Ce vendredi encore, Tokonoma vous invite à poursuivre le voyage que nous avons entrepris à travers les grandes périodes ayant marqué le Japon. Aujourd’hui nous vous proposons de faire escale à la période Kofun (250-600) !
Vous avez dit Kofun ?
On appelle l’époque Kofun « époque des grandes sépultures« . Le système de hiérarchisation naissant à l’époque précédente, Yayoi, est maintenant fermement défini et les kofun expriment le pouvoir de ceux qui y reposent. Ceci s’observe dans tout le Japon sauf à Hokkaido et Okinawa. Le Japon est effectivement un territoire morcelé constitué de petits royaumes, dont le plus puissant est celui de Wa dans l’actuelle région du Yamato.
À cette époque le Japon est en contact permanent avec le continent, et envoie des ambassades en Chine ! Des objets – miroirs en particulier – sont donc importés de Chine, où le bouddhisme se développe alors. Ce n’est pas encore le cas au Japon, mais parmi les objets chinois importés certains portent tout de même des représentations bouddhiques ! D’ailleurs à partir du Ve siècle, la très haute élite japonaise adopte l’écriture chinoise pour transcrire le japonais – mais les véritables sources écrites japonaises apparaissent au VIIIe siècle.
Vol au dessus d’un nid de kofun
On ne connait pas l’origine des kofun, peut-être inspirés du modèle coréen de tumuli circulaires… En tout cas ils apparaissent au Yamato dès le IIIe siècle. Il prennent la plupart du temps la forme zenpokoen, c’est-à-dire que la partie avant est carrée et la partie arrière ronde. Les formes possibles sont variées : hofun (carré), enpun (circulaire), octogonal ou encore en forme de coquille Saint-Jacques. À chacun son kofun personnalisé donc ! Des douves sont creusées autour, et à partir de la fin du IVe siècle les kofun prennent des dimensions gigantesques, surtout dans la région d’Osaka.
Ces tombeaux immenses sont attribués aux premiers empereurs du Japon ! Et oui, attribués seulement car ils n’ont pas été fouillés (on respecte ainsi la mémoire des anciens empereurs). On compte à ce jour 136 kofun impériaux et 548 kofun satellites pour l’entourage des empereurs.
Par exemple celui de Nintoku (le 16ème empereur), souverain du royaume de Wa au début Ve siècle, est le plus imposant de tous : 486m de long et trois douves dont une de 72m de large ! De forme zenpokoen, sa partie circulaire mesure 30m de haut pour 245m de diamètre. Oui l’empereur même mort mérite un certain standing ! À titre exceptionnel après l’effondrement d’une partie de la chambre funéraire en 1872, il a été fouillé. Il s’y trouvait principalement des objets militaires, autour d’un sarcophage en pierre.

Autour des kofun prennent place les haniwa ; des statuettes d’argile disposées autour ou sur le kofun – quand il y en a bien sûr ! Ils prennent des formes très variées : hommes, animaux, objets ou encore architectures. Ils sont vus comme un cortège funéraire ou des serviteurs dans l’au-delà, ou encore comme une représentation de la cérémonie de demande de renaissance du mort. Ils portent également une idée de transmission du pouvoir (le roi est mort, vive le roi !) par un cérémonie qui se tiendrait sur le kofun avant d’être figée dans la terre cuite… C’est assez vague en somme. Pour la version presse à scandale : selon le Nihon Shoki (écrit en 720), ils servaient en remplacement de sacrifices humains ! Alors, quelle version vous convainc le plus ?

Fouillons au fin fond du kofun
Dans un kofun, en tout premier, on tombe sur des peintures ornant les murs et le plafond des caveaux. Un apprêt d’argile est parfois appliqué avant la peinture mais le plus souvent ce n’est pas le cas, et on peint à même le mur nu. Entre le Ve et le VIIe siècle se développe de plus en plus le thème du voyage de l’âme vers l’au-delà. Ici la représentation que l’on trouve semble montrer le passage de la vie à la mort. Le passage entre les deux mondes se ferait donc par bateau (visible au-dessus des flots), et les deux chevaux au-dessus accompagneraient l’âme durant ce voyage – ce sont donc des animaux psychopompes. On peut aussi trouver de simples motifs géométriques pour le décor, et pas toujours des scénettes comme celle-ci !

Les objets présents dans la tombe montrent également le contact entre deux mondes, mais cette fois au niveau terrestre : le Japon et le continent. Si vous avez suivi, vous saurez que l’on trouve régulièrement des miroirs chinois dans les kofun avec des images du Bouddha – et non, le bouddhisme n’est toujours pas arrivé au Japon ! Par exemple, celui retrouvé dans le kofun de Samida est de fabrication japonaise et porte un motif japonais ; la forme du miroir chinois a donc été adaptée et exploitée. Pour des couronnes en bronze doré, ce sont cette fois des motifs chamaniques issus du monde sibérien qui y sont appliqués ; arrivés au Japon via la Corée. L’autre grande influence du monde sibérien au Japon de l’époque Kofun est la présence de magatama, des perlages en pierre en forme de dent ou griffe. On trouve toutefois moins de matériel funéraire et d’objets à partir du VIIe siècle.

Enfin pour la céramique, le type de la période Yayoi se perpétue pour la vie quotidienne, dont les pièces sont produites vers Osaka. La nouveauté est le type sueki, dont les pièces sont placées dans les tombes. Le monde coréen donne non seulement le modèle des sueki au Japon, mais l’accompagne de l’usage du tour de potier et de fours fermés permettant des cuissons jusqu’à 1000-1200° C. Dès lors, on a la possibilité de varier les types de cuisson pour choisir de noircir les pièces ou pas. Les sueki sont produites au nord de Kyushu, proche de la Corée donc. Ce sont des objets funéraires ou rituels, aux formes inspirées de la Corée comme de grandes jarres sur pieds ajourés, au décor rapporté en ronde bosse.

Par la suite, durant la période Asuka, on trouve moins de kofun du fait de l’arrivée du bouddhisme au Japon. Quelques-uns persistent tout de même comme le montre le kofun d’Ishibutai à Nara, datant du VIe siècle et fouillé vers 1930. Il est toutefois moins imposant que ce dont on avait l’habitude et mesure (seulement) 54m de long, et comporte un caveau très sobre fait de simples blocs de pierre empilés, sans peinture. On en saura un peu plus sur ce qui se passe à l’époque Asuka la semaine prochaine, et promis on vous dit tout !
En savoir plus :
- Catalogue Haniwa, gardiens d’éternité, Maison de la culture du Japon à Paris, 2001.
- Linda Gilaizeau, La transition Yayoi-Kofun (Ier – IVe siècles), une période charnière in L’influence des cultures du continent asiatique sur l’archipel japonais.
- Linda Gilaizeau, Les miroirs sankakubuchi shinjū : témoins de l’émergence d’un pouvoir centralisé dans le Japon protohistorique (IIIe-IVe siècle).
Image de couverture : Haniwa danseurs, musée national de Tokyo
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