Après l’explication de la complexe religion bouddhique, plongez dans quelque chose d’encore plus compliqué! Aujourd’hui Tokonoma illumine votre cheminement dans les arcanes du bouddhisme tantrique.
Le Vajrayana
Le bouddhisme tantrique, ou ésotérique, est une forme doctrinale issue du courant Vajrayana signifiant en sanskrit « Véhicule de diamant ». C’est le troisième courant religieux du bouddhisme, dérivant en fait directement du Mahayana (voir l’article précédent) mélangé à quelques éléments de l’hindouisme et de pratiques magiques locales. Les textes qui lui sont liés – les tantra – apparaissent vers le VIIe siècle en Inde du Nord. On dit que l’enseignement contenu dans ces textes a été transmis de bouddha à bouddha puis aux bodhisattva avant de parvenir aux dieux et aux hommes.

Un peu de magie
L’objectif suprême reste le même : atteindre l’Eveil et s’extraire du cycle des réincarnations. La différence ? Gagner du temps et atteindre l’Eveil en une seule vie ! Pour atteindre ce résultat en aussi peu de temps, il faut être efficace. Les pratiques religieuses sont alors adaptées. Les aspirants appliquent des techniques spirituelles complexes, magiques et très puissantes, qui peuvent se révéler dangereuses s’ils ne sont pas accompagnés par un maître, un guru en sanskrit ; d’où le caractère secret, ésotérique de la religion avec ses nombreux codes et symboles, afin d’éloigner les non-initiés qui pourraient au mieux n’obtenir aucun résultat, au pire se mettre en danger. Ainsi la transmission de maître à disciple devient capitale.
Les textes : les tantra
Les tantra invitent à penser le monde d’une façon très particulière. C’est une autre dimension qui s’ouvre aux initiés. Tantra signifie « trame, continuité », cela désigne la véritable nature des choses au-delà du cycle des réincarnations et du nirvana. Tout n’est que vacuité et illusion, comme le présentait déjà la tradition mahayaniste. Les phénomènes sensibles forment ainsi un tissu d’illusions recouvrant les hommes. Les tantra permettent de se rendre compte du sens caché et de la nature vide de l’existence. Ils invitent à se mettre dans un état de méditation sans agitation afin de se rapprocher de cette dimension. La perception de cette dernière est également rendue possible par la pratique de la visualisation, en prenant pour support les mandala. La plupart du temps, ces mandala représentent les lieux où demeurent les dieux. Enfin, réciter des mantra permet de reproduire les sons des phénomènes sensibles dans leur aspect pur et vide, en plus d’être un moyen de purification et d’accomplissement. Le « Om Mani Padme Hum » en est un. C’est le mantra associé au bodhisattva Avalokiteshvara, le bodhisattva de la compassion. C’est le plus répété aujourd’hui au Tibet puisque le Dalaï Lama est considéré comme une émanation d’Avalokiteshvara.

CC BY-SA 4.0
La diffusion du bouddhisme tantrique
Le bouddhisme tantrique s’exporte hors de l’Inde. Initiant son escalade de l’Himalaya, c’est d’abord le Népal qui reçoit son enseignement. Il mettra peu de temps avant d’atteindre les hauts-plateaux tibétains vers le VIIe-VIIIe siècle où il est encore très présent aujourd’hui. De là, le Vajrayana pénètre en Chine au VIIe siècle et s’implante grâce à la fondation de l’école Zhenyan ! Puis au détour d’un voyage sur le continent, le moine Kukai l’importe au Japon en 806 où il fonde l’école Shingon. Plus tard, l’école Tendai consolide la position du bouddhisme ésotérique au Japon. On le retrouve aussi dans une moindre mesure dans la péninsule indochinoise et en Indonésie avant de disparaître au profit respectivement du Theravada et de l’islam. Quant aux nomades mongols, ils entrent en contact avec le bouddhisme tantrique dès les conquêtes de Gengis Khan au début du XIIIe siècle.
Florilège d’œuvres
- Bodhisattva Samantabhadra, Japon, bois peint et doré, H. = 84 cm, Paris, Musée des arts asiatiques – Guimet
Photo (C) RMN-Grand Palais (MNAAG, Paris) / Philipp Bernard
Le bodhisattva Samantabhadra, chevauchant sa monture traditionnelle, l’éléphant dont les six défenses (et donc ici trois têtes) symbolisent les six paramita , les vertus cardinales du bouddhisme. Sinon, c’est aussi le protecteur du Sutra du lotus, l’un des textes les plus importants du Mahayana, à la base de la fondation de nombreuses écoles. Alors sans lui, c’est la fin de la doctrine mahayaniste.

Photo (C) RMN-Grand Palais (MNAAG, Paris) / Mathieu Rabeau
Yamantaka, le « bourreau de la Mort », est celui qui a vaincu la mort, rien que ça… Yamantaka est un aspect du bodhisattva Manjusri, aspect courroucé et c’est un euphémisme ! Il est ici représenté sous sa manifestation Vajrabhairava. Dans le bouddhisme tantrique, les divinités et entités peuvent avoir plusieurs aspects. Chaque aspect peut avoir aussi plusieurs manifestations, correspondant à des iconographies. Cela explique en partie l’extraordinaire diversité du panthéon tantrique. Ainsi donc, l’iconographie de Yamantaka-Vajrabhairava présente neuf têtes, trente-quatre bras et seize jambes.
On remarque tout de suite la démultiplication des bras, des jambes et des visages dans ces iconographies tantriques. C’est une marque de puissance. Et quand elles ont un aspect courroucé (ou semi-courroucé, oui oui ça aussi ça existe), leurs yeux sont exorbités, avec très souvent des crocs apparents dans la bouche.

Photo (C) Victoria and Albert Museum, Londres
Un bodhisattva non identifié. Mais de tradition tantrique tibétaine pour sûr ! En témoigne cette couronne volumineuse.
Le bouddhisme est en soi d’une grande complexité, mais le bouddhisme tantrique c’est quelque chose ! Son panthéon est aussi étendu qu’il y a de traditions qui partagent cette religion. Il est très difficile d’être succinct. Alors, intéressés ?
Pour aller plus loin :
- BAZIN, Nathalie, L’art bouddhique du Tibet, Lyon : Nouvelles Editions Scala, 2014, 127 p.
- BEGUIN, Gilles, L’art Bouddhique, Paris : CNRS Editions, 2009, 416 p.
- CORNU, Philippe, Dictionnaire encyclopédique du bouddhisme, Paris : Editions du Seuil, 2006, 949 p.
Photo de couverture : Avalokitesvara à mille bras et mille yeux, Corée, époque Koryo (918-1392), bois peint et doré, H. = 58 cm, Paris, Musée national des arts asiatiques – Guimet. Photo (C) MNAAG
Si je comprends bien votre remarque par rapport au dernier bodhisattva présenté, le bouddhisme tantrique se caractérise donc par une certaine exubérance voire démesure dans les détails ?
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Exactement ! Les bodhisattvas sont toujours parés, c’est l’un de leurs signes distinctifs. Mais ces parures sont particulièrement mises en valeur dans les oeuvres tantriques, que ce soit par leur quantité ou par leur volume. C’est bien le cas de ce bodhisattva doré, sa parure volumineuse est typique du tantrisme. 🙂
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Merci pour cette précision. Tant que j’y suis, pour un néophyte, y a-t-il un moyen de distinguer facilement un bodhisattvas dans une de ses manifestation « montrueuses » (telle que Vajrabhairava) d’une divinité ?
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Pour distinguer un bodhisattva à l’aspect monstrueux d’un bodhisattva « normal », tout est dans l’imagerie animalière, féroce et morbide. Les yeux sont exorbités, souvent le nez apparaît un peu froncé, voire comme un mufle. La bouche est ouverte avec des crocs. Parfois il se pare d’une charmante guirlande de crânes. La couronne aussi peu présenter des crânes. La mandorle, s’il y a, s’enflamme complètement. Il est dans une attitude très dynamique, des bras et jambe levés. Et il piétine des personnages, parfois plusieurs sous le même pied.
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Je pensais plus à différencier pour caricaturer un bodhisattva sous forme monstrueuse d’une
Shiva sous Bhairava par exemple… Elles ne sont peut-être pas du tout rencontrables en même temps normalement, mais en se promenant dans un musée, y a-t-il au premier coup d’œil un truc qui est sensé les différencier ?
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La seule chose qui me permet de les différencier d’un Shiva, ce sont ses attributs. Par exemple, que ce soit dans un style indien ou himalayen, les mèches tressées, montées en chignon de Shiva sont toujours bien visibles. Ce n’est pas une coiffure de bodhisattva. Mais peut-être qu’il y a autre chose. Il faudrait se renseigner auprès de spécialistes.
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