Les lettrés coréens

La péninsule coréenne possède une longue histoire de relations avec la Chine dont elle est limitrophe. Une histoire marquée par des échanges artistiques, mais aussi religieux et philosophiques. La dynastie Yi ou période Joseon (1392-1911) rejette ainsi le bouddhisme prégnant de la période précédente Goryeo (918-1392) et adopte le néo-confucianisme développé par le philosophe chinois Zhu Xi (1130-1200) favorisant les littéraires et les fonctionnaires, deux aspects réunis chez les lettrés coréens. En effet pour être fonctionnaire, il faut avant tout être lettré et donc cultiver l’éducation des Classiques. 

La classe des lettrés

L’Etat reprend le système des examens impériaux chinois et favorise ainsi une tradition académique s’appuyant sur l’étude de la calligraphie, de la poésie et des textes classiques. L’accès en reste toutefois très restreint, seule une élite appartenant soit à la noblesse yangban soit à la classe moyenne, prétendant à une certaine éducation, peut y avoir accès – alors qu’en Chine il est possible d’atteindre le statut de fonctionnaire malgré une origine des plus modestes.

Ces fonctionnaires, lettrés par leurs études, sont gratifiés d’une terre et se dévouent au service de l’Etat. La relative stabilité politique de la période Joseon (1392-1911) ainsi que l’approche confucéenne place le devoir moral et le dévouement au bon gouvernement au cœur des préoccupations des lettrés.

Kim Hongdo (1745-1806), Un ermite, fin XVIIIe, encre et couleurs sur papier, 28x37 cm, Leum Museum
Kim Hongdo (1745 – 1806), Un ermite, fin XVIIIe siècle, encre et couleurs sur papier, 28×37 cm, Leeum Museum, Séoul.

Muninhwa ou la peinture lettrée

La pratique de la peinture reste subalterne aux six arts déterminés par Confucius, que sont la correction rituelle, la musique, le tir à l’arc, l’équitation, la calligraphie et l’arithmétique. Pour cette raison elle est davantage considérée comme de l’artisanat qu’un art noble. Toutefois, de nombreux lettrés la pratiquent et l’apprécient tout en échangeant lors de rencontres dans des cercles relativement restreints.

Yi JEong (1554-1626), Bamboo, fin XVI-début XVIIe, encre sur soie, 122,8x52,3cm, Leeum Museum
Yi Jeong (1554-1626), Bambou, fin du XVIe-début du XVIIe siècle, encre sur papier, 122,8×52,3 cm, musée Leeum, Séoul.

Ceux aspirant à une carrière artistique et n’étant pas fonctionnaires n’ont alors que le choix d’entrer à l’Académie de peinture Tohwawôn afin de devenir peintre professionnel. Le concours d’entrée se tient quatre fois par an et consiste en l’appréciation de deux peintures réalisées parmi un choix de cinq genres qui sont, dans l’ordre, la peinture de bambou, de paysage, de portrait, d’animal et de fleur. Les thèmes favorisés sont propres à la peinture de lettrés, développée en Chine à partir de la dynastie des Song (960-1279), mettant en avant le lien entre peintres professionnels et lettrés. Kim Hong-do (1745-1806), peintre de cour, était célébré pour sa calligraphie ainsi que son goût pour les arts et la littérature, il organisait des rencontres de poésie avec d’autres lettrés.

Parmi les thèmes les plus en vogue, les peintures de bambous sont très prisées. Yi Jeong (1554-1626), arrière petit-fils du roi Sejong (r. 1418-1450) – à l’origine de la mise en place de l’alphabet coréen, le hangeul – est réputé pour sa maîtrise du sujet, au point que plusieurs de ses peintures voyagent jusqu’en Chine. Le bambou, en Chine ainsi qu’en Corée, représente l’intégrité et la droiture.

Le modèle chinois

att An Gyeon, Huit vues des quatre saisons, soie, joseon, NMK
An Gyeon (att.), Huit vues des quatre saisons, XVe siècle, encre sur soie, 35,8×28,5 cm, National Museum of Korea, Séoul.

Différents facteurs participent dans la propagation de la peinture lettrée chinoise au sein des milieux artistiques coréens. La circulation de manuels de peinture chinois, tel le Jardin grand comme un grain de moutarde, permet de véhiculer une manière dans la représentation de paysages, de personnages et de plantes. Mais c’est surtout la présence de peintures chinoises dans des collections coréennes qui va permettre l’ancrage, dans les prémices du développement d’une peinture coréenne, d’une influence de la peinture des Song.

Le prince An’pyeong, calligraphe de talent, poète, peintre, joueur de cithare, aurait collectionné plus de 200 œuvres chinoises aujourd’hui perdues mais connues par les textes. Lui-même se pose en mécène et regroupe autour de lui un groupe de peintres, dont An Gyeon fait partie, développant la peinture à l’encre de Chine ainsi que le thème des « quatre plantes nobles ».

Kang Hui-an (1417-1464), fonctionnaire et lettré ayant participé à l’élaboration du hangeul, fait partie d’ambassades envoyées en Chine, où il a pu entrer en contact avec des lettrés chinois et probablement observer et ramener avec lui des peintures. Kang Hui-an toutefois percevait son art à travers le regard social confucéen et s’il fut reconnu en son temps comme un maître, des textes témoignent de sa volonté de ne pas voir ses peintures transmises.

Kang Huian (1417-1464), Painting of a Lofty Scholar Contemplating Water, Joseon, NMK
Kang Hui-an (1417-1464), Lettré contemplant la rivière, XVe siècle, encre sur papier, 23,4×15,7 cm, National Museum of Korea, Séoul.

Affirmation d’un art coréen

Chong Son (1676-1759), The diamond mountains, daté 1734, encre et couleurs sur papier, 130,7x94,1 cm, Leeum Museum
Chong Son (1676-1759), Les montagnes de diamant, daté 1734, encre et couleurs sur papier, 130,7×94,1 cm, Leeum Museum, Séoul.

Face à l’autoritarisme néo-confucéen dominant la société, une école émerge au XVIIIe siècle, se plaçant en opposition des conceptions confucéennes et favorisant la recherche scientifique : il s’agit de l’école sirhak ou du « Savoir Pratique ». Le mouvement accentue une coréanisation de la société que les incursions mandchoues sur le territoire coréen entre 1627 et 1636 ainsi que la chute de la dynastie Ming (1368-1644), remplacée par des « barbares » auxquels il faut se soumettre, participent à faire émerger.

Le mouvement se traduit notamment en peinture par la recherche d’expressions plus individualistes ainsi que par l’apparition de nouveaux thèmes, parallèlement au développement d’une littérature coréenne. Chong Son (1676-1759), peintre de paysage, marque le mouvement par l’observation directe de la nature et de son interprétation, indépendamment du modèle chinois.

Ainsi, si la peinture lettrée coréenne fut fortement marquée dans ses débuts par l’influence de la Chine, elle s’en démarque par différents aspects : la concentration des lettrés dans les classes nobles et moyennes, la domination d’un système de pensée régit par le néo-confucianisme et des thèmes de prédilection. La dynastie Joseon voit également la mise en place d’une identité nationale coréenne qui va favoriser le développement d’une peinture s’affranchissant de ses influences étrangères.

Pour en savoir plus :

  • Cambon, Pierre (dir.), La poésie de l’encre, tradition lettrée en Corée, 1392-1910 [Exposition. Musée Guimet, 16 mars – 6 juin 2005], Paris, Réunion des Musées Nationaux, 2005.

 

Image de couverture : Anonyme, Rassemblement élégant (détail), XIVe-XVe, couleurs sur soie, 139×78 cm, Leeum museum, Séoul.

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