Après l’empereur guerrier Tang Taizong, Tokonoma vous propose de vous laisser porter par l’histoire d’un souverain au caractère bien opposé, celle de Song Huizong, empereur dont le règne tragique marque cependant un âge d’or dans les arts sous les Song du Nord…

Song Huizong 宋徽宗(règne 1100-1125), de son nom personnel Zhao Ji 赵佶, est le huitième et dernier empereur de la dynastie des Song du Nord (960-1127). A l’origine, il n’est pourtant pas destiné à monter sur le trône ! Ce n’est en effet qu’à la mort de son frère et prédécesseur Song Zhezong 宋哲宗 (règne 1085-1100) que Song Huizong prend sa place, car le seul fils de l’empereur est mort prématurément.
Durant sa jeunesse, Song Huizong reçoit une éducation digne d’un lettré, comme tout membre de la famille impériale. Il développe alors un vif intérêt pour la peinture et réalise lui-même quelques chefs-d’œuvre, pour la plupart des peintures de fleurs et oiseaux au rendu très minutieux.

Il est également féru de calligraphie et crée d’ailleurs son propre style très reconnaissable, aux traits aigus et vifs, appelé « calligraphie à l’or maigre » (shoujinti 瘦金体). Un empereur-artiste ? En tout cas, Huizong n’est pas un cas isolé : par exemple, trois cents ans plus tard, Ming Xuanzong 明宣宗 (règne 1425-1435) prend également les pinceaux et réalise lui aussi des peintures de fleurs et oiseaux.

En plus de sa pratique artistique, Song Huizong est un collectionneur et un mécène important. Il décide de développer, au sein de l’Académie impériale Hanlin 韩林, un département de peinture permettant à ses membres d’obtenir le statut de peintre professionnel, statut cependant méprisé par les peintres dits « lettrés ». Cette académie est sous contrôle impérial et son recrutement se fait par le biais d’examens, répondant aux exigences et aux goûts de l’empereur. Pour Huizong, c’est l’observation fine de la nature et la ressemblance formelle qui doivent primer dans l’œuvre, mais également les connaissances poussées des peintres, à l’image de celles d’un lettré.

Parmi les arts auxquels s’intéresse Huizong, n’oublions pas de mentionner la céramique ! En effet, son règne est marqué par la production de pièces raffinées venant des fours de Ru 汝 dans la province du Henan 河南. Ces céramiques de petites dimensions présentent un fin réseau de craquelures, constituant leur seul et unique décor. Ce sont souvent des pièces aux formes archaïsantes – c’est-à-dire qu’elles s’inspirent de la production artistique de périodes antérieures – et dont les teintes varient, allant du bleu doux au gris-vert. La subtilité de ces céramiques reflète quel esthète était l’empereur.
Outre cela, Song Huizong rassemble aussi une grande collection de peintures, de calligraphies et d’antiquités qu’il fait répertorier dans deux catalogues majeurs : le Catalogue des peintures de l’ère Xuanhe (Xuanhe Huapu 宣和画谱) et le Catalogue des antiquités de l’ère Xuanhe (Xuanhe Bogutu 宣和博古图). Ces deux catalogues, plusieurs fois réédités, sont aujourd’hui des sources précieuses puisque la plupart des œuvres qui y sont reproduites ont disparu suite à l’invasion des Jürchen à partir de 1125…
Et là, c’est le drame… En effet, cette date marque la chute de la dynastie des Song du Nord et la capture de Song Huizong par ce peuple venu des confins de l’actuelle Mandchourie. L’empereur y finit sa vie, emprisonné. On a connu des fins plus joyeuses !
On a souvent reproché à Huizong d’avoir trop privilégié son intérêt pour les arts au détriment des affaires politiques, ce qui aurait précipité la chute de la dynastie. Cependant, il ne faut pas oublier qu’en Chine les arts font entièrement partie de la fonction impériale, tout comme les valeurs martiales. Selon les principes philosophiques chinois, théorisés à l’époque des Zhou, l’empereur doit posséder le wen 文 – l’esprit lettré – et le wu 武 – l’esprit guerrier – afin d’être un souverain accompli. De plus, en peignant des symboles de bon augure, l’empereur essaie de s’attirer, à lui et son empire, les meilleurs auspices possibles, et cette symbolique a une grande importance dans la culture chinoise. Regardez pour cela l’image qui ouvre cet article : les grues saisies en plein vol, symboles d’immortalité, sont censées annoncer le règne prospère de Huizong… Une ironie du sort ?
Song Huizong ajoute ainsi un autre aspect à notre série de portraits d’empereurs : un souverain lettré se désintéressant de la guerre et de ses jeux de stratégie. Son influence dans les arts va marquer les esprits et va même devenir un modèle pour les empereurs des époques postérieures…
Pour aller plus loin :
- ELISSEEFF, Danielle, Histoire de l’art : la Chine des Song (960) à la fin de l’Empire (1912), Paris : Réunion des Musées Nationaux, 2010, coll. « Manuels de l’Ecole du Louvre », 382 p.
- Encyclopedia Universalis : l’article de Pierre Ryckmans sur Song Huizong
- Le catalogue de l’exposition « Chine : l’empire du trait » à la Bibliothèque Nationale de France (16 juin-20 mars 2004) présente une double-page d’une édition révisée du Catalogue des antiquités de l’ère Xuanhe.
Image de couverture : Song Huizong, Grues de bon augure, 1112, encre et couleurs sur soie, Musée de la province du Liaoning, Source : Wikimedia Commons
Article très intéressant. Merci pour cette jolie découverte !
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