Le dragon en Extrême-Orient

Qu’il soit craint ou vénéré, le dragon est encore aujourd’hui source de fascination. Incarnation du vice voire du Mal en Occident, cet animal fabuleux revêt une symbolique plus complexe en Asie. Classé par le Shuowen jiezi 说文解字 comme le chef des animaux à écailles, le dragon est très probablement l’animal le plus représenté dans les arts extrême-orientaux.

Un animal composite

De nombreux textes chinois, parfois contradictoires, traitent de l’apparence de cet animal. Le dragon, long , est pourvu d’une tête de chameau surmontée de bois de cerf, d’oreilles de bœuf, d’yeux de lièvre et de sourcils broussailleux, d’une longue barbe effilochée, d’une nuque de serpent, et d’un ventre de mollusque. Son corps, recouvert d’écailles de carpe et d’une épine dorsale surmontée d’ailerons pointus, est muni de quatre pattes de tigre prolongées par des serres de faucon. Animal aquatique dépourvu d’ailes, il peut cependant se déplacer dans les airs grâce à une corne renversée. Il peut changer de taille à loisir, se faire aussi petit qu’une chrysalide ou assez grand pour couvrir l’ensemble du ciel. Il choisit de se rendre visible ou non.

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Lin Shu, Bonze conjurant le dragon dans un bol, 1945, encre et couleurs sur papier, 108,1 x 61,4 cm, musée Cernuschi ©
ADAGP

Le dragon est associé à l’est et au printemps au cours duquel il s’élève dans le ciel et permet le renouveau de la nature avant de redescendre dans les eaux, en automne, entraînant son assoupissement. De nombreux mythes mettent en scène des dragons.

Force de la nature, le dragon est une créature ambivalente. Dans son aspect bénéfique, il fait opportunément tomber la pluie, nécessaire à l’obtention de récoltes abondantes, et remplit les filets des pêcheurs. C’est cet aspect que l’on cherche à se concilier lorsqu’on le représente et l’honore. En revanche, il peut également entraîner tempêtes et inondations, ou encore retenir les nuages.  Il est donc primordial de le rendre favorable ou, à défaut, de l’empêcher de nuire.

Le dragon a très vite été associé au pouvoir temporel. De nombreux empereurs chinois ont prétendu descendre d’un dragon, notamment Han Gaozu (r. 206-195 av. J.-C.), fondateur de la dynastie Han (206 av. J.-C. – 221 ap. J.-C.).

Évolution iconographique

Issu du néolithique chinois, le dragon se retrouve dans le motif du taotie des différents bronzes Shang (XVIe – milieu du XIe s. av. J.-C.) telle la Tigresse du musée Cernuschi. Les textes d’époque Han vont fixer l’iconographie du dragon, iconographie transmise par la suite à tout l’Extrême-Orient.

C’est véritablement sous les Song (960-1279) que sont élaborés la majorité des thèmes iconographiques liés au dragon sous l’impulsion de Chen Rong (v. 1200-1266), reconnu pour sa capacité à en capter les mouvements dans les nuages et les vagues.

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Chen Rong (v. 1200-1266), Neuf dragons, encre sur papier, 46,8 x 1496,5 cm, Chine, 1244, Boston, Museum of Fine Arts

Sous les Yuan (1279-1368) le dragon à cinq griffes devient l’emblème de la maison impériale, le peuple devant désormais se contenter d’un dragon à quatre griffes. Plus tard, l’omniprésence de l’image du dragon dans la Cité Interdite va servir à matérialiser la majesté du pouvoir impérial.

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Dragon dans les nuées, encre et couleurs sur papier, 118 x 69 cm, Corée, XVIIIe siècle, collection privée

Le dragon coréen, yong , connaît une vénération assez longue, l’économie du pays étant basée sur l’agriculture jusqu’à la fin du Joseon (1392 – 1910). Lors d’épisodes de sécheresse, on jetait des peintures de dragon entouré de nuages orageux dans les lacs, les rivières et les puits afin de solliciter son intervention.

Le dragon est transmis au Japon par la Chine via la Corée vers le VIe siècle. Le dragon japonais, ryū , ne possède que trois griffes. Là encore, il est associé à la pluie ou à Ryūjin 龍神, dieu de la mer à l’apparence dragoniforme capable de prendre des traits humains. Les empereurs japonais prétendaient entre autres descendre de ce dieu.

Association avec d’autres animaux

Le dragon est fréquemment associé au phœnix, formant ainsi un couple de bon augure. Dans le folklore chinois, l’union du dragon et du phœnix symbolise le bonheur et l’harmonie entre l’homme et la femme.

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Kanō Sanraku (1559-1635), Tigres et dragon, encre, couleurs et or sur papier, 77,5 x 356,5 cm (par paravent), Japon, début XVIIsiècle,  Kyōto, Myōshin-ji

L’association du dragon et du tigre est quant à elle porteuse de deux symboliques différentes, sinon contradictoires… D’une part, elle symbolise la lutte entre le dragon, roi du ciel, et le tigre, seigneur de la terre, deux êtres dont l’existence conjointe est incompatible. Leur affrontement symbolise le combat métaphorique entre deux puissants. D’autre part, le motif du dragon et du tigre peut aussi être l’expression de l’harmonie et de l’équilibre.

Le dragon revêt une importance majeure pour les sociétés d’Extrême-Orient, tant du point de vue conceptuel que rituel. Il est d’ailleurs toujours mis en scène en Chine lors de grandes fêtes populaires, notamment celle des « bateaux-dragons ».

Pour aller plus loin :

DIENY Jean-Pierre, Symbolisme du dragon dans la Chine antique, Paris : Collège de France, Institut des Hautes Études Chinoises, 1987

MULLANY Francis, Symbolism in Korean Ink Brush Painting, Folkstone : Global Oriental, 2006

SCHAAP Robert, A Brush with Animals, Japanese Painting (1700-1950), [exposition, Rotterdam, Kunsthal, décembre 2007-mars 2008], Leiden-Boston : Society for Japanese Arts, 2007

SUNG Hou-mei, Decoded Messages, the Symbolic Language of Chinese Animal Painting, [exposition, Ohio, Cincinnati Art Museum, octobre 2009-janvier 2010], London : Yale University Press, 2009

Image de couverture :  Maruyama Ōkyo(1733-1795), Dragon dans les nuées, encre et couleurs sur papier, Japon, 1773, Tokyo, Mitsui Memorial Museum

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