Brillants trésors de Kyôto au musée Cernuschi

Du 26 octobre au 27 janvier 2019, le musée Cernuschi présente l’exposition Trésors de Kyôto, trois siècles de création Rinpa. Toujours dans le cadre de Japonismes 2018, le musée accueille de véritables chefs-d’oeuvre de ce courant décoratif japonais, dont certains viennent pour la première fois en France !

 

Aux origines du courant Rinpa

L’école [Rin]pa 琳派 doit son nom à Ogata Kô[rin] (1685-1716), pa désignant l’école. S’inscrivant dans la tradition de la peinture japonaise, elle se démarque par sa transmission : les artistes choisissent librement leur maître au gré de leurs affinités, se détachant ainsi de la relation directe de maître à élève. Le terme « Rinpa » désigne un courant d’art décoratif japonais né au XVIIe siècle, durant l’époque Edo, à l’initiative d’un artiste, Hon’ami Kôetsu (1558 – 1637). Calligraphe célèbre, laqueur, céramiste, connaisseur et polisseur de lames de sabre, Kôetsu est un artiste touche à tout ! En 1615, il obtient du shôgun Tokugawa Ieyasu (1543 – 1616) l’autorisation de fonder une communauté d’artisans à Takagamine, au nord de Kyôto. Il y est rejoint par Tawara Sôtatsu (actif entre 1600 et 1640), spécialiste de la peinture sur éventails et paravents, du décor de rouleaux imprimés sur bois et de papiers enluminés. C’est la collaboration entre ces deux artistes qui marque la fondation du courant Rinpa !

Tawara Sotatsu Dieux du vent et du tonnerre
Tawara Sôtatsu, Dieux du vent et du tonnerre, époque Edo (1603 – 1867), XVIIe siècle, paire de paravents à deux feuilles, encre et couleurs sur un fond de feuilles d’or sur papier, Kennin-ji, Kyôto, Trésor national. Photo : domaine public

Ce courant se caractérise surtout par l’aspect très décoratif de ses oeuvres, au point qu’un collectionneur occidental a écrit que « les Japonais sont les premiers décorateurs du monde »… Bien sûr, chaque artiste conserve ses propres particularités. Ainsi, sur ce chef-d’oeuvre de Sôtatsu (présenté pendant quatre semaines seulement, en raison de sa grande fragilité !), on retrouve les couleurs vives et l’originalité de la composition qui le caractérisent.

Toutefois, le courant Rinpa ne rassemble pas que des peintres : le décor, c’est aussi des laques ou encore des céramiques ! Le céramiste Ogata Kenzan (1663-1743), spécialiste du grès, est ainsi lui aussi rattaché à ce courant, dont son frère Ogata Kôrin (1658-1716) a été l’un des grands représentants.

 

Les premiers suiveurs

Ce dernier est en effet connu dès la fin du XIXe siècle en France, et très apprécié des amateurs. Louis Gonse (1846-1921), historien de l’art à cette époque, dit alors de Kôrin qu’il est « le plus Japonais des Japonais », saluant ainsi la personnalité de l’artiste qui a su s’inscrire de façon très personnelle dans un style établi. Kôrin et Kenzan reprennent effectivement le flambeau et font perdurer l’école Rinpa, alors que l’époque Edo connaît son apogée culturelle entre la fin du XVIIe siècle et le début du XVIIIe siècle.

Les très diverses compétences des deux frères et collaborateurs (qui maîtrisent peinture, calligraphie, laque et céramique) donnent un nouvel élan au style Rinpa, tout en se référant aux thèmes et techniques adoptés par Kôetsu et Sôtatsu avant eux. Kôrin apporte son grain de sel, et ses compositions deviennent parfaitement identifiables. Epurées, innovantes et harmonieuses, elles ne sont pas dénuées d’humour lorsqu’elles mettent en scène des figures humaines, influençant profondément la génération suivante.

 

Waves_at_Matsushima
Ogata Kôrin (1658-1716), Vagues à Matsushima, paravent à six feuilles, XVIIIe siècle, Museum of Fine Arts Boston. Photo : domaine public. Un paravent très similaire est présenté dans l’exposition.

Le courant connaît donc un renouvellement entre le XVIIIe et le début du XIXe siècle. Le sens décoratif de Kôrin inspire tant au niveau stylistique qu’iconographique – on retrouve par exemple les thèmes des vagues ou des iris qui lui sont associés.

Parmi cette seconde génération de suiveurs, Kôrin est donc le principal modèle. On retrouve notamment Watanabe Shikô (1683-1755), Fukae Roshû (1699-1757) et Nakamura Hôchû (mort en 1819), artistes inspirés par leur illustre prédécesseur mis en avant dans l’exposition. Chacun réinterprète librement son modèle, sans toutefois le copier. Shikô est le plus éclectique des trois, de Roshû il nous reste peu d’oeuvres, Hôchû quant à lui emploie la technique du tarashikomi et peint au doigt. Dans les trois cas, un hommage est rendu à Korin par la citation, à différents niveaux de la création.

Kamisaka Sekka
Kamisaka Sekka, Erable au feuillage automnal et chrysanthèmes blancs, entre 1920 et 1925, rouleau vertical, encre et couleurs sur soie, Musée Hosomi, Kyôto. Image: Wikicommons.

 

La continuité

Enfin, l’exposition se clôt en se penchant sur un artiste de la fin du XIXe au début du XXe siècle et qui a su redonner vie au mouvement, avec une esthétique qui lui est propre : Kamisaka Sekka (1866-1942).

On évolue dans une douceur du trait, des formes et des couleurs, où Sekka dépeint des scènes du quotidien, mais également reprenant les thèmes propres à l’école rinpa – issus de la nature, des classiques littéraires. Artistes aux nombreux talents, il collabore également dans la création de laques, d’objets en bois, de céramiques ou encore de textiles, et dont on peut en admirer quelques exemples. Désigné comme le dernier grand représentant du courant Rinpa, il n’en sonne pas pour autant le glas !

Ainsi, l’école Rinpa est une école se caractérisant par un style décoratif touchant différents domaines et dont la continuité est rendue possible grâce aux hommages que des artistes rendent à ses fondateurs, en reprenant, tout en affirmant leur propre style, les thèmes et l’esthétique établis du mouvement.

Le musée Cernuschi nous offre un véritable moment de contemplation devant une sélection de chefs-d’oeuvre produits par les artistes les plus emblématiques de l’école Rinpa. Et si, comme nous, vous ne vous en lassez pas et en redemandez, n’oubliez pas que trois rotations des œuvres auront lieu – les dates sont indiquées sur le site du musée – en raison de la fragilité de certaines pièces!

 

 

Informations pratiques :

« Trésors de Kyoto, trois siècles de création Rinpa »

Exposition du 26 octobre 2018 au 27 janvier 2019

Musée Cernuschi, 7 avenue Vélasquez, 75008 Paris

Ouvert du mardi au dimanche, de 10h à 18h, nocturne les vendredis soir jusqu’à 21h

Tarifs : 9 € plein tarif, 7 € tarif réduit.

Toutes les informations sur le site du musée.

 

En savoir plus :

  • Carpenter, John, T., Designing Nature : The Rinpa Aesthetic in Japanese Art, New York, The Metropolitan Museum of Art, 2012.
  • Moscatiello, Manuela (trad.), Kamisaka Sekka : Les herbes de l’éternité, Arles, Editions Philippe Picquier, 2013.

 

Image de couverture : Tawara Sôtatsu, Dieux du vent et du tonnerre, époque Edo (1603 – 1867), XVIIe siècle, paire de paravents à deux feuilles, encre et couleurs sur un fond de feuilles d’or sur papier, Kennin-ji, Kyôto, Trésor national. Image : domaine public.

 

Camille Bertrand, Julie Robin & Laurie-Anne Tuaire

2 commentaires Ajouter un commentaire

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s