La brillante époque de Heian prend fin après plusieurs années de troubles et de guerre civile qui ont vu l’émergence d’une caste guerrière puissante. La date de 1185 est retenue pour le début de l’époque Kamakura (1185-1333), puisqu’elle marque la défaite définitive du clan Taira face au clan Minamoto. C’est alors que Minamoto no Yoritomo s’élève le premier au rang de shōgun…
La fondation du premier bakufu
Le shogunat de Kamakura est le premier gouvernement shogunal (bakufu) de l’histoire du Japon. Ce qui est vraiment nouveau dans cette institution, c’est l’apparition d’un deuxième centre de pouvoir. On a alors souvent insisté sur l’opposition entre les deux classes sociales que sont les aristocrates de la cour et les guerriers, mais finalement, si la période de Kamakura s’est révélée aussi florissante, c’est bien que les deux classes en question étaient en un sens complémentaires…
D’un point de vue purement politique, il est intéressant de parler d’une spécificité de l’époque de Kamakura. Bien que Minamoto no Yoritomo ait été un shōgun fort, on ne peut pas en dire autant de ses successeurs. Ceci a mené à une situation jusqu’alors inédite : bien que l’on parle du shogunat des Minamoto, ceux qui dirigent le Japon sont en fait les membres du clan Hōjō, qui se sont approprié le pouvoir grâce à leur fonction de shikken (régent du shōgun) !

Au niveau géopolitique maintenant, le shogunat de Kamakura a connu deux tentatives d’invasion des Mongols, menées par Khubilai Khan. L’histoire vaut alors la peine d’être racontée, car par deux fois, en 1274 et en 1281, le Japon a repoussé l’envahisseur, aidé des fameux kamikaze (vents divins) !

Nouvelles formes du bouddhisme au Japon
L’époque de Kamakura apparait comme un jalon important dans l’histoire du bouddhisme au Japon. En effet, suite à l’âge d’or des sectes ésotériques que constitue l’époque de Heian, on voit l’émergence de mouvements réformateurs qui cherchent de nouvelles voies à la foi bouddhique. C’est dans les milieux guerriers et dans les classes humbles de la société que ces mouvements trouvent un écho favorable. Parmi les doctrines bouddhiques fondées à l’époque de Kamakura, il faut citer la secte dite « de la Terre pure » (Jōdoshū), la Vraie Secte de la Terre pure (Jōdo shinshū) et la doctrine de « l’enseignement permanent » (Jishū).
Mais la doctrine qui marque le plus profondément la culture japonaise, c’est le Zen, introduit dans l’archipel nippon par le moine Eisai (1141-1215) à la suite de ses voyages en Chine. Le Zen met l’accent sur les pratiques de méditation, prône un Eveil intuitif et privilégie l’enseignement d’un maître à un disciple. L’introduction de cette doctrine a alors eu des répercussions inattendues sur l’histoire de l’art puisque les techniques picturales utilisées par les moines zen (suibokuga, peinture d’encre et d’eau) ont été reprises par des peintres qui ont développé une tradition de peinture monochrome typiquement japonaise !

Un véritable renouveau artistique
Un des foyers du renouveau artistique de l’époque Kamakura est sans aucun doute la ville de Nara. Lors de l’affrontement entre les Taira et les Minamoto, le clan Taira a mis le feu au temple du Tōdai-ji ! Minamoto no Yoritomo se sentant quelque peu coupable, il décide de reconstruire l’édifice et c’est Shunjōbō Chōgen (1121-1206) qui est choisi pour diriger les travaux. Il ne reste que peu de bâtiments représentant le nouveau style qui se développe, la grande porte sud du Tōdai-ji en est un. Ce qui distingue ce style, ce sont les traverses encastrées dans les piliers et le système de consoles soutenant le toit.

Une tendance se dégage clairement dans l’art de l’époque Kamakura. C’est une volonté de vérité anatomique incarnée par les sculptures de l’école Kei notamment ; au raffinement de l’époque Heian succède le réalisme et la vigueur. L’un des plus grands chefs-d’œuvre illustrant ce courant de la sculpture est la paire de gigantesques niō ornant la grande porte sud du Tōdai-ji réalisée par Unkei et Kaikei. Cette œuvre témoigne de l’énergie et de la virulence d’expression nouvelle insufflée aux sculptures. Voyez plutôt la fougue qui se dégage de ce personnage !

Enfin, ce mouvement réaliste trouve à s’exprimer pleinement dans l’art du portrait qui ne se limite pas aux portraits de moines mais s’étend aussi aux hommes d’état ! En effet, les artistes se plaisent à reproduire ou imaginer les traits individualisés des personnages. Le portrait de Shunjōbō Chōgen, que nous évoquions plus haut, est alors un des premiers portraits de religieux réalisé du vivant du modèle. C’est une oeuvre saisissante de réalisme !

L’époque de Kamakura est donc une période très riche qui accueille bien des nouveautés au niveau politique, religieux et artistique. Néanmoins, la fin du XIIIème siècle marque le début de nouveaux troubles politiques. Déjà en 1221, l’empereur retiré Go-Toba avait fomenté une révolte dans le but de renverser le bakufu, mais l’insurrection avait été écrasée. Les choses sont différentes en 1331 lorsque Go-Daigo tente lui aussi de reprendre le pouvoir. Il est défait, mais en 1333 le général Ashikaga Takauji se retourne contre les Hōjō, permettant à l’empereur de remonter sur le trône durant l’époque connue sous le nom de restauration de Kenmu. Mais le règne de Go-Daigo ne va pas être très long… Si vous voulez savoir pourquoi, rendez-vous dans le prochain article de cette série !
En savoir plus :
- Christine Shimizu, L’art japonais, Flammarion, 2001
- Iwao Seiichi, Iyanaga Teizō, et alii, « Kamakura bakufu » in Dictionnaire historique du Japon, volume 11, 1985. Lettre K, pp. 65-68.
Image de couverture: Rouleau illustré du Dit de Heiji (Heiji Monogatari Emaki), rouleau Sanjō, fin du XIIIème siècle, encre et couleur sur papier, 699.7m x 41.3cm, Museum of Fine Arts Boston. Source image : Wikimedia Commons.
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