Aujourd’hui, Tokonoma vous emmène au MoMA de San Francisco ! Du 10 novembre 2018 au 24 février 2019 se tient l’exposition Art and China after 1989: Theater of the World organisée par The Solomon R. Guggenheim Foundation, nous nous y sommes rendu et voici ce que nous en avons tiré…
1989 : une fin et un commencement
L’art ne peut pas être simplement considéré d’un point de vue esthétique en ce qu’il traduit les bouleversements d’une culture. L’art en Chine depuis 1979, date du début des réformes économiques engagées par Deng Xiaoping (邓小平, président de 1978 à 1992), connait ainsi une période d’oscillation intense entre traditions et pratiques culturelles importées.
L’exposition China/Avant-garde qui ouvre en février 1989 à Pékin ne présente aucune peinture chinoise traditionnelle et constitue la première exposition nationale d’art expérimental. Cet événement agit un peu comme une rétrospective des recherches menées par les artistes chinois dans les années 1980 et le choix des œuvres présentées par les participants (art abstrait, installations, performances…) annonce la nouvelle direction que prend l’art contemporain chinois. Le label « No U-Turn » exhibé lors de l’exposition incarne tout à fait la volonté de rupture des organisateurs.

1989 représente d’autant plus une date charnière que le 4 juin a lieu la manifestation de Tian’anmen (天安门) réprimée de manière extrêmement brutale par le gouvernement. Cet événement marque les artistes et les intellectuels qui sont déçus et se mettent à douter du système autoritaire en place. Nombreux sont ceux qui quittent le pays.
Des artistes en mouvement : l’entrée de la Chine sur la scène internationale de l’art contemporain
En mai 1989, plusieurs artistes chinois ayant exposé à China/Avant-garde comme Huang Yong Ping (黄永砯, né en 1954) ou Yang Jiechang (杨诘苍, né en 1956) se rendent à Paris pour participer à Magiciens de la terre au centre Georges Pompidou, l’une des premières expositions d’art contemporain regroupant des artistes du monde entier. L’engouement croissant à l’époque pour l’art contemporain chinois permet finalement l’intégration de l’art chinois au marché international.
Ainsi, dans les années 1990, les artistes chinois participent de plus en plus aux nombreuses biennales et autres expositions internationales d’art contemporain. Plusieurs tendances se dessinent alors parmi ces derniers qui, afin de connecter leur art aux réalités de la vie, souhaitent explorer de nouvelles pratiques artistiques.

Tout d’abord, la multiplication des événements ponctuels relevant de l’art-performance permet de varier les lieux d’exposition et les publics sans nécessité d’obtenir à chaque fois l’accord des autorités.
L’art conceptuel est aussi largement exploité par les artistes chinois, notamment Ai Weiwei (艾未未, né en 1957), artiste, collectionneur, marchand, galeriste et éditeur, qui illustre parfaitement le nouveau type de personnalité émergeant sur la scène artistique mondialisée des années 1990-2000.
En parallèle de l’histoire de l’art contemporain en Chine se déploie l’histoire des artistes chinois à l’étranger ! Alors que certains artistes ont compris ce que le système attendait d’eux et comment ils pouvaient subvertir ces attentes, d’autres tentent de dénoncer l’image déformée de l’art chinois que véhiculent les critiques et les galeristes occidentaux.
L’art comme moyen de transmettre un message, de protester
A partir de 2001, suite à la reconnaissance internationale de la Chine comme puissance mondiale, les artistes se sont engagés avec bien plus de force dans un activisme social mondial. Ils se sont emparés de nouveaux moyens de communication comme Internet pour monter divers projets à différentes échelles, seuls ou en groupe, afin de rendre compte, inciter et initier du changement dans la société. L’œuvre de Shen Yuan (沈远, né en 1959) History of Nanling 1957-2005, qui décrit le développement très rapide de la Chine du Sud, illustre cette tendance.

L’oeuvre New Beijing de Wang Xingwei (王兴伟, né en 1969), qui a été réalisée en 2001 suite à la sélection de Pékin comme hôte des JO 2008, permet de revenir sur le rôle déterminant de l’année 1989. L’artiste est ironique puisque sa peinture est en fait le détournement d’une photographie prise lors de l’« incident » de Tian’anmen en 1989. Il s’agit de rappeler au gouvernement, qui célèbre en grande pompe l’événement à venir, que même si la violence déployée lors de la répression tend à être effacée de l’histoire officielle, c’est l’Etat qui en était à l’origine.


Avec la présentation de plus d’une soixantaine de groupes et artistes chinois contemporains répartis en six sections chronologiques et thématiques, l’exposition Art and China after 1989 dresse un large panorama de ceux qui ont façonné et imaginent encore la définition de l’art contemporain chinois.
En savoir plus :
- SFMOMA Art and China after 1989: Theater of the World Press Release, 2018.
- Lincot Emmanuel. L’art contemporain chinois dans les années Deng Xiaoping. In: Perspectives chinoises, n°82, 2004.
Image de couverture: Chen Shaoxiong (陈劭雄, 1962-2016), 5 Hours, 1993/2006, néons fluorescents, câbles électriques, marqueur permanent sur une planche en bois, tubes en plastique, courant électrique.
Crédits photographiques: Johanna Cozzolino (photographies de l’exposition)