La semaine dernière, Tokonoma vous présentait le premier empereur de la dynastie mongole Yuan, Kubilai Khan. En 1368, une nouvelle dynastie, d’origine chinoise cette fois, émerge et remplace la précédente : la dynastie Ming. A présent, laissez-moi vous conter l’histoire d’un de ses empereurs les plus célèbres, celle de Ming Yongle…

Ming Yongle (règne 1403-1425), de son nom personnel Zhu Di, est le troisième empereur et le fils du fondateur de la dynastie Ming (1368-1644), Ming Hongwu (règne 1368-1398). Mais, parce qu’il y a bien un mais, il monte sur le trône dans des circonstances quelque peu compliquées… En effet, c’est son neveu, le futur empereur Ming Jianwen (règne 1398-1402), et non lui qui est choisi pour successeur ! Furieux, Yongle prend alors les armes, chasse le nouveau souverain du trône et incendie le palais par la même occasion. On comprend donc pourquoi Yongle tente pendant tout son règne d’asseoir sa légitimité sur le trône impérial !
Certains pensent aujourd’hui que c’est pour cette raison que Yongle organise de grandes expéditions maritimes de 1405 à 1433, soit huit ans après la mort de l’empereur ! En effet, dès 1405, il charge Zheng He, un eunuque musulman, de diriger ces expéditions menées au Vietnam, en Malaisie, en Inde du Sud, dans le Golfe Persique jusqu’aux côtes orientales de l’Afrique : ces destinations ne vous font-elles pas rêver ?

Outre ce problème de légitimité, ces expéditions ont peut-être également servi à proclamer à travers le monde entier la fondation de la nouvelle dynastie chinoise des Ming, et à faire ainsi oublier l’humiliante domination mongole sous les Yuan. En parcourant les mers, ces voyages ont permis à la Chine de faire des échanges économiques, notamment sous la forme de tributs. Le tribut est une pratique courante pour les empereurs chinois. Le principe est simple : les autres pays doivent reconnaître leur vassalité vis-à-vis de l’Empire du milieu en échangeant avec lui des présents, souvent de grande valeur. Sous le règne de Yongle, un ambassadeur apporte même une girafe ! L’empereur le prend alors pour un animal fantastique, qui n’apparaîtrait que sous le règne d’un souverain exceptionnel !
Ces relations « diplomatiques » favorisent la circulation des objets. Les artistes chinois s’inspirent de ces motifs venus d’ailleurs, notamment du monde islamique. Témoin de ces jeux d’influence, le musée Guimet conserve un écritoire et un chandelier à décor d’inscriptions imitant l’écriture arabe !
Continuons dans le cosmopolitisme et parlons bouddhisme tibétain. Yongle, proche de maîtres spirituels tibétains, encourage la production d’œuvres bouddhiques : statues en bronze doré, couvertures de sutra en laque sculpté, textiles… Ces objets pouvaient parfois servir de cadeaux diplomatiques envoyés au Tibet. Allez jeter un œil à la statue d’Avalokitesvara conservée au musée Cernuschi, vous verrez que le corps souple, en légère flexion, ou encore les nombreuses parures font plutôt penser à une bronze népalo-tibétain qu’à une statue chinoise !
Revenons en Chine à présent… Vous connaissez au moins Yongle pour un ensemble architectural célèbre dans le monde entier… La Cité Interdite – ou « Cité pourpre » en chinois ! Même si l’ensemble a brûlé plusieurs fois, les plans actuels sont en grande partie fondés sur ceux de l’époque de Yongle. L’empereur est d’ailleurs fortement lié à Pékin car il en fait la capitale de l’empire ! En effet, la première capitale des Ming est Nanjing ou « Nankin », c’est-à-dire « la capitale du sud ». En 1421, Yongle fait déménager toute sa cour et son palais au nord, plus près des nomades (sûrement afin de les avoir à l’œil) à Beijing, ou « Pékin », « la capitale du nord ». Or, souvenez-vous, c’est l’ancienne capitale des Yuan (Dadu) ! Comme quoi, la dynastie des Ming puise elle-même dans la culture mongole ! Alors, les Ming, une dynastie si chinoise que cela ?

En si peu de mots, il est bien difficile de résumer le grand règne qu’est celui de Yongle… On pourrait encore évoquer sa participation à l’Encyclopédie de l’ère Yongle, le développement de la porcelaine de type bleu et blanc, l’apogée atteint par les ateliers impériaux de travail du laque, l’énergie qu’il déploie contre la menace mongole et encore bien d’autres hauts faits… On en retient néanmoins un fait indéniable : c’est une époque d’ouverture pour la Chine, d’échanges culturels et artistiques via des échanges diplomatiques, et ça les objets le reflètent bien. Cela permet donc bien de nuancer l’idée selon laquelle la dynastie Ming serait un retour à la pure tradition chinoise…
Pour aller plus loin :
ELISSEEFF, Danielle, Histoire de l’art : la Chine des Song (960) à la fin de l’Empire (1912), Paris : Réunion des Musées Nationaux, 2010, coll. « Manuels de l’Ecole du Louvre », 382 p.
Pour encore plus de détails et d’œuvres produites sous le règne de Yongle : le catalogue de l’exposition « Defining Yongle : Imperial Art in Early Fifteenth-Century China » qui s’est tenue au Metropolitan Museum of Art de New York en 2005.
Image de couverture : Détail du portrait de Ming Yongle
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