste Gilbert de Voisins, Zhaohuaxian, , mission Segalen-Lartigue-de Voisins, 1914, source : gallica.bnf.fr.
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